▪ Les indices boursiers évoluent dans la stratosphère — tant en comparaison de leurs niveaux de la mi-mars qu’en termes de valorisation depuis octobre 2007, avec des PER moyens supérieurs à 18 fois les profits espérés en 2010. Et pourtant… nous continuons de vous abreuver de considérations délibérément terre à terre.
Ce n’est pas pour vous convaincre que les marchés n’ont aucun potentiel d’appréciation supplémentaire — face à un rally haussier aussi parfaitement orchestré, aucun discours de rationalisation ne s’avère pertinent. C’est tout simplement parce que l’attitude intellectuelle de nombreux acteurs de cette envolée quasi miraculeuse n’est pas exempte d’arrière-pensées peu compatibles avec un diagnostic sincère de la situation économique.
"Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage", affirme un célèbre dicton… Mais symétriquement, "qui veut vendre son vélo prétend qu’il grimpe les côtes tout seul".
▪ Nous attirions hier votre attention sur le fléchissement de l’indice Baltic (transport maritime de produits de base). Nous avons également parlé du recul de la consommation de charbon aux Etats-Unis — et pas pour des raisons écologiques, soyez-en bien convaincu. Aujourd’hui, nous allons faire un point sur l’évolution du baril de pétrole.
C’est un autre baromètre majeur de la santé économique et financière de la planète… En effet, c’est un précurseur de l’activité industrielle mais également un indicateur avancé de la confiance dans le dollar.
L’or noir a réagi très négativement mercredi soir au regonflement des stocks de pétrole brut (+2,8 millions de barils) et d’essence (+5,4 millions de barils) aux Etats-Unis la semaine dernière. Cette évolution déjoue les anticipations et semble traduire un essoufflement de la "reprise".
▪ Mais nous n’allons pas vous infliger un long résumé des avis des uns et des autres. Nous vous proposons plutôt de prendre en compte l’éclairage de l’analyse technique qui, pour la circonstance, ne nous apparaît pas aussi auto-réalisatrice que sur les actions.
Les indices boursiers suivaient fidèlement la progression du baril depuis six mois ; le S&P 500 gagnait 55% alors que le pétrole flambait de 80% dans l’intervalle. Mais là, ils ont décidé de poursuivre leur ascension vers de nouveaux sommets alors que le WTI (le West Texas Intermediate sert de référence sur le NYMEX) plafonnait sous les 73 $.
Il y a bien eu ce pic de volatilité des 24 et 25 août : il avait propulsé le cours officiel du baril de WTI au contact des 75 $ durant quelques secondes — mais la clôture s’effectua le jour même non loin des 71 $. C’était comme si une tentative de déclenchement du stop avait lamentablement échoué — ce serait le seul exemple de "piège haussier" de l’été 2009.
La véritable résistance se situe donc à 73 $. Elle été testée avec insistance et de manière répétitive les 11, 16 et 30 juin, puis les 6, 20 et 31 août — hormis le pic du 25 août –, et enfin tout récemment les 9 et 17 septembre.
Aucune des tentatives de retracement de la barre des 75 $ n’a été couronnée de succès, mais le repli du baril a été à chaque fois contenu par la MM50. Cette dernière a poursuivi son ascension depuis l’inflexion haussière au-dessus des 40 $ du 3 mars dernier.
Cette même MM50 qui gravitait vers 60 $ début juillet menace maintenant de s’infléchir à la baisse dans la zone des 68,25 $ — pile le plancher du 14 septembre pour le WTI.
La configuration sur les trois derniers mois s’apparente à un triangle potentiellement haussier. Cependant, elle ressemble également beaucoup à celle observée de la mi-avril à fin août 2006 : le WTI avait alors plafonné durant quatre mois sous 75 $ puis 77 $ (éphémère zénith du 1er août 2007 — notons la similitude avec les extrêmes 2009 de 73 $ et 75 $), avant de rechuter vers 55 $ à la mi-novembre 2006 puis 50 $ début janvier 2007.
En cas de rechute sous les 68,5 $, le baril ne pourrait s’appuyer sur rien de bien solide avant les 59/59,5 $ (plancher des 13 et 14 juillet dernier) puis les 48,5 $ (plancher du 30 mars au 27 avril dernier).
▪ Ce support-clé a été âprement défendu en fin de journée. Il aurait été effectivement très étonnant qu’il cède avant que la Fed livre son diagnostic économique et monétaire en début de soirée. Après tout, les investisseurs n’ont qu’une hantise : que la Fed les prenne au mot et fasse sienne l’anticipation d’une reprise en "V" en évoquant le rétablissement d’une politique de taux plus "conventionnelle".
En d’autres termes, la fin de l’argent gratuit et la mise au rebut de l’assouplissement quantitatif (synonyme de monétisation de la dette et de gonflement illimité du bilan de la Fed)… une stratégie qui déplait souverainement aux autorités chinoises.
Leur tolérance s’expliquait jusqu’à présent par la contrepartie mécanique représentée par les importations américaines. Il leur faut bien admettre, cependant, que la consommation à crédit ne motive plus les ménages américains — tandis que les Etats-Unis multiplient sournoisement les mesures protectionnistes à l’encontre des produits chinois.
La presse américaine évite de s’étendre sur le sujet mais les journalistes économiques de Pékin et de Shanghai ne sont plus très loin d’en faire leur cheval de bataille. Si les autorités chinoises décident que la question est suffisamment préoccupante et mérite de faire la une des quotidiens généralistes tandis qu’elles encouragent un sentiment d’anti-américanisme, Wall Street ne tardera pas à mesurer à quel point son optimisme actuel est fragile et précaire.
▪ Le consommateur américain n’est pas le seul à préférer l’épargne plutôt que la consommation à crédit (sans oublier tous ceux qui n’ont pas d’autre possibilité que de se serrer la ceinture faute de revenus suffisants). Selon les tout derniers chiffres de l’INSEE, les achats réalisés par les ménages français ont chuté de 1,2% en juillet puis de 1% en août (après +1,5% en juin). Cela est principalement dû à un recul des achats de textile et d’automobiles : -3,9% en juillet et -1,2% en août, un comble en pleine période de prime à la casse !
Les achats fléchissent dans toutes les catégories de produits : biens durables, textile/habillement, équipement de la maison et autres produits manufacturés.
Mais les marchés ne sauraient s’émouvoir pour si peu et "on ne la leur fait pas". Si la période estivale a été médiocre, ce sera rattrapé par les ventes du quatrième trimestre… Et ces dernières ne manqueront pas d’être soutenues par l’effet de richesse induit par la formidable progression des indices boursiers… sauf que ceux qui ne peuvent plus consommer sont précisément ceux qui ne détiennent pas de portefeuilles d’actions.
L’envol de Wall Street est une très bonne nouvelle pour les amateurs de croisières de luxe, de maroquinerie haut de gamme ou d’objets d’art. Pas pour les salariés aux revenus modestes ni pour les chômeurs en fin de droit — même si Barack Obama vient de faire adopter par le Congrès américain un décret qui prolonge les indemnisations accordées aux personnes sans emplois depuis plus de neuf mois.