▪ Après la clôture complètement bidonnée de mardi soir à Wall Street (0,4% de gain supplémentaires sortis de nulle part à cinq minutes de la clôture), les indices américains avaient entamé la séance de mercredi en net repli. Le Dow Jones chutait de 1% sous les 15 050 points, désormais bien loin de son zénith des 15 710 points.
Il fallait y remettre bon ordre : Wall Street n’a tout simplement pas le droit de reculer… en tout cas pas en plein shutdown, et surtout pas en pleine période de révision des résultats à la baisse.
Au cas où quelques idiots ou quelques fous auraient oublié que les cours ne peuvent et ne doivent que monter obstinément, voire éternellement (il y va du salut des 1% d’Américains les plus riches), Eric Rosengren, président de la Fed de Boston, est monté au créneau mercredi après-midi (alors que le S&P 500 reperdait les 0,8% gagnés la veille)… et il a lâché du lourd.
Du très lourd, même !
▪ M. Rosengren monte au créneau…
Sa sortie devrait lui valoir de grimper au firmament des favoris à la succession de Ben Bernanke et ravaler Janet Yellen au rang de pâle imitation du faux monnayeur en chef. M. Rosengren estime que la réduction du QE3 ne devrait être entreprise qu’une fois tous les voyants économiques américains repassés au vert (ce n’est pas demain la veille). Par ailleurs, selon lui, il ne faudrait retirer des liquidités qu’au compte-goutte et prendre la précaution de s’arrêter à la moindre alerte sur l’emploi, l’inflation ou la croissance.
La réduction du QE3 pourrait alors s’étaler sur des années, des milliers de milliards de dollars supplémentaires seront imprimés… mais la consolidation de la reprise est à ce prix.
Le bilan de la Fed franchira la barre des 3 000 milliards de dollars à la fin de l’année et il n’y a pas de raisons de s’alarmer de voir l’encours bondir vers 4 000 milliards d’ici fin 2014 puis 5 000 milliards d’ici 2016. M. Rosengren évoque implicitement cet horizon… mais ce n’est pas un délai définitif ; s’il faut aller jusqu’en 2017, cela ne devrait pas faire frissonner qui que ce soit.
Se figure-t-il la taille que pourraient atteindre les bulles d’actifs (actions, matières premières, immobilier) d’ici 12 ou 18 mois si le tapering reste dans les cartons, dans l’attente du « bon moment » qui ne vient jamais ?
▪ … Mario Draghi, moins…
Peut-être pensez-vous que nous avons affaire à un doux dingue, que la drogue monétaire lui a grillé le cerveau… Mais il se peut également que ce soit une déclaration tactique vu l’orientation prise par les marchés pendant puis après la conférence de presse de Mario Draghi en direct de la Banque de France à Paris.
« Supermario » nous a fourni une prestation bien décevante : c’est la troisième de la même eau en quatre semaines. Il a une fois de plus excellé dans l’art de ne rien dévoiler de ce qui préoccupe les investisseurs.
Il était très attendu sur des sujets comme l’éventuelle mise en oeuvre d’un LTRO 3, le niveau insuffisant de la croissance en Europe ou la situation tendue des banques italiennes. Or Mario Draghi a multiplié les non-réponses, expliquant même que certains sujets n’avaient pas été discutés avec ses collègues, ce qui semble difficile à croire au vu les enjeux.
Manifestement les marchés attendaient plus de la part de la BCE qu’une récitation des deux communiqués précédents.
On peut se demander où les places européennes auraient fini leur parcours baissier sans la « bonne nouvelle » du jour : la survie du gouvernement d’Enrico Letta est pratiquement assurée après le revirement de Silvio Berlusconi (son propre camp apparaissait profondément divisé sur l’opportunité ou non de provoquer de nouvelles élections).
Les taux longs italiens bénéficient ainsi d’une poursuite de la détente des taux longs amorcée hier après-midi. Le rendement du BTP 2023 se détend de sept points de base à 4,21% (contre 4,6% lundi à l’ouverture) et revient en-deçà de celui des Bonos espagnols qui se dégradent (de 4,18% vers 4,22%).
▪ … Et que dire de l’emploi US !
Côté Etats-Unis, le chiffre du jour a déçu. Une réaction relativement logique avec la publication d’un montant de seulement 166 000 créations de postes dans le secteur privé en septembre, selon le cabinet de services aux entreprises ADP.
Le consensus des économistes anticipait +175 000 en moyenne, un chiffre comparable à celui publié en août. Mais comble de malchance, les 176 000 créations de postes annoncées le mois dernier n’y sont pas : ADP révise en baisse sa précédente estimation à 159 000.
Plus précisément, en septembre, le secteur industriel n’a généré que 19 000 postes — dont 16 000 dans la construction et 1 000 dans l’industrie manufacturière. Dans le même temps, celui des services en a créé 147 000 ; il s’agit majoritairement de petits emplois mal payés dans la distribution.
La teneur des chiffres du chômage — qui seront peut-être publiés ce vendredi — ne devrait cependant avoir aucune espèce d’importance. Si le repli l’emporte en cours de séance, un bon coup de booster algorithmique à la toute dernière minute devrait y mettre bon ordre… comme ce mercredi et comme la veille (et ainsi de suite depuis septembre 2012).
Sans surprise, les sherpas ont fait clôturer le S&P 500 au plus haut hier, à 1 694 points (-0,06%) contre 1 690 à 21h58. Le Nasdaq s’est effrité de 0,08% à 3 815 points — alors qu’il avait gagné 0,35% mardi rien qu’entre 21h55 et 22h.
La volonté de faire clôturer les actions au plus haut est carrément obsessionnelle et se rit de l’actualité économique ou politique. Le seul petit point noir de la séance de mardi a été la nette remontée du VIX (+6% à 16,45) — ce qui trahit tout de même une progression des anticipations de repli du S&P.