▪ Nous avons écouté avec beaucoup d’attention le discours de Barack Obama prononcé ce lundi depuis le New York’s Federal Hall. Comme chacun s’y attendait, il vient d’appeler Wall Street à tirer les leçons de la récente crise économique. Il avertit également que les prises de risques excessives ne doivent plus être garanties par le contribuable en dernier ressort… mais comment compte-t-il s’y prendre pour empêcher que cela se reproduise ?
De nouvelles initiatives de régulation du système financier vont être adoptées d’ici la fin de l’année, selon Barney Frank, un des principaux conseillers économiques du président. Mais l’échéance d’octobre est déjà repoussée à décembre, le temps de mettre tout le monde d’accord, ce qui à notre avis n’est pas demain la veille.
Tout d’abord parce que les principaux acteurs du secteur des dérivés de crédit ont déclenché dès ce week-end un tir de barrage : ils ont averti que toutes les mesures de contrôle jugées trop contraignantes s’avèreraient contre-productives dans un contexte de grande vulnérabilité du système bancaire (tiens, tiens… nous pensions que le pire était derrière nous). Ensuite, et vous le savez tout comme nous, parce que l’essentiel des pertes latentes demeurent liées à des opérations de gré à gré sur des produits complexes où l’opacité est la règle.
Pour résumer la teneur de l’intense lobbying anti-réglementation actuel : si l’Etat fourre son nez de trop près dans nos affaires (nous les brasseurs d’argent qui travaillons sur des échelles se mesurant en milliers de milliards de dollars), si la lumière est faite sur "la matière sombre" dont le système financier est farci jusqu’au cou, alors nous risquons l’explosion, le déclenchement d’une nouvelle apocalypse pire qu’en 2008.
De manière encore plus synthétique : "l’étrange matière radioactive dont nos comptes sont gorgés explose au contact de l’air ambiant comme les métaux alcalins au contact de l’eau. Il faut donc que tout ce matériel démoniaque reste soigneusement confiné sous vide… et que nos manipulations demeurent ignorées du grand public, trop prompt à paniquer".
▪ L’analogie avec le syndrome de Tchernobyl est plus que jamais d’actualité. Un an après la pose du premier sarcophage de liquidités de l’automne 2008 — sa construction avait débuté le 18 septembre 2008 avec l’injection de 85 milliards de dollars dans le capital d’AIG –, les compteurs Geiger s’affolent à nouveau. En cause : la multiplication des fissures dans les silos qui hébergent les prêts prime ainsi que ceux adossés à l’immobilier commercial (contractés par les institutionnels).
Wall Street s’emploie à tirer un magnifique feu d’artifices haussier qui captive les foules tandis que les banques centrales, alertées par la montée en flèche de la radioactivité émise par les établissements de crédit américains, sont peut-être déjà en train d’étudier la construction d’un second sarcophage… Mais les fonds nécessaires risquent de manquer, les contribuables américains n’ont plus les moyens — si jamais ils en avaient eu la volonté — de le financer.
Avec la faillite de Corus Bank (d’une surface financière de 14 milliards de dollars) ce week-end, le total des banques ayant rendu l’âme depuis le 1er janvier atteint 91. La barre des 100 sera probablement franchie avant la fin du mois… et pas moins de 400 autres auraient écopé d’une dose de radioactivité mortelle sous forme d’un excès d’exposition aux CDO, MBS et autres CDS.
Demain, Ben Bernanke s’exprimera sur sa gestion des événements depuis septembre 2008. Il s’efforcera de justifier le sacrifice de Lehman comme une fatalité, et non comme une opportunité de débarrasser Goldman Sachs et JP Morgan d’un rival encombrant : ces deux banques d’affaire bénéficièrent dès le 16 septembre de l’ensemble des mesures de soutien qui furent refusées jusqu’au 15 à Richard Fuld, le très impopulaire, avide et arrogant patron de Lehman Brothers (le bouc émissaire idéal).
D’après les toutes dernières déclarations de patrons régionaux de la Fed et du proche entourage de Tim Geithner, il apparaît que les mesures de soutien au système bancaire ne vont pas être levées de sitôt… tout du moins pas avant que la sortie de crise soit assurée (nous miserions bien sur une date postérieure à 2012) et en douceur — comme si la patience des créanciers de l’Amérique pouvait être éternelle.
▪ L’Irlande a senti le vent de la confiance tourner dès le début de l’année 2009. L’Espagne commence à s’inquiéter de l’explosion de ses déficits, et d’un chômage qui frappe bien plus d’un quart de la population active. Le Premier ministre R.L. Zapatero annonce la mise en place d’une série de hausses d’impôts, le blocage des salaires des fonctionnaires, une réduction des mesures de soutien aux sans emplois.
Mais l’Irlande a fait bien pire en abaissant sans ménagement les revenus et les retraites des agents de l’Etat (il faut bien donner le bon exemple) puis en relevant la taxation des entreprises étrangères. Ces dernières sont déjà nombreuses à prendre la fuite en direction de l’Europe de l’Est : aucune taxe sur les bénéfices en Macédoine mais des aides gouvernementales attractives, des employés bien formés avec des salaires de misère, affirme une campagne de spots publicitaires d’un cynisme redoutable diffusée sur CNBC. Gageons que l’hémorragie n’est pas terminée !
Vous le constatez, notre planète reste pleine d’opportunités pour les multinationales. Pourquoi voudriez-vous que Wall Street déprime ? Il se trouve toujours des populations frustrée par des décennies de communisme, prêtes à travailler plus pour gagner trois fois moins (sans protection sociale) que sur le sol d’un pays du G7.
Mais cette spirale du "toujours moins" ne résout pas deux problèmes majeurs : l’extinction progressive du consommateur américain et européen (qui ne se préoccupe plus que de se désendetter) d’abord. Et ensuite, l’attraction exercée sur les capitaux par les trous noirs de la finance qu’aucune régulation financière ne semble capable de normaliser… parce que ce sont là des marchés qui ne sont pas de vrais marchés.
A partir de ce constat, il apparaît un peu vain d’accabler les régulateurs pour leur aveuglement ou leur incompétence passée. C’est le législateur américain, sous la pression des lobbies et avec l’aval de la Fed, qui a mis en place un système qui échappe au système.
Pourquoi s’étonner de voir aujourd’hui les cours de bourse échapper à l’attraction terrestre ?
Le lien entre la finance et le monde réel est coupé… et de zélés conseillers s’empressent, en cette veille de G20, d’avertir que tenter de le rétablir serait pire que tout.
▪ On en frissonne d’horreur ! C’est peut-être ce qui a motivé une petite alerte baissière (-1,5%) sur les indices européens dans le sillage des places asiatiques (-2,3% à Tokyo ce lundi matin). Tout est ensuite rentré dans l’ordre lorsque Wall Street a montré le bon exemple en effaçant avec désinvolture ses 0,7% de pertes initiales en à peine une heure.
Cette journée de lundi s’est également caractérisée par un net fléchissement du dollar : -0,4% à 1,4640/euro. Cela sur fond de mesures protectionnistes à l’encontre de certains produits chinois tels que les pneus ; Pékin a déposé plainte auprès de l’OMC et envisage de riposter en surtaxant les pièces automobiles en provenance des Etats-Unis.
Mais la faiblesse du billet vert ne semble pas perçue comme une menace sérieuse pour les valeurs exportatrices en euros. Ce serait plutôt le symptôme d’un retour de l’appétit pour le risque, inspiré par le scénario d’une reprise sur le Vieux Continent.
Les chiffres du jour semblent pourtant contredire cette vision idyllique : un recul de 0,3% de la production industrielle dans l’Euroland (en rythme séquentiel)… et une baisse de 0,6% de la masse des crédits distribués aux particuliers ou aux entreprises en France au mois de juillet.
Mais pourquoi ce triste constat gâterait-il l’humeur des investisseurs ? Le ralentissement du commerce mondial affectant aussi bien la Chine que le Japon ne remet même pas en cause la perception d’une reprise "aussi rapide et solide qu’inattendue".