▪ La faillite de Lehman, c’était il y a deux ans jour pour jour. Avec le recul, la plupart des témoins et des acteurs de cet événement — qui marquera un tournant dans l’histoire du capitalisme — auraient aussi bien pu ne pas avoir lieu. En effet, l’argument du coût du sauvetage ne tient pas la route lorsque l’on fait les comptes de l’argent public englouti dans le sauvetage d’AIG (sans parler de Freddie Mac et Fannie Mae), dont les pertes furent générées par des activités spéculatives n’ayant pas grand-chose à voir avec son coeur de métier.
Mais l’arrogant Richard Fuld assumait très bien le rôle de méchant, avec cette expression du visage qui aurait pu lui valoir un premier rôle dans un film de gangster du temps de la prohibition. C’était à tel point qu’Henry Paulson n’a pas pu résister à la tentation de profiter de son statut de secrétaire au Trésor US (et ex-PDG de Goldman Sachs) pour éliminer l’un de ses plus féroces rivaux.
Le grand vainqueur de ce règlement de compte habillé à la va-vite d’une vague justification morale, c’est non seulement le "gouvernement Sachs" — resté seul maître du terrain en tant que banque d’affaires et devenant au passage le plus influent opérateur de Wall Street — mais également la Barclays. Cette dernière a en effet mis la main sur une bonne partie de la clientèle institutionnelle de Lehman, pour un prix symbolique correspondant à la valeur du seul immeuble new-yorkais hébergeant le quartier général du groupe.
Toutes ces turpitudes n’ont engendré que quelques déclarations d’intention en matière de limitation des prises de risque et de transparence des échanges. Notez qu’en la matière, rien n’a changé ; nul ne connaît à ce jour le détail des engagements à terme des banques américaines sur les dérivés de crédit traités de gré à gré avec des contreparties off-shore au cours des années 2004/2008.
Non, la crise n’a guère engendré de bouleversements concrets dans le monde de la finance… sauf bien sûr les nouvelles directives de "Bâle III" que les lobbys auront tôt fait de mettre en pièce si leur application s’avère compliquée ou trop coûteuse (c’est toujours trop cher !).
Les nouvelles normes ont été édictées dans un évident esprit de compromis. Mais comment ne pas s’étonner que leur application pleine et entière soit programmée pour 2018… après un démarrage en douceur en 2013 ?
▪ Il ne fait guère de doute que les vrais problèmes que les experts de la BCE entendent prévenir (en préconisant de porter les fonds propres à 7% d’ici sept ans) surgiront avant même que Jean-Claude Trichet achève son mandat ou que Barack Obama en brigue un second.
Les engagements pris par les uns pourraient être édulcorés par leurs successeurs. De toute façon, Christine Lagarde a déjà dévoilé le "mode de non-emploi" en expliquant que si les banques américaines n’appliquaient pas les directives de "Bâle III", il n’était pas question de les imposer de force aux banques européennes.
Bien conscients que "Bâle III" ne constitue pas (et ne constituera probablement pas) le garde-fou que beaucoup espéraient, Michel Barnier et la Commission européenne planchent sur un projet de limitation des ventes à découvert. Parallèlement, outre-Atlantique, la SEC a entamé une réflexion sur la limitation de l’usage des automates de gestion d’ordres de Bourse travaillant à la nanoseconde. Mais essayez distinguer le "flash trading" — tant décrié — des stratégies d’optimisation… de la gestion des portefeuilles indiciels — tant appréciée.
Ah décidément, il souffle comme un rafraîchissant vent de réforme sur les marchés financiers, lesquels ont déjà fait assez de dégâts come ça !
▪ Mais attendez… qu’écrivions-nous en début de Chronique ? Que le krach bancaire remonte à deux ans ? Quoi, deux ans déjà… et en dehors que de l’interdiction du "naked short" sur certaines catégories de titres (pas tous, que les dieux du Dow Jones en soient remerciés), tout continue de fonctionner comme au soir du 15 septembre 2008 à Wall Street.
C’est ce que l’on appelle "le changement dans la continuité"… un vrai slogan de campagne pour un candidat à la présidentielle en panne d’imagination.
Et si la croissance américaine s’étouffe cet automne (la croissance de la production industrielle ralentit nettement au mois d’août à +0,2% contre +0,6% au mois de juillet), Wall Street s’attend à ce que la Fed ressorte dans l’urgence le masque à oxygène monétaire.
Le principe paraît déjà acquis ; la seule controverse semble porter sur la date de l’annonce de la reprise de l’assouplissement quantitatif !
▪ Si les marchés n’en étaient pas à ce point convaincus, qu’est-ce qui pourrait justifier la récente envolée du yen et le retour de l’euro (considéré comme moribond trois mois auparavant) au-dessus des 1,30 $… alors qu’après la Grèce, c’est au tour de l’Irlande de se débattre avec des difficultés budgétaires inextricables, liées à la lente agonie financière des trois principales banques du pays ?
Avouez que voir le yen se transformer en devise de réserve, ça ne manque pas de sel !
Mais c’est une marque de confiance dont le Japon se serait bien passé. Les autorités économiques nippones, sous l’impulsion du gouverneur de la Banque centrale, M. Shirakawa, sont intervenues mercredi pour la première fois en six ans sur le marché des changes pour endiguer la flambée du yen, lequel venait de franchir le cap des 83 face au dollar.
Cela entraîne une débauche de milliards de dollars, probablement en pure perte : le seul message que les cambistes veulent entendre, c’est que la Fed s’abstiendra de faire tourner la plancher à billets au cours des prochains mois. Ils risquent d’attendre longtemps !
▪ Mais voici que surgit une nouvelle interrogation : le coup de semonce de la Banque centrale japonaise, c’est une de ces initiatives rares censées impressionner les marchés. Or c’est à peine si les indices boursiers européens ont réagi ; l’Eurotop 100 s’est effrité de 0,35% tandis que le le Dow Jones progressait d’autant à la mi-journée.
Nous avons longtemps pensé que le CAC 40 terminerait la journée de mercredi à l’équilibre (il perd finalement 0,5%… mais ce doit être une erreur), tant l’actualité semble n’avoir aucune prise sur lui depuis le début de la semaine. Après avoir buté sous 3 782 points lundi, puis 3 784,13 points mardi, l’indice ricochait sous 3 784,04 points mercredi matin.
Etonnante précision des seuils de résistance, surprenante évolution quasi linéaire… les indices semblent comme en état d’apesanteur. Si ce n’est pas de la sorcellerie, nous restons convaincu que la proximité de la séance des "Quatre sorcières" n’y est pas étrangère !