La BCE crée de véritables « armes atomiques » qui menacent l’existence même du secteur bancaire.
Les gouvernements européens jouent un jeu dangereux avec leurs banques. Après les mesures punitives prises aux quatre coins du Vieux Continent dont je vous parlais il y a quelques jours, de nouvelles menaces planent sur les groupes bancaires.
Programme d’euro numérique visant à confier les dépôts des citoyens directement à la banque centrale, projet d’augmentation drastique des montants des réserves obligatoires : la BCE crée de véritables « armes atomiques » qui menacent l’existence même du secteur bancaire.
Est-ce un esprit de revanche envers ces établissements too big to fail qui ont tenu tête aux Etats durant la dernière crise financière ? Une volonté de la banque centrale d’augmenter encore son poids politique, après avoir déréglé nos économies avec les taux bas, puis les avoir mises à genoux avec la remontée brutale entamée depuis 2022 ?
Sans préjuger des motivations, force est de constater que les effets des ajustements réglementaires dans les cartons de l’institution de Francfort seront diamétralement opposés aux objectifs affichés.
En façade, il s’agit de réguler l’économie plus finement pour le bien de tous. En pratique, il s’agit – ô surprise – de taxer un peu plus les citoyens et les entreprises par un jeu d’écritures que bien peu de déposants comprendront.
Quand même la Banque de France s’interroge
La BCE songe actuellement à séquestrer jusqu’à 660 milliards de liquidités des banques commerciales. Il faut savoir qu’actuellement, les établissements de la zone euro doivent déposer auprès de la BCE une quantité de cash représentant 1% de leurs dépôts.
Cette réserve dite obligatoire représente un matelas de sécurité censé renforcer la stabilité des banques. En réalité, il s’agit surtout d’un curseur que la BCE utilise pour ouvrir ou fermer les vannes du crédit accordé aux particuliers et aux entreprises.
Ce n’est un secret pour personne : la banque centrale arrive au bout de sa politique de hausse de taux. Après avoir saigné l’économie européenne, la marge de manœuvre restante semble s’établir entre 50 et 100 points de base. Impossible d’imaginer un doublement des taux directeurs sans provoquer des défauts massifs d’entreprises et d’Etats européens.
Mais l’arme des réserves obligatoires permet de limiter encore un peu plus la capacité des établissements à prêter de l’argent sans peser sur les budgets des Etats et la solvabilité des entreprises.
Jusqu’en 2012, la réserve obligatoire était en effet fixée à 2% des dépôts. Elle avait été réduite de moitié pour faire repartir à la hausse la production de crédit dans un contexte de crise financière et d’assèchement de la liquidité pour les acteurs économiques.
Aujourd’hui, la BCE envisage de la porter de nouveau à 2%, voire 3% ou 4% selon les dernières rumeurs. Sachant que les dépôts obligatoires représentent actuellement 165 Mds€, ce sont ainsi plus de 660 Mds€ qui pourraient être retirés de la circulation, divisant en théorie la capacité d’octroi de crédit d’un facteur quatre.
La menace est si importante que le président de la Banque de France François Villeroy de Galhau s’est ému publiquement du projet. Il a ainsi récemment affirmé, dans la presse, qu’il « n’y a pas de justification monétaire à augmenter les réserves obligatoires […]. La stabilité de leur régime actuel devrait donc s’imposer ».
Vraies et fausses raisons
Se pencher sur les bilans des établissements européens permet toutefois de constater que les effets réels de la mesure seront certainement bien différents de l’objectif annoncé.
Comme pour toute décision politique, celle-ci aura des conséquences pratiques bien éloignées de la justification de façade.
En réalité, le montant des réserves obligatoires n’est aujourd’hui pas le facteur limitant dans l’octroi de crédit. Si la production de crédit fait grise mine (ce qui reste, rappelons-le, l’un des objectifs de la BCE), c’est parce que les établissements sont actuellement dans une phase d’aversion au risque et préfèrent renforcer leur rentabilité et leur solidité que d’augmenter la taille de leurs bilans.
Actuellement, les dépôts excédentaires des banques (la part déposée auprès de la BCE qui va au-delà des réserves obligatoires) s’élèvent à 3 600 Mds€. Toutes choses égales par ailleurs, déplacer le curseur de la fraction obligatoire de 1% à 2%, 3%, voire 4%, ne modifiera que la répartition entre les deux catégories.
Disposant de réserves bien supérieures à 4% des dépôts, les établissements pourront continuer de prêter comme bon leur semble.
Quel est alors l’intérêt pour la BCE de procéder à ce jeu de bonneteau comptable, qui risque de ne rien changer au niveau de la production de crédit ? La raison est bassement pécuniaire, et s’apparente à un nouveau transfert de richesse de la sphère privée vers les instances publiques.
Une nouvelle taxe cachée
La curieuse mesure, théoriquement inutile face à l’objectif publiquement annoncé, devient claire à l’aune d’un changement des règles du jeu décidé discrètement par la BCE, en juillet dernier.
Historiquement, les réserves obligatoires et excédentaires étaient rémunérées au taux de dépôt de la BCE. La répartition entre les deux poches n’avait donc aucun impact sur le rendement des dépôts, et ne modifiait que la quantité de crédit que les banques étaient en mesure d’octroyer. Depuis plus de dix ans, la baisse du taux de dépôt avait d’ailleurs rendu la question accessoire : les réserves des établissements bancaires ne rapportaient plus rien – elles subissaient même une rémunération négative entre 2014 et 2022.
La hausse des taux d’intérêt de la BCE entamée l’an dernier est venue changer la donne. Le taux de dépôt est brutalement passé de -0,5% à +4%, transformant le léger gain en pertes importantes pour la banque centrale.
Plutôt que de tenir compte de cette impasse dans sa politique monétaire, la BCE a préféré modifier les règles du jeu. Dans la torpeur estivale, elle a décidé de cesser de rémunérer purement et simplement les réserves obligatoires.
Sur les 3 600 Mds€ déposés par les banques, 165 Mds€ ont ainsi cessé d’être un poste de coût pour la BCE – un gain de plus de 6,6 Mds€ par an au taux actuel. En déplaçant le curseur vers les 4%, nos instances priveraient ainsi le secteur bancaire de 20 Mds€ supplémentaires, portant les économies à plus de 26 Mds€ en année pleine par rapport aux règles en vigueur jusqu’à l’été dernier.
Bien loin de renforcer la solidité du secteur bancaire pour protéger les épargnants en cas de trou d’air économique, la BCE a donc la main dans le portefeuille des banques pour les forcer à mettre sous séquestre une part toujours plus importante d’argent non rémunéré, à l’heure où le coût de l’argent explose plus vite que jamais.
Ne vous y trompez pas : comme dit l’adage « lorsque l’on taxe le lait, ce ne sont pas les vaches qui payent ». In fine, ce sont les déposants, particuliers comme professionnels, qui règleront l’addition de ces 25 Mds€ voués à être retirés des comptes annuels des banques pour finir dans les livres de la banque centrale.
Nos dirigeants tablent simplement sur la méconnaissance des mécanismes financiers des citoyens pour que ce nouvel impôt indirect voie le jour sans protestations.
Alors que la rentabilité prévisionnelle des taxes sur les « surprofits » des banques se dégonfle comme un ballon de baudruche (les montants devraient se compter en centaines de millions d’euros par pays seulement), transformer la BCE en percepteur permettra de subtiliser des dizaines de milliards au secteur privé en toute discrétion.