L’Histoire – et les crises – se répètent : la déstabilisation de la Zone euro est à nouveau à l’ordre du jour… et on ressort les anciennes recettes de sauvetage.
L’Histoire se répète, même si la crise est différente : crise de la finance en 2008 ; choc d’offre plus proche d’une économie de guerre en 2020.
Les conséquences sur la déstabilisation de la Zone euro sont les mêmes, en revanche – avec l’éternel sujet qui revient hanter les marchés : la difficulté de faire coexister dans la même union monétaire le modèle de spécialisation économique industrielle des pays d’Europe du nord et celui d’Europe du sud (France comprise), basé sur les services souvent non exportables.
Les risques d’existence de l’euro réapparaissent (on verra dans un prochain papier que malgré toutes ces incertitudes et malgré les dysfonctionnements de la zone, il ne faut pas perdre son temps, son énergie et son argent à re-spéculer sur la disparition de l’euro).
Lors de dernière grande crise financière, nous avions eu les enchaînements suivants :
– Phase 1, été 2007 : la crise des subprime qui concerne un petit compartiment du marché immobilier US ;
– Phase 2, marquée par une contagion mondiale avec une crise de la titrisation (à base de subprime) qui se transforme en crise bancaire : Bear Stearns mars 2008 ; paroxysme de la crise avec le défaut de Lehman en septembre 2008 ;
– Phase 3 avec les plans de sauvetage des banques qui vont entraîner l’explosion des dettes publiques et assommer les Etats les plus fragiles de la Zone euro. C’est le début des interventions FESF/MES/BCE/FMI : Grèce en mai 2010 et plans de restructuration 2011, 2012 et 2015 ; Irlande mars 2011 ; Portugal mai 2011 ; Italie novembre 2011 ; Espagne juillet 2012 (surtout son système bancaire).
Et en 2020 ?
En 2020, on part d’un choc d’offre considérable qui va dégrader les économies dans des proportions jamais vues depuis 75-80 ans. Il entraînera aussi une explosion des dettes publiques (déjà « insoutenables » pour certains pays avant la crise) et donc réintroduire des doutes sur la coexistence de certains pays au sein de la Zone euro.
Ainsi, les dispositifs mis en place il y a 10 ans sont réactivés. Rien de nouveau sous le soleil – et pour cause : il n’y a que trois façons de mobiliser de l’argent pour sortir d’une crise (les impôts, la dette ou la création de monnaie). En temps de guerre ou de crise, la croissance du PIB est impossible et la fiscalité inutilisable, il ne nous reste donc que la dette et la création monétaire.
C’est vrai que j’aime souvent citer ce proverbe attribué à Confucius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. » Si ce proverbe est juste et plein de bon sens, il mérite d’être tempéré : pendant qu’on lui apprend à pêcher, il peut être nécessaire de le mettre dans les meilleurs conditions d’apprentissage en lui donnant un poisson.
Rappels sur le Mécanisme européen de stabilité (MES)
Depuis la crise financière de 2008, la réglementation bancaire a évolué en matière de résolution des faillites bancaires.
L’idée était d’atténuer la consanguinité entre le risque souverain et le risque bancaire : moins les banques posséderont en portefeuille des titres d’Etat, plus elles seront immunisées contre des restructurations de dettes souveraines. Réciproquement, moins les Etats auront besoin de sauver les banques, moins leur risque d’insolvabilité sera grand et plus l’épargne investie en titres d’Etat sera protégée.
Voilà pourquoi il fallait absolument que les banques aient les moyens de se sauver elles-mêmes (bail-in) et non plus se sauver par des interventions extérieures type banque centrale, Etat, FESF (Fonds européen de stabilité financière) avec la participation du FMI en 2010-2012, MES (Mécanisme européen de stabilité) depuis 2012 (bail-out).
Dans la pratique, les choses sont un peu plus compliquées. Le bail-in va supposer que les pertes des banques devront être supportées par les actionnaires et les créanciers des banques.
Il va exister une hiérarchie des pertes jusqu’à 8% du total du passif bancaire (core Tier 1 + additional Tier 1 + Tier 2 + dette subordonnée + dette senior). Au-delà de ces 8%, il est prévu une injection d’un fonds de résolution bancaire national (en passe de devenir européen) jusqu’à 5% du total du passif bancaire.
Si ces contributions ne suffisent pas à sauver un système bancaire national, cependant, il faudra quand même solliciter les finances publiques du pays dans le cadre des nouveaux dispositifs de résolution. Eh oui ! Le bail-out en dernier recours, mais le bail-out quand même, si les bail-in ne suffisent pas à éponger les pertes.
Impossible de se sauver soi-même
En période de crise, on voit bien qu’il est impossible de se sauver soi-même, que l’on soit un Etat en grandes difficultés budgétaires ou une banque insuffisamment liquide ou/et solvable à terme.
Reconnaissons toutefois que la plupart des banques sont fondamentalement saines en termes de ratios de liquidité et de solvabilité, et que malgré leurs perspectives de rentabilité fortement dégradées, elles ne sont pas menacées dans leur existence – contrairement à 2008.
Le bail-in total sera donc impossible. C’est la raison pour laquelle on reparle du MES qui, je le rappelle, a déjà huit ans. A la différence du Fonds européen de stabilité financière, qui a fonctionné avec la garantie des Etats pour emprunter des fonds et les prêter (Grèce 2010-2011, Portugal 2011, Irlande 2011…), le MES dispose d’un vrai capital de départ de 80 Mds€ et d’un capital mobilisable de 620 Mds€, ce qui en fait un organisme proche d’une banque.
Il a été en fait créé pour recapitaliser les banques directement et pour montrer que celles-ci pouvaient se passer du secours des Etats (on est en fait en faux bail-in et en plein bail-out déguisé).
En effet, les pays de la Zone euro participent à hauteur de ces 80 Mds€ sous forme de liquidités, payées en tranches de 16 Mds€ chacune pendant les cinq premières années d’existence. Les 620 Mds€ restants sont constitués de capital appelable auprès des Etats en cas de besoin.
410 Mds€ « seulement »
Encore et toujours de l’argent public… et la preuve, s’il en était besoin, que l’on ne sait résoudre les problèmes d’endettement que de deux façons : le bail-out qui permet de gagner du temps – ou le douloureux bail-in qui met à contribution les actionnaires, puis créanciers obligataires et, si cela ne suffit pas, les déposants « riches ».
Officiellement donc, le capital appelé ne devra pas être utilisé pour prêter ou acheter de la dette publique, mais devra servir à absorber les pertes liées à des restructurations de dettes souveraines.
Le MES peut donc recapitaliser les banques. Cette recapitalisation directe (sans passer par les budgets des Etats) est possible depuis la mise en place de la supervision bancaire unique à l’échelle européenne (Arrêté du 03/11/2014 qui confie à la BCE la supervision de 130 banques de l’Union européenne).
Aujourd’hui, le montant disponible n’est que de 410 Mds€. L’accord du 9 avril dernier qui met à contribution le MES l’éloigne quelque peu du rôle qui était le sien lors de sa mise en place puisqu’il ne concerne pas des recapitalisations bancaires mais un soutien massif aux finances publiques des Etats de la Zone euro.
En effet, les Etats en difficultés budgétaires pourront être autorisés à tirer sur les lignes de crédit disponibles jusqu’à un plafond de 2% de leur PIB, soit jusqu’à 240 Mds€ dans le scénario extrême de tirage maximal par tous les Etats en même temps.
Dans le communiqué, il est tout de même fait état d’une condition :
« La seule exigence pour accéder à la ligne de crédit sera que l’Etat membre demandant un soutien devra s’engager à utiliser cette ligne de crédit pour soutenir le financement domestique direct ou indirect du système de santé, les soins et la prévention relative aux coûts dus à la crise du Covid-19. »
On est donc bien dans une crise économique profonde avec des conséquences majeures sur les dettes publiques et non pas, comme il y a 12 ans, dans un contexte de pure crise financière et bancaire.
Nous verrons la suite dès demain.