Les marchés montent et tout le monde est content : la Fed a réussi, elle a sauvé l’économie ! En réalité, c’est tout le contraire.
Les marchés boursiers, dit-on généralement, ont une longueur d’avance sur l’économie réelle. C’est cette croyance qui selon moi produit l’opinion positive des commentateurs : puisque les marchés montent, cela signifie que Powell a réussi.
La chaîne CNBC prétend que le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, est un grand homme parce que les marchés actions se sont vigoureusement redressés en réponse à l’action de la Fed. Le dollar est également considéré comme un baromètre positif pour la Fed car il est toujours en mode rally.
Ceci implique que la question de la transmission est tranchée : l’argent va aller là où il est espéré qu’il aille et servir à faire ce que l’on attend qu’il fasse.
C’est un espoir, une croyance qui n’a à ce stade aucun fondement.
Au contraire.
Si les prêteurs ne prêtent pas et si les emprunteurs n’empruntent pas, alors toute la liquidité est une liquidité morte, la circulation de la monnaie n’atteint aucune vitesse susceptible de produire une issue positive.
La hausse des marchés financiers n’est pas le signe d’une réussite, c’est plutôt le signe d’un échec.
Signes contradictoires
Et si ce n’est pas encore le signe d’un échec c’est le signe d’un doute, d’un questionnement.
Si l’argent allait là où il est utile, il ne viendrait pas faire une hernie dans le marché secondaire des actifs.
C’est ce que nous explique régulièrement Jeffrey Snider, directeur des recherches du fonds Alhambra Investments : le signe du succès et de l’efficacité des politiques monétaires, ce ne serait pas la baisse des taux longs (et la hausse des prix des actifs longs), mais au contraire leur hausse. Cela serait une indication que l’argent va là où il est espéré.
De même, la hausse des réserves des banques n’est pas un signe de succès, c’est un signe de l’ampleur du mal, un signe de grippage :
« L’utilisation de ces réserves est centrale, elle dépendra, comme [ces utilisations] l’ont toujours fait, du fait que le prêteur bancaire rencontrera ou non l’emprunteur bancaire. »
Les premiers indicateurs et les premiers enseignements ne nous disent rien sur le potentiel déflationniste et encore moins sur les futurs développements inflationnistes.
Joseph Schumpeter a fait la chronique de la Grande dépression en mettant en avant le concept de « push on a string », « pousser sur une corde ».
Il est facile de prévenir un boom en montant les taux d’intérêt à un niveau qui ralentit les emprunts, mais il est difficile de déclencher/accélérer une activité économique en abaissant les taux d’intérêt.
Les situations sont totalement dissymétriques.
L’importance du risque/bénéfices
La clef de la réussite est le taux de profitabilité. Si les entrepreneurs / hommes d’affaires ne voient pas la possibilité de générer des bénéfices suffisants en regard des risques qu’ils encourent, ils s’abstiennent, ils font la grève.
Or d’une part les risques sont grands, l’incertitude est totale et les occasions d’investir de façon profitable très rares… et d’autre part, la performance des marchés financiers, grâce à la pyramide de Ponzi, est en revanche très attrayante.
Elle est attrayante et elle fait concurrence à l’économie réelle car on sait – tout le monde sait – que la banque centrale n’autorisera pas la baisse et donc les pertes. A choisir entre une utilisation productive et une utilisation spéculative, le choix est vite fait ! Dans la configuration actuelle, on préférera la seconde.
Les autorités sont victimes selon moi de la mécanique qui a été enclenchée dès les années 2000 et de l’expérience qui s’est ancrée : les crises enrichissent mécaniquement sans risque car elles font baisser les taux et monter automatiquement la valeur des actifs anciens sur le marché secondaire – et ce au détriment des autres emplois des capitaux.
L’exemple le plus flagrant et le plus vicieux est celui de l’envolée des rachats d’actions – qui ne sont, en dernière analyse, rien d’autre que la monétisation du prix des actions.
Cercle vicieux
En clair, la répétition des crises et des remèdes a produit un apprentissage qui dégénère en cercle vicieux.
Si tout l’argent va consolider les bilans des entreprises et des ménages, alimenter la spéculation, la vitesse de l’argent n’accélérera pas, il ne déclenchera aucune inflation. Plus les performances boursières seront spectaculaires, plus la loterie sera tentante et plus l’imaginaire boursier se posera comme le concurrent de l’économie réelle.
Je suggère donc de ne pas suivre les commentaires des médias lorsqu’ils prétendent que la hausse de la Bourse et celle du dollar sont des signes positifs précurseurs. A mon sens ce sont des signes inquiétants !
Mieux vaut réfléchir à ce que l’on souhaite, avant de se féliciter des rallies boursiers…
Une chose en revanche me semble sûre : peu importe que l’on aille vers la déflation ou l’inflation, les métaux précieux sont demandés. Ils suggèrent qu’il existe une réelle inquiétude quant à la crédibilité des principales banques centrales du monde.
L’or est le baromètre de la préoccupation/inquiétude mondiale pour toutes les monnaies fiduciaires, car la réserve de valeur universelle a atteint des sommets historiques – contre tout sauf le dollar.
Mon sentiment est que la valeur du dollar ne pointe nullement la confiance ; elle est selon nous en grande partie technique, et donc trompeuse. La question de la crédibilité de la banque centrale américaine est posée.
La force de la monnaie américaine, c’est une histoire de dettes, d’énormes dettes des pays émergents. Ces dettes sont libellées en dollar – or l’effondrement des prix des matières premières au cours des dernières semaines, alors que l’économie mondiale s’arrête, prive ces pays des rentrées nécessaires à la satisfaction de leurs obligations.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]