Entre mise en scène géopolitique, coups de bluff dignes d’un ring de catch et poker diplomatique à hauts risques, Trump continue de bousculer les règles du jeu mondial.
Dans deux de mes chroniques vidéo « L’Inforruptible », j’avais évoqué une « mise en scène à la Trump » (un fan de catch de la première heure) concernant la très symbolique « riposte » iranienne (au bombardement de ses sites nucléaires) du 23 juin sur une base qatarie.
Une base préalablement évacuée par les troupes américaines (quel flair !), mais qui se voulait une réponse « dévastatrice » (selon les médias iraniens) aux quatorze bombes GBU-57 larguées sur son sol par des B-2. Téhéran avait tiré quatorze missiles (dont certains ne comportaient même pas de charge militaire ou « dysfonctionnaient »), qui auraient tous été interceptés (pas d’hypersoniques dans le lot), sauf ceux ne présentant « pas de danger ».
J’avais lu des commentaires plus que sceptiques : l’idée que Trump ait pu « s’entendre » avec le guide suprême Khamenei était jugée au minimum farfelue, voire inconcevable, vu la capacité du Mossad à lire le dessous des cartes et à recruter des agents à tous les niveaux parmi l’élite des mollahs.
Trump s’est-il payé la tête de son allié israélien ?
Les cérémonies du 4 juillet ont pourtant été l’occasion pour Trump de fanfaronner (c’est banal), mais il a saisi l’occasion de placer la barre beaucoup plus haut :
« Vous savez, ils (les Iraniens) m’ont appelé pour me dire qu’ils devaient nous tirer dessus. C’était l’Iran. Ils sont très respectueux. Cela signifie qu’ils nous respectent. Parce que nous avons largué quatorze bombes, ils ont dit : ‘Nous aimerions vous tirer dessus quatorze fois.’ J’ai dit : ‘Allez-y, je comprends.’ Ils ont dit où ils allaient le faire. J’ai dit : ‘Bien.’ Nous avons vidé le fort. C’était une belle base militaire au Qatar qui nous a vraiment très bien traités. Et ils ont dit : ‘Monsieur, ça sera pour une heure, d’accord ?’ J’ai dit : ‘C’est bien. Nous pourrions le faire plus tard.’ »
Comment l’opinion publique israélienne va-t-elle le prendre ?
Et les opinions publiques internationales, face à un jeu diplomatique transformé en spectacle de catch scénarisé (oui, c’est un pléonasme : si ce n’est pas scénarisé, ce n’est pas du catch, et cela devient un spectacle dangereux pour les participants) ?
Trump multiplie les déclarations qui brisent toutes les règles du jeu feutré, qui mélange allègrement rapports de force et « arrangements » pour éviter le scénario du pire : parce qu’à un moment, il faut savoir jusqu’où ne pas aller trop loin.
Comme au poker, il faut savoir jeter sa main – même si on la croit très bonne – car le principe du bluff, ce n’est pas seulement de faire croire qu’on a un carré quand il y a déjà deux valets sur la table : cela consiste également à ne pas s’exposer à tout perdre… et à se faire passer pour faible pour attirer l’adversaire dans le piège de l’excès d’assurance, pour qu’il succombe à la tentation de s’adjuger une « victoire totale » qui marque les esprits.
Trump vient de triompher face au Vietnam, qui s’est « couché » sur les droits de douane : 0 % de droits sur les importations venant des Etats-Unis, 20 % sur les exportations vietnamiennes et 40 % sur des reventes provenant d’un pays tiers (et tout le monde pense naturellement à la Chine).
Trump tient donc son triomphe, et il prétendait, il y a dix jours, faire signer à la Chine un deal à ses conditions : nous ne sommes pas en mesure d’en juger, nous n’avons pas vu les images de la fin de la partie… coup de bluff pour impressionner ceux qui n’ont pas encore signé ?
Le message, symboliquement, est le suivant : si j’ai plié la Chine, mon plus redoutable challenger, je ne ferai qu’une bouchée du Canada et de l’Europe.
La Chine s’est prudemment abstenue de démentir publiquement les propos de Trump : Xi Jinping sait parfaitement ce qu’il en est, et peut donc, au choix, jouer au faible (« Faisons front face aux méchants Etats-Unis ») ou au fort (« Trump bluffe et il le sait, nous sommes les vrais gagnants du deal ») face aux Européens.
Et Trump est contraint de reconnaître que son plus gros coup de bluff de sa campagne présidentielle n’a pas marché : il s’était vanté de pouvoir convaincre Poutine d’arrêter la guerre russo-ukrainienne en deux jours (et on lui aurait volontiers accordé deux semaines… et même si cela représente des milliers de morts et beaucoup de souffrance, jusqu’à deux mois). Mais sa dernière déclaration – « Ça n’avance pas avec Poutine » – puis « Les États-Unis n’ont pratiquement plus de munitions à livrer à Kiev, les arsenaux US sont presque vides » résonne un peu comme « je jette ma main ».
Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’Ukraine, qui ne peut plus compter que sur l’Europe : si l’Europe s’engage plus avant pour éviter à Zelensky une défaite bien plus lourde que la perte des oblasts russophones, alors il y a le risque de se retrouver en situation de co-belligérance, alors que l’Ukraine ne fait partie ni de l’OTAN (qui livre pourtant des armes payées par les contribuables occidentaux), ni de l’Union européenne.
En affaiblissant l’Ukraine, Trump n’est-il pas en train de nous placer devant la réalité d’un choix qui nécessiterait de demander leur avis aux citoyens européens : êtes-vous prêts à mourir pour l’Ukraine, après avoir fait mourir des pans entiers de votre industrie avec des sanctions économiques boomerang contre la Russie ?
Trump n’est-il pas en train d’amener l’Europe, en même temps, à lâcher sa main sur le plan de la guerre commerciale ? Et sur sa position bloquante, qui consiste à dissuader l’Ukraine d’accepter les conditions du cessez-le-feu que Boris Johnson était venu torpiller début avril 2022 à Istanbul (acter la tutelle russe sur le Donbass et la perte de 19 % de son territoire, qui de toute façon fera un jour ou l’autre sécession) ?
Quoi que l’on pense de Poutine, à qui l’on prête un certain talent pour les échecs, la mise en échec de l’OTAN et les dernières déclarations de Trump semblent démontrer qu’il n’est pas non plus ridicule au poker et qu’il amène Trump à se coucher.
Mais allez savoir si les deux justement ne se sont pas entendus pour exécuter, devant les Européens, un numéro de « strong cop, weak cop » (une variante de « good cop/bad cop ») afin de les convaincre de jeter leurs cartes sans attendre que la Russie abatte les siennes (les Etats-Unis venant de lui lâcher un as en cessant de livrer certaines catégories d’armes) ?
Trump et J.D. Vance l’avaient dit brutalement à Zelensky lors d’une première entrevue à la Maison-Blanche, rentrée dans l’Histoire : « Vous n’avez pas les cartes en main, nous les avons. »
L’Europe va-t-elle devoir, comme Israël, accepter un simulacre de victoire — comme Israël avec l’Iran (les destructions sur le sol israélien se comptent en dizaines de milliards de dollars, mais le nucléaire iranien est officiellement détruit) ? Poutine n’a pas pris Kiev, ni Odessa, il a perdu sa place au sein du G8, des centaines de milliards dans cette guerre qui lui coûte bien plus que ce qu’elle lui rapporte.
La propagande otanienne écrira que Poutine, enlisé depuis trois ans et trois mois en Ukraine, renonce à ses ambitions de conquête du pays tout entier, se retrouve « isolé » (comprenez : coupé du réseau de transactions bancaires SWIFT) et que tourner la page va nous permettre de reconstruire une meilleure Ukraine qu’avant le Maïdan : le fameux « Build Back Better ».
1 commentaire
C’est une évidence qui commence à se faire jour : Trump n’est peut être pas l’Idiot Caractériel que la grande majorité des médias occidentaux, et la quasi totalité de ceux français, présentent au public depuis des années. La question est de savoir pourquoi et par QUI ces médias l’ont fait. Et de se demander si l’Occident est aussi « démocratique » qu’il le proclame. Trump bouscule un peu certaines certitudes du » Meilleur des Mondes ». Pour le bien, pour le mal, pour rien ? Ce n’est pas au bout de six mois de pouvoir qu’il est possible de le dire.