▪ "Dubaï précipite les marchés dans la tourmente", commençait le Financial Times. Dubaï est un centre financier construit sur du sable.
C’est probablement une bonne chose que les marchés américains aient été fermés pour cause de Thanksgiving en fin de semaine dernière. Sur les places européennes, l’affaire Dubaï a provoqué la plus grande chute des sept mois. Les banques européennes ont prêté 40 milliards de dollars à Dubaï.
Même l’or a perdu un peu de terrain.
Jim Chanos, célèbre short trader, pense que Dubaï n’est que le nez du chameau dans la tente, pour ainsi dire. "La Chine, c’est Dubaï multiplié par 1 000… voire un million".
"Les gens paniquent : tout ce processus va à l’encontre de ce que les dirigeants disaient, et la manière dont la communication a été faite avant [le week-end de Thanksgiving] engendrait la confusion", déclare un gestionnaire de hegde fund.
Les "dirigeants" en question sont ceux qui gèrent "Dubai World", et, incidemment, Dubaï elle-même. S’agit-il d’idiots, d’escrocs ou de génies — voilà la question que tout le monde se pose depuis quelques jours. Les autorités de Dubaï ont annoncé avoir levé cinq milliards de dollars mardi dernier. Deux heures plus tard, elles affirmaient ne pas payer d’intérêt sur cette somme et sur le reste des 80 milliards de dollars d’emprunts. Que se passe-t-il ? Sont-elles vraiment ruinées ? Ou bien cherchent-elles à obtenir une sorte d’avantage ?
"Dubaï joue avec sa réputation financière", titre un article du Financial Times.
Puis, sur la page suivante, les rédacteurs pensent savoir comme ce pari va tourner :
"Une gaffe à couper le souffle à Dubaï… Dubaï ressemble plus à l’Argentine qu’à Singapour — en beaucoup moins prévisible", poursuit l’article du Financial Times.
Personne n’est sûr de ce qui se passe. La plupart des gens concluent de cette affaire ce que nous savions depuis le début : prêter à des personnages douteux dans des pays ensoleillés n’est pas une manière saine de gagner de l’argent. Surtout lorsque les personnages douteux possèdent le pays.
▪ Le problème, c’est qu’on trouve des personnages douteux à la tête de quasiment tous les pays du monde. Si un investisseur ne peut pas faire confiance à la famille régnante de Dubaï, comment peut-il faire confiance aux communistes qui gèrent la Chine ? Ou aux escrocs qui gèrent les Etats-Unis d’Amérique ?
L’erreur est humaine. Pour un banquier central, c’est quasiment un critère professionnel. On peut compter sur une "erreur" majeure pour déclencher une vague de ventes sur le marché obligataire mondial.
Mais l’erreur de Dubaï n’a pas infecté toutes les autres dettes souveraines. Les rendements des obligations allemandes ont chuté, non grimpé. Les investisseurs ont cherché à se protéger de la dette de Dubaï grâce à la dette de Deutschland.
Et l’or a baissé. Nous nous posons donc une question : lorsque les investisseurs auront une nouvelle grosse frayeur — lorsque les marchés s’effondreront, par exemple — se rueront-ils sur les obligations en dollars US… comme ils l’ont fait il y a un an ?
Nous n’en savons rien. La semaine dernière, le dollar a chuté à son plus bas niveau par rapport au yen en 14 ans. Et au Japon, la déflation est de retour.
▪ Mais quelle est la véritable signification de ce qui se passe à Dubaï ? C’est tout simplement l’histoire de l’effondrement du secteur financier. Dubaï n’a pas de pétrole… pas de ressources naturelles… et pas de véritable secteur industriel. Ses dirigeants ont essayé de la transformer en centre financier. Entièrement financé par la dette. Et voilà que la finance elle-même tombe en pièces.
"Le chameau a mis son nez dans la tente", déclare notre collègue Simone Wapler. "Et il a vu qu’il n’y avait rien à l’intérieur".
Que pensera-t-il lorsqu’il verra les finances occidentales de plus près ? La Grande-Bretagne, par exemple, dépend elle aussi beaucoup du secteur financier — et de la dette. Ses finances publiques sont parmi les pires au monde. La dette publique japonaise, pour ajouter un nouvel exemple, représente déjà 200% du PIB national. Elle devrait atteindre les 300% dans quelques années. Pourtant, le Japon — comme les Etats-Unis et la Grand-Bretagne — continue d’emprunter. Combien de temps cela peut-il durer ? Quand les Etats-Unis ou le Japon annonceront-ils leur propre moratoire sur le remboursement de leurs dettes ?