▪ Tandis que le marché américain fluctue, la marotte de Ben Bernanke, le projet d’assouplissement quantitatif (QE, pour quantitative easing), reste au centre des attentions. La plupart des créanciers des Etats-Unis n’ont que mépris pour le QE, qu’ils considèrent comme un flirt imprudent avec une dépréciation de la monnaie. D’un autre côté, la plupart des débiteurs américains approuvent le QE et le considèrent comme un remède miracle, "bon pour les maux dont vous souffrez".
Les deux parties ont raison. Lorsqu’on déprécie une monnaie, les créanciers perdent et les débiteurs gagnent. Et selon le dernier pointage, le gouvernement américain devait beaucoup d’argent à beaucoup de monde. Par chance, imprimer un billet d’un dollar ne coûte que deux cents de papier et d’encre. Alors, un peu d’impression de monnaie "hors programme" allège considérablement la charge de la dette.
De toute évidence, dans la mesure où les créanciers sont influençables, imprimer l’argent avec lequel on les rembourse est une idée géniale. Le problème est qu’en général ces derniers ne tolèrent pas très longtemps de telles filouteries.
Le président Bernanke insiste : son projet de QE n’a rien à voir avec le fait d’escroquer subtilement les créanciers. A l’en croire, il se contente de suivre le double mandat de la Fed : une inflation stable et un taux d’emploi maximum. Mais le QE semble surtout aller dans le sens d’une inflation maximum pour un chômage stable. Au minimum, le QE réduit le double mandat de la Fed à un mandat unique : la croissance de l’emploi. Cela, le président Bernanke est prêt à l’admettre.
Lors d’une conférence la semaine dernière, Bernanke a observé : "s’ils continuent sur leur trajectoire actuelle, les Etats-Unis courent le risque de voir des millions de gens sans emploi ou sous-employés pour des années… En tant que société, nous devrions juger cela inacceptable".
▪ Bernanke favorise clairement le mandat de l’emploi par rapport à celui de "l’inflation stable". A ce titre, il insiste sur le fait que sa tactique de QE peut graisser la machine du renouveau économique. Malheureusement, à ce jour, les faits contredisent cette affirmation.
"Depuis le 25 novembre 2008, lorsque la Fed a annoncé qu’elle commencerait à racheter la dette et des titres adossés à des créances hypothécaires de Fannie et Freddie", observe Evan Lorenz de la lettre Grant’s Interest Rate Observer, "le taux des nouveaux prêts immobiliers à 30 ans a baissé de 1,6 points de pourcentage, à 4,32%, selon Bankrate.com. Toutefois, les ventes de maisons neuves ont chuté de 26%… [depuis] le début du rachat des hypothèques".
"Pendant ce temps", continue Lorenz, "les ventes de maisons anciennement habitées ou ‘existantes’, ont chuté de 9%…On pourrait soutenir que la Fed, malgré ses bonnes intentions, empire les choses en empêchant le marché de faire le ménage".
▪ Mais le marché du logement n’est pas la seule partie de l’économie qui fournirait un témoignage accablant contre le quantitative easing. Même après deux années d’une ingérence de la part de la Fed de plusieurs milliards de dollars, les signes d’une reprise économique restent rares.
David Rosenberg, économiste, observe : "l’indice de la Fed de New York sur l’activité manufacturière a fortement plongé dans le dernier rapport mensuel, passant de +15,73 en octobre à -11,14 en novembre. C’est la plus grande fluctuation jamais enregistrée en un seul mois et la pire performance depuis les plus bas de la récession d’avril 2009".
De tels chiffres sont incontestablement mauvais ; mais peut-être auraient-ils été pires si Bernanke n’était pas intervenu. Peut-être que l’intervention de Ben dans le secteur privé a empêché une Grande Dépression II.
Peut-être… mais ce n’est probablement pas le cas.
"Dans un ordre d’idées inverse, des recherches très intéressantes valent la peine d’être retenues", écrit James Grant, relayant son collègue. "A Decade Lost and Found: Mexico and Chile in the 1980s ["Une décennie perdue et trouvée : le Mexique et le Chili dans les années 1980", ndlr.], de Raphael Bergoeing, Patrick J. Kehoe et al., publié en 2002, pourrait servir de parabole pour ces périodes interventionnistes. L’article met en opposition la réaction du Mexique et celle du Chili face aux difficultés apparemment insolubles que chacun de ces pays a dû affronter dans les années 1980".
"Malgré un même point de départ, ‘le Chili est revenu à une tendance d’il y a une dizaine d’années et depuis, le pays connaît une croissance plus rapide même que la tendance. En comparaison, la production au Mexique n’a jamais entièrement récupéré et même deux décennies plus tard, elle est encore 30% inférieure à la tendance’."
"La différence ? Le Chili a laissé ses entreprises faire faillite et les marchés opérer des purges. Le Mexique en revanche, anticipant certaines caractéristiques des Etats-Unis de la même époque, permit à son système archaïque de faillites de laisser vivre des entreprises perdant de l’argent et offrit des allocations de crédits selon les directives du gouvernement".
"La forte récession dont a souffert le Chili en conséquence de sa politique apparemment rigoureuse", continue Grant, "n’aura été que le préambule d’une superbe reprise économique. En termes comparatifs, le Mexique a stagné. Appel à Washington : s’il vous plaît, prenez-en de la graine".
Voici ma suggestion : offrir à Ben Bernanke une généreuse retraite, démanteler la Fed, rétablir le lien dollar-or… et laisser le marché se débrouiller tout seul.