▪ Eh bien, voilà l’occasion de passer de la théorie à la pratique.
Il commence à se dire que le recul des marchés depuis 48 heures serait dû à l’impératif de sécuriser les gains — cela à quelques séances des dernières opérations d’habillage de bilans. Les 18% à 19% de hausse annuelle que le CAC 40 a réussi à afficher mi-novembre étaient pour le moins inespérés.
Toutefois, c’est peut-être passer à côté d’une évidence qui nous semble dérangeante : les valeurs françaises — qui ont moins progressé que la plupart de leurs consoeurs européennes et que beaucoup nous disaient très en retard, très sous-valorisées, en attente d’un « grand rattrapage » — sont en fait celles qui ont perdu le plus de terrain en 48 heures.
Quelqu’un, quelque part aurait-il une dent contre les vedettes du CAC 40 ? Et pourquoi ?
Cela dit, les valeurs britanniques, malgré un QE agressif de la Banque d’Angleterre, une monnaie de combat et une réindustrialisation qualifiée d’historique, se trainent au fond du classement des places du Vieux Continent. Elles enregistrent seulement +10,5%, soit une performance inférieure de 30% à celle du CAC 40, de 50% face au DAX 30 et de 65% par rapport à celle du Nasdaq.
Les composantes du Nasdaq 100 affichent désormais un PER de 21,5 selon le modèle « ajusté des cycles » du prix Nobel d’économie (édition 2013) que nos lecteurs connaissent bien, Bob Shiller.
▪ Différentiel de performance
Graham Summers, le stratège en chef de Phoenix Capital Research, affirme que les investisseurs particuliers achètent des actions à un niveau jamais vu depuis le pic de la bulle internet en 2000.
Les technos, biotechs et autres « cloud-techs » refusent obstinément de consolider. Ce sont les seules qui n’ont pas perdu un pouce de terrain mercredi soir. Observons que le Dow Jones (-0,16%) et le S&P 500 (-0,13%) n’ont pas perdu grand’chose non plus.
Cela ne fait qu’accroître le différentiel de performance par rapport au CAC 40, qui a lâché 0,56% hier après -2,65% la veille.
Le S&P engrange +6,5% depuis le 1er octobre, le CAC 40 fait « zéro ». C’est un des écarts les plus impressionnants et le plus rapide depuis une bonne décennie.
Les permabulls expliquent cette différence par de bien meilleurs fondamentaux aux Etats-Unis. On y constate une marche triomphale vers l’indépendance énergétique — grâces en soit rendues aux gaz de schiste et aux gisements de pétrole « alternatif ». Il y a également une inventivité constante en matière de nouvelles technologies et d’applications internet ; même si cela ne rapporte rien dans l’immédiat, des gisements de profits seront découverts au cours des prochaines années… car il en a toujours été ainsi au fil des siècles.
Et puis l’Amérique se désendette, mais si, mais si ! Voyez le volume des émissions de Bons du Trésor américain qui décroit au fil des mois, les recettes fiscales qui augmentent : tout cela va dans le sens d’un retour à la prospérité.
▪ Et pourquoi devraient-ils penser autrement ?
Le Livre beige de la Fed publié mercredi soir ne peut que conforter une vision optimiste des choses.
Certes, la Fed évoque toujours cette même croissance lente (de modeste à mesurée), un marché de l’emploi qui tarde à retrouver son dynamisme (les embauches restent proportionnellement peu nombreuses)… Cependant, elle souligne également des « points d’amélioration » dans tous les secteurs d’activité et dans pratiquement toutes les régions, sauf Philadelphie et Cleveland (épicentre de la crise automobile et sidérurgique en 2008/2009).
Le revers de la médaille, c’est que l’embellie devient trop visible aux yeux de Wall Street (pour l’Américain moyen, c’est toujours l’heure de la crise et de baisse du pouvoir d’achat).
Les chiffres publiés hier ont en effet de quoi alimenter le débat sur un tapering… Lequel, en cas de forte hausse des créations d’emplois vendredi, pourrait bien être mis sur les rails dès la prochaine réunion de mi-décembre (les 17 et 18) et amorcé fin janvier.
Heureusement que d’ici là, les parlementaires américains auront le temps de nous monter un nouveau psychodrame autour d’Obamacare (son coût reste le « seul point noir » véritable de l’automne, selon le Livre beige que nous venons d’évoquer).
▪ Incertitudes politiques
Si la Fed avait voulu inviter les « ultras » de l’aile conservatrice du parti républicain à déclencher une nouvelle guérilla anti-démocrates au Congrès, elle n’aurait pu mieux s’y prendre.
Et les incertitudes politiques sont un excellent motif de différer toute mesure d’allègement du QE3 au cours des deux prochains mois.
Le déluge de chiffres tombés mercredi après-midi fait pourtant pencher la balance en faveur d’une inflexion du discours de la Fed. Nous retenons en particulier l’enquête d’ADP sur les créations d’emplois dans le secteur privé : l’agence a décompté 215 000 créations d’emplois dans le secteur privé en novembre (dont 176 000 rien que pour les services) alors que les économistes anticipaient 170 000 créations de postes.
Notons cependant que les embauches sont chaque année très nombreuses en novembre dans le secteur de la distribution : il faut en effet compter avec la période de vente intense de Thankgiving, du « Black Friday » et du « Cyber Monday ».
Des signaux encourageants également avec le déficit commercial américain. Il s’est contracté de 5,4% à 40,6 milliards de dollars, avec une solide reprise des exportations à la clé.
La publication des PMI concernant le secteur des services s’avère en revanche plus contradictoire. Le baromètre de Markit est ressorti en peu « en dedans », à 55,9 en novembre (contre 57,1 en préliminaire) mais bien au-dessus des 49,3 du mois précédent.
En ce qui concerne l’enquête ISM, c’est assez paradoxal : le score de novembre ressort à 53,9 contre 55,4 — moins bon que prévu, mais toujours très au-delà du seuil technique des 50.
Toutefois, l’amorce d’une correction de moyenne ou grande ampleur ne se déclenchera que si les chiffres de l’emploi publiés vendredi confirment un momentum positif sur le marché du travail. Surveillez d’éventuels mouvements impromptus en cours de séance jeudi : ils auront valeur de signes précurseurs de la tendance.