** La Fed — et à sa suite les principales banques centrales occidentales — et les établissements de crédit américains viennent de s’entendre pour modifier radicalement les règles du capitalisme : nous entrons de plain- pied dans l’ère merveilleuse de l’économie à irresponsabilité financière illimitée.
Il suffit désormais de se fourrer dans un pétrin monstrueux et de perdre suffisamment d’argent — au risque de faire faillite — pour se présenter aux guichets de la Fed avec un document prouvant l’étendue du passif lié à l’effondrement des marchés dérivés de crédit. Vous obtiendrez alors un montant de liquidités permettant le respect des ratios de sécurité (fonds propres) exigés par les autorités de tutelle : SEC, Trésor, commission bancaire.
Il faut vraiment appartenir à la vieille école pour estimer que la mise en place de mesures aussi extraordinaires — voire impensables pour un emprunteur lambda –, au lendemain d’un troisième abaissement des taux directeurs (escompte et prises en pension) et d’un gel des prêts à géométrie variable de type subprime, obéit à la nécessité d’éviter une catastrophe systémique comparable à 1929, mais à la dimension d’une économie globalisée.
Certes, la Fed va procéder par adjudications. Les lignes de crédit vont être mises aux enchères (leur coût sera donc variable) et les demandeurs devront apporter des actifs en garantie. Mais qu’est-ce qui interdit de gager des créances dont la valeur reste purement théorique en l’absence de prix marché, les transactions étant gelées depuis mi-août ?
Et même si les liquidités offertes sont un peu plus chères — mettons 50 points de plus — que le taux plancher officiel (4,25%), cela vaut mieux que de se refinancer par augmentation de capital à 7,5% (MBIA, Washington Mutual), à 9% (UBS) ou 11,2% (Citigroup) auprès de richissimes investisseurs privés. La Fed espère que ce ballon d’oxygène aboutira à la décrue des primes exigées par les établissements bancaires pour se prêter, entre eux, de l’argent à court terme. Pour du plus long terme, c’est encore trop tôt pour y songer…
** A propos de ballon, nous ne voulons pas être en reste d’inventivité : nous proposons une modification temporaire des règles applicables aux joueurs de foot de l’équipe américaine qui serait appelée à disputer des championnats internationaux.
En nous inspirant des différentes initiatives de la Fed et de la Maison-Blanche, nous invitons la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) à abolir la règle du hors-jeu pour les joueurs américains dès l’entame du match.
En cas d’inefficacité de cette mesure, il faudra également autoriser les milieux de terrain américains à porter le ballon à la main jusqu’au point de penalty ; si cela ne marche toujours pas, les défenseurs seront habilités à plaquer au sol le gardien adverse tandis que les ailiers et les attaquants pourront tenter de pénétrer (façon mêlée ouverte) avec le ballon dans le but.
Et si cela ne donne aucun résultat, il sera imposé à leurs adversaires de ne se déplacer qu’à genoux — les mains attachées dans le dos avec les lacets de leurs propres chaussures — dès que l’arbitre aura sifflé le coup d’envoi de la deuxième mi-temps.
En cas de match nul au bout du temps réglementaire, une prolongation de deux fois quinze minutes leur sera accordée tandis que les joueurs d’en face seront progressivement renvoyés au vestiaire à un intervalle de trois minutes, par ordre de date de naissance décroissant.
Vous nous rétorquerez que tout cela tue le suspens et qu’à ce rythme, les stades risquent d’être rapidement désertés. Mais songez d’abord aux enjeux : vous ne voudriez tout de même pas que les footballeurs américains soient lâchés par leur fédération et doivent se reconvertir dans la poterie ou le macramé !
Qui a dit : « ça vaudrait mieux » ?
Voilà qui n’est pas très charitable ! Vous préfèreriez peut-être que la Fed fasse preuve de la même intransigeance que la BCE : pas question d’emprunter plus qu’on ne peut rembourser, pas question de venir pleurer pour obtenir de l’argent lorsque des années d’excès et de dérives tournent au désastre.
En un mot, pas question de subventionner les erreurs des brasseurs d’argent !
Et pourtant, J.C. Trichet se voit contraint de coopérer avec Ben Bernanke et d’offrir des lignes de crédit sous forme de swaps pour neutraliser le risque de change.
En d’autres termes, les Etats-Unis auront financé une croissance de 4,5% à crédit durant des années tandis que les vertueux Européens se contentaient d’une hausse de PIB poussive. Le comble, c’est que notre propre banque centrale accepte aujourd’hui de participer à l’injection de liquidités à bas prix — pour éviter au système de s’effondrer !
Et tout le monde participe joyeusement à la construction du sarcophage devant confiner le Tchernobyl financier de la crise des dérivés de crédit.
** Les marchés ont littéralement exulté vers 15h00. Le CAC 40 a pris 80 points en deux minutes et 100 points en un quart d’heure… presque un record pour un mouvement intra-day. Lorsque la Fed a dévoilé les mesures que nous venons de décrire, chacun semble oublier que rien de tout ceci ne se serait produit sans l’explosion du réacteur nucléaire du subprime qui a diffusé dans l’atmosphère de l’ensemble de la planète un nuage radioactif transformant les CDO, ABS, CDS en dérivés financiers toxiques, voir mortels pour ceux qui en ont abusé !
Après tout, le nettoyage des créances contaminées est un vaste champ d’expérimentation riche de promesses et plein d’heureuses surprises !
Paris a terminé cette séance — tout à fait hors normes — sur une hausse assez anodine de 0,32%, le CAC 40 ne parvenant pas à se repositionner au-dessus des 5 750 points. En Allemagne, le DAX a retracé (à 0,25% près) son plus haut absolu et a inscrit une clôture à 8 076 points, au-delà de son ex-record historique du 12 mars 2000.
La volatilité a pratiquement battu un record annuel à Paris puisque le CAC 40 a matérialisé un écart de 3% en valeur absolue entre 5 625 points (plancher de la matinée) et 5 795 points (zénith inscrit vers 15h15). Mais de façon assez surprenante, il ne s’est échangé que six milliards d’euros sur les 40 vedettes de la cote, ce qui reste particulièrement faible compte tenu de l’amplitude des variations observées en ce mercredi. Le SBF 120 n’a grappillé que 0,25% car les valeurs moyennes du SBF 80 ont clôturé en repli symétrique de 0,25%.
La déception qui a suivi la baisse de seulement 25 points de base des taux de la Fed mardi soir s’est soudain évaporée (tout s’explique, tout s’éclaire !). Et l’euphorie succède à la déprime : à mi-séance : le Dow Jones a repris 100 points (0,7%) et le Nasdaq 1,25%.
Au passage, nous trouvons assez étrange que la Fed ait encouragé un brutal décrochage de Wall Street mardi soir alors qu’une divulgation des mesures présentées ce mercredi aurait neutralisé la volatilité des indices américains : était-ce l’effet recherché ? Au profit de qui ?
** Dans un tel climat boursier, la flambée de 2,7% des prix à l’importation du mois de novembre (la menace inflationniste reste bien présente : l’indice fait un bond de 11,4% sur un an, battant un record vieux de 25 ans) passe totalement inaperçue, ainsi que la contraction des stocks de pétrole brut et de fioul domestique. Le baril s’envole de 3,3% à 93 $.
Mais qui se soucie d’une poussée de l’inflation aux Etats-Unis ? Certainement pas les cambistes qui se remettent à arbitrer massivement le yen au profit de l’euro (2% en une semaine) –et, dans une moindre mesure, au profit du dollar, qui grimpe au-delà de 112,3 face à la devise nippone. Le mécanisme pervers du carry trade repart de plus belle et Wall Street peut se remettre à espérer de nouveaux records d’ici le 21 décembre prochain !
Philippe Béchade,
Paris