Des arnaques monétaires, des salaires en baisse, l’obésité en hausse, et le grand fantasme du « nous pensons ; ils transpirent »…
« Je ne pense pas que nous aurons une bonne monnaie tant que nous ne retirerons pas les choses des mains du gouvernement ; sauf que nous ne pouvons pas les prendre violemment des mains du gouvernement. Tout ce que nous pouvons faire c’est introduire quelque chose qu’ils ne pourraient pas arrêter d’une manière sournoise et détournée. »
– F.A. Hayek, 1984
Alors que David Ignatius, dont nous avons commencé à vous parler hier, mûrissait, son monde s’éloignait de plus en plus de celui des classes laborieuses américaines. Ecole privée… université d’élite, réseau (son père fut secrétaire à la Marine dans les années 1960)… puis direction le quatrième pouvoir, la presse – dernièrement, au sein du Washington Post.
Maintenant, il est un supporter du Deep State et de son empire.
Nous sommes à la recherche d’une explication. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi Ignatius et d’autres de son acabit se sont tournés contre « le Peuple » qu’ils sont censés servir ? Aujourd’hui, nous vous proposons la raison la plus évidente : c’était payant.
« Quand la monnaie s’en va, tout s’en va » est l’une de nos expressions favorites, ici, à La Chronique Agora. Les prix… valeurs… fonds de retraites… salaires – tout est calibré sur la monnaie. Et quand la monnaie est fausse, tout commence à chanceler.
Arnaque monétaire
La monnaie américaine a été falsifiée en 1971, juste quand M. Ignatius est devenu adulte. Depuis, toutes les statistiques que vous pourriez employer montrent une nation qui glisse sur une pente descendante – de plus en plus vite… et tout droit vers un mur de briques. Un site web merveilleux, intitulé « Mais que s’est-il passé en 1971 ? », abonde de détails. Tout y est présenté, des revenus des entreprises et du PIB à l’obésité infantile – le déclin des Etats-Unis y est ainsi illustré, graphique après graphique.
En 1972, après 30 ans d’augmentation conjointe, la productivité et le salaire horaire se sont séparés – la productivité a continué de grimper, alors que les salaires ont stagné. En termes réels, l’Américain moyen d’aujourd’hui gagne un peu plus que son équivalent un demi-siècle plus tôt. D’après nos calculs – comparant le temps qu’il faut travailler pour pouvoir acheter une maison moyenne ou une voiture moyenne –, il est beaucoup plus pauvre.
En 1970, vous pouviez en effet acheter une maison moyenne pour environ 25 000 $, soit deux ans et demi de salaire. Une autre manière de voir les choses : il fallait alors environ 18 000 heures de travail au salaire minimum pour acheter cette maison. Aujourd’hui, avec le salaire minimum, il en faut plus de 50 000.
En 1970, une voiture neuve coûtait environ 3 500 $, en moyenne. Au salaire moyen, 4 $ de l’heure, il fallait environ 900 heures de travail pour s’en acheter une. Aujourd’hui, la voiture moyenne se vend pour 48 000 $… dès lors, avec un salaire moyen de 30 $ de l’heure, il est nécessaire de travailler 1 600 heures pour se l’offrir (en oubliant les impôts, l’assurance santé et autres coûts du quotidien).
En 1971, les salaires du « Peuple » et les revenus des élites ont aussi commencé à s’écarter. Alors que la majorité des gens gagne un peu plus que c’était le cas il y a 50 ans, les revenus des 5% les plus riches (en termes de salaires) ont augmenté de 80%. Tandis que les 1% des plus riches gagnent aujourd’hui cinq fois plus qu’à l’époque.
Alors que ces 1% des plus gros salaires obtenaient environ 40% de tous les revenus en 1970, le total atteint 70% aujourd’hui.
L’argent c’est du temps
Le travailleur a son temps. Les élites ont leurs actifs. Pour comparer les deux, de 1880 à 1971, les actions du S&P 500 se vendaient généralement pour l’équivalent de 30 heures de travail pour le salarié moyen. Après 1971, la valeur de leur temps a chuté fortement… au point qu’il faut désormais 120 heures de travail pour acheter ces actions. Dit autrement, le détenteur d’actifs est devenu quatre fois plus riche. Ou, vu du point de vue du « Peuple », les non-détenteurs d’actifs ont perdu 75% de leur richesse relative.
Alors, que s’est-il passé en 1971 ?
Ils ont changé le dollar pour en faire une monnaie purement papier. Depuis lors, le dollar, comme toutes les autres principales devises de la planète, a perdu entre 90% et 100% de sa valeur.
Entretemps, la dette a grossi – en termes réels. En 1971, la dette de l’Etat fédéral américain était d’environ 370 Mds$, ou près de 25% du PIB. Aujourd’hui, elle dépasse les 32 000 Mds$, ce qui représente à peu près 130% du PIB.
Les budgets fédéraux américains étaient généralement équilibrés avant 1971 – à part lors des périodes de récession ou de guerre. Le déficit budgétaire pour 1970 n’était que de 26 Mds$. Sur les 12 derniers mois, par contraste, les autorités fédérales ont dépensé 2 400 Mds$ de plus qu’ils n’en ont encaissé.
Avant 1971, les balances commerciales américaines suivaient la même logique. Généralement, les entrées et sorties se croisaient ou se retrouvaient au même niveau. Mais, après 1971, elles ne se voyaient plus que très rarement. Année après année, les déficits s’accumulaient… jusqu’à l’an dernier, quand un nouveau record fut atteint. Comme nous l’explique le Wall Street Journal :
« Le déficit commercial américain pour 2022 a augmenté de 12,2% pour atteindre 948,1Mds$, le plus large écart jamais enregistré, alors que les Etats-Unis ont continué de dépendre lourdement des importations en provenance d’autres pays pour répondre à la demande domestique. Les exportations ont aussi augmenté l’an dernier alors que la demande mondiale pour des produits fabriqués aux Etats-Unis a grimpé.
Un rally du dollar en fin d’année a fait monter le prix des produits américains et participé à élargir le déficit annuel. »
Pas d’inquiétude
Après 1971, le dollar a été la première exportation des Etats-Unis. Ils ont envoyé des dollars à l’étranger. Les étrangers ont, en retour, envoyé des téléviseurs, automobiles, puces informatiques, jeans, et tous ce que les Américains désiraient. Tant que les Etats-Unis étaient capable « d’imprimer » de la monnaie, plutôt que d’avoir à la gagner, leur économie, leurs marchés, leurs politiques et leur société s’éloignaient de plus en plus de la réalité.
« Ils transpirent ; nous pensons », était un fantasme flatteur et populaire.
Mais est-ce que penser peut vraiment être séparé de transpirer ? Probablement pas. En même temps que les élites arrêtaient de suer, elles ont arrêté de réfléchir. Et elles furent vite arrivée dans un monde fantastique… où elles pensaient pouvoir « imprimer » leur richesse et emprunter leur prospérité.
La Fed a réduit son principal taux directeur sous zéro et l’a gardé à ce niveau pour près de 13 ans… tandis que les administrations de Trump et Biden distribuaient des milliers de milliards de dollars en chèques de « relance » pour stimuler le PIB… et que, depuis 1999, le gouvernement américain a ajouté 27 000 Mds$ à la dette nationale.
Et, comme nous l’avons vu hier, David Ignatius, propagandiste en chef au Washington Post, pense que ce genre de politiques magiques fonctionneront aussi bien à l’étranger qu’elles l’ont fait aux Etats-Unis. La mort de centaines de milliers de personnes en Ukraine… et un coût de milliers de milliards de dollars… est acceptable, selon lui, parce que cela aura permis à l’empire américain d’obtenir des « retombées stratégiques inattendues ».
Mais attendez. Ce n’est pas tout. Nous avons vu comment le remplacement du dollar en 1971 a perverti l’économie, les marchés, la politiques et la société. Nous avons vu comment la fausse monnaie a enrichi les riches et appauvri, en termes relatifs, les pauvres… et comment les médias mainstream se sont transformés en presse de caniveau, ne faisant qu’interpréter et renforcer le message des élites.
Mais il y a plus à dire sur le sujet, non ? C’est ce que nous verrons demain…
2 commentaires
Toujours du grand style et une culture économique impressionnante.
A mon avis, les entreprises à but lucratif plafonné vont « décrocher la lune », c’est-à- dire réussir à construire l’IA forte, et cela pour des raisons morales.
En effet, elles partagent la même philosophie que celle de l’IA forte : travailler pour le bien de ‘humanité.
C’est la condition pour que cette aventure soit un succès.
Merci pour cette vision « monétaire ». Toutefois, avant 1971, il y a eu 1968, rapidement jeté dans les poubelles de l’histoire, et il y avait largement de quoi le faire. Or, 1968, c’est la fin de ce qui a été appelé pompeusement les 30 Glorieuses. La classe politique au pouvoir dans le monde a bien compris ce qui se passait dans le subconscient des masses populaires qui se sont mises en mouvement dans cette période. Cette classe au pouvoir était largement bien informée de leur situation économique désastreuse qui perdurait depuis 1873. Malgré ses velléités de « redresser » son système économique, par notamment des guerres mondiales, rien n’y pourvu, sauf à observer quelques périodes relativement fastes. Nous sommes en 2023, la planche est bien savonnée et comme dit la glissade s’accélère vertigineusement, mais vers où ? Annoncée depuis 1973, la fragmentation de l’économie capitaliste est en cours. Elle a commencé avec les crises dites « pétrolières » qui n’étaient en fait que les premiers soubresauts consécutifs à la décision de Nixon sous la pression de la finance étasuniennes. Cinquante ans plus tard, les ruptures, déjà existantes, s’élargissent. Les sanctions variées actuelles n’étant qu’une autre forme de protection douanière, étendues par l’extraterritorialité de règles arbitraires nécessaires aux besoins de la finance. Le « polycentrisme » préconisé par ailleurs n’est pas autre chose qu’un replâtrage éphémère des énormes fissures dans cette économie où chacun tente de sauver ses meubles vermoulus et ce sauvetage implique que le désastre est en cours. A l’instant, rien n’indique un retour en arrière dans ce schuss vertigineux. Y aura-t-il un mur ou un précipice ?