La finance actuelle n’enseigne pas les bonnes leçons ; aveuglés, avilis, manipulés, les individus ne savent plus prendre les bonnes décisions.
Dirigée par les PhD – les diplômés d’économie sans prise avec le monde réel, comme nous l’avons vu vendredi –, libérée de l’or après 1971, la Fed est intervenue pour « nettoyer » après la catastrophe financière spéculative de 1998 créée par la gestion de LTCM.
Elle est intervenue pour nettoyer après le sinistre spéculatif des dot.com, puis pour éteindre les incendies spéculatifs de l’immobilier et de l’hypothécaire de 2008.
Le taux d’intérêt a été ramené à zéro et maintenu à ce niveau pendant des années. Aujourd’hui, si la Fed écoutait Trump, la politique monétaire serait utilisée pour financer MAGA, « make America great again. »
Alexander Hamilton aurait-il été choqué par ces mesures radicales ? Certainement, et Glass aussi.
Mais la modernité en tant qu’idéologie sociale gérée par les classes dominantes a pour fonction d’euthanasier le passé, de neutraliser l’esprit critique, de supprimer les références et ainsi de valider les escroqueries des élites. « Le culte des ancêtres est un pauvre substitut du progrès », disent-ils.
La science, cependant, est une chose – la finance en est une autre. En science, les progrès sont cumulatifs et ils sont sous le contrôle de l’expérience et des résultats. En matière scientifique, « nous tenons sur les épaules de géants ».
En finance, nous sommes juchés sur les épaules de nains de la pensée. Ce que j’ai écrit dès 1981, il y a fort longtemps donc.
La finance masque le réel
Ce n’est pas parce qu’en matière financière nous n’apprenons jamais. Non. Nous apprenons. Mais nous n’apprenons pas ce qu’il faut : nous n’apprenons pas à comprendre le réel.
Cela, le réel, la finance a pour fonction de le masquer !
La finance, comme la monnaie et comme les récits des élites et de leurs mercenaires, a pour fonction de le voiler, de le dissimuler. La finance c’est le grand non-su, le grand non-formulé.
Nous n’apprenons pas l’effort, mais la facilité, la veulerie, l’esprit de jeu et d’irresponsabilité. Nous apprenons à réagir aux incitations, aux manipulations, aux interventions désormais prévisibles de la Réserve fédérale et de ses consœurs visant à soutenir le marché boursier, visant à forcer les gens, ceux qui le peuvent, à s’endetter et à gaspiller l’argent des autres.
Nous apprenons certes… mais nous apprenons à nous habituer au vice, au vice du casino – et c’est ainsi que toute l’activité humaine est devenue le sous-produit d’un jeu de casino.
Nous apprenons à profiter, lorsque nous le pouvons bien sûr, des opportunités offertes par les taux d’intérêt toujours plus bas. Nous apprenons à spolier, à attirer à nous des richesses réelles que d’autres ont produites mais pour lesquelles ils n’ont pas été payés, pas rémunérés.
Le chiffre le plus important de tous
Les taux d’intérêt sont probablement les chiffres les plus importants et les plus conséquents du capitalisme. Ils régulent les rapports entre le présent et l’avenir, ce que l’on appelle les préférences dans le temps.
Ils équilibrent l’épargne et l’investissement, ils actualisent les flux de trésorerie futurs, ils définissent les taux de rendement des investissements, ils mesurent le risque financier, ils déterminent les taux de change entre les différentes monnaies et donc le pouvoir de prélèvement d’un pays sur la richesse mondiale.
La Fed et ses homologues étrangers passent leur temps à manipuler, à influencer, les taux d’intérêt à long terme et à court terme.
Les marchés financiers et les ultra-riches, comme leurs gouvernements, adorent cela ! Les taux artificiellement bas des 10 dernières années ont avantagé les investisseurs, les spéculateurs en général, les promoteurs d’entreprises, les spéculateurs immobiliers et les politiciens.
Ils amortissent ou suppriment les capteurs, les avertisseurs, les indicateurs de risque. Les taux manipulés – comme ceux qui prévalent depuis plus de 10 ans – allouent des fortunes tombées du ciel. Ce sont des désinhibiteurs financiers, ils encouragent à la prise de risque donc ils incitent à la spéculation.
Mais le risque est toujours là, lui ! Il est logé dans le bilan des banques centrales – c’est-à-dire dans le patrimoine commun de tous les citoyens, de tous les contribuables.
Ceux qui s’enrichissent reportent structurellement le risque sur la société tout entière
C’est la socialisation, mais inversée : pour les riches au détriment de la masse, au détriment des pauvres. Ah, les braves gens.
Les taux bas – selon certaines mesures, ce sont les plus bas depuis 3 000 ans – ont pénalisé les épargnants, les classes moyennes, et ils ont incité les possédants à prendre des risques douteux.
Ils ont accéléré la croissance de l’endettement mondial, maintenu en vie des entreprises qui auraient échoué sans le crédit facile.
Ils ont creusé le fossé qui sépare les riches et les pauvres.
Ils ont détruit nos arrangements politiques, disloqué nos sociétés et créé ce que l’on fait semblant d’appeler, pour le stigmatiser, le populisme.
Ce n’est que le début car ces taux bas détruisent en profondeur nos systèmes de retraite, ce qui va paupériser, rendre dépendants, prolétariser des masses considérables de population.
Tout est devenu faux, artificiel.
Nous vivons dans une « fausse économie ». Nous disloquons nos sociétés et les valeurs qui vont avec. Nous produisons de nouvelles valeurs de moindre effort, de mensonge et de mystification. Tout en découle : le mal se répand de proche en proche, comme du liquide. Le « pognon » des banques centrales arrose tout et pourrit tout.
Le problème est que les coûts des politiques monétaires scélérates sont différés ; les ravages sont peu clairs et non évidents. La chose monétaire est opaque. On peut toujours tricher avec tout ce qui est monétaire.
En revanche les cadeaux tombés du ciel que les politiques monétaires font pleuvoir sont bien visibles, gratifiants et immédiats.
Ces cadeaux sont transitoires
Les entreprises zombies finissent par faire faillite. Les prix des actifs gonflés à l’hélium monétaire finissent par chuter ; on ne trouve dans l’Histoire aucun exemple de bulle durable.
La vérité des valeurs, la loi de la Valeur finissent toujours par s’imposer, la gravitation est toujours la plus forte. Tout ce qui est soutenu demande un effort, une énergie – et donc l’effort finit soit par céder soit par être contre-productif.
En d’autres termes, dans le vrai monde, on ne rase pas gratis. Ce n’est que dans l’imaginaire monétaire que l’on a quelque chose pour rien.
Même ceux qui s’enrichissent en ce moment, maintenant, les ultra-riches, subiront la contrepartie, le coût de leurs gains actuels : le système qui les fait exister part en lambeaux, les consensus s’effondrent. Un jour, ils seront nus.
La richesse n’est qu’un rapport social relatif à un ordre qu’ils sont eux-mêmes en train de détruire.
Si vous avez compris ce que j’essaie de faire passer vous comprenez également que Macron, l’Europe, les élections, tout cela c’est du pipeau, c’est la surface des choses. Tout se passe ailleurs.
Seule une pensée radicale, c’est-à-dire une pensée qui va à la racine des choses, peut faire progresser les luttes et leur donner un sens. Tout le reste se situe dans la bouteille, comme je le dis, dans l’imaginaire, dans la névrose, et est un produit du système contre lequel on croit lutter.
C’est l’origine du sentiment d’impuissance que ressentent tous les révoltés et tous rebelles.
NB : Ce texte m’a été inspiré par une conférence de Jim Grant, le géant de la chose monétaire et des taux d’intérêt. Je lui rends hommage. J’ai laissé courir mes associations, mes raisonnements, ma propre logique mais je dois beaucoup à son texte, je tiens à le préciser.
Disons, si cela existe, que c’est une sorte de détournement de son exposé pour exprimer quelque chose que j’avais à cœur de formuler.
2 commentaires
Merci pour cette réflexion originale et sincère, qui nous montre du doigt la « vérité ».
merci pour ce développement d’une finesse et d’une intelligence rares …