▪ Nous avons beau répéter que la lecture des marchés par les médias grand public se borne à la description d’un décor en carton pâte, dans une langue de bois du plus pur style soviétique (ou chinois), force nous est de constater que lorsque le rideau des pieux mensonges s’entrouvre par accident, c’est sur une réalité qui dérange. Les vieux réflexes consistant à nier les difficultés du moment reviennent au triple galop.
A peine remis d’une chute — tout à fait inattendue (ben voyons !) — de 2,8%, bon nombre de commentateurs ses sont remis à faire tourner leur moulin à prière tibétain. »Les actions ne sont pas chères », « les taux restent très bas », « les flux de liquidités sont pléthoriques », « les gérants finiront par arbitrer les bons du Trésor au profit des actions », « ceux qui ont raté le train de la hausse vont devoir courir après le papier »… vous connaissez tout cela par coeur.
Sauf que cette logorrhée est systématiquement démentie par les faits chaque fois que le marché perd plus de 1,5%. Au-delà de cette limite, tout bascule et le mouvement initial se radicalise.
Mais où sont donc passées ces cohortes d’opérateurs qui auraient raté le rally ?
Les retardataires à l’affût du moindre repli ne se sont pas manifestés ce mercredi ; ce sont les vendeurs qui ont au contraire amplifié leurs dégagements (plus de 4,1 milliards d’euros négociés à Paris) en fin de séance.
Les places européennes ont rapidement lâché 1% en début de matinée, puis elles ont perdu pied après une adjudication difficile de bons du Trésor de trois à huit ans en Espagne.
▪ L’Espagne ne fait pas recette
Le montant émis (2,5 milliards d’euros en quatre tranches allant de 2015 à 2020) est très inférieur aux 3,5 milliards d’euros annoncés par Madrid.
Les rendements se sont tendus de 50 points de base à 95 points en fonction de l’allongement des maturités — le coût des CDS a vivement progressé.
Le spread (écart de taux) Espagne/Allemagne à 10 ans atteignait un plus haut depuis novembre à 392 points de base. Le Bund 10 ans a vu son rendement baisser symétriquement sous les 1,9% dans le cadre d’une course vers la sécurité.
Ce scénario a confirmé la mauvaise entrée en matière des places asiatiques mercredi matin, en particulier à Tokyo. On a assisté à une chute de 2,2%, et le Nikkei est passé sous les 10 000 points dans le sillage de la chaîne de prêt-à-porter Uniclo, dont les ventes subissent un net tassement au niveau international.
Ce 4 avril s’inscrit comme la seconde pire séance de l’année 2012 (après les -3,4% du 6 mars) à Tokyo, en Europe et à Wall Street. Mais les indices américains n’ont pas lâché plus de 1% au final, ce qui leur permet de préserver l’intégrité de leur tendance haussière court et moyen terme.
Les marchés américains résistent, mais contrairement aux séances précédentes, les opérateurs ne se sont pas empressés de profiter de la première statistique encourageante publiée en début de matinée.
Ils auraient très bien pu monter en épingle la publication de l’enquête ADP qui traduit un niveau soutenu de créations d’emplois dans le secteur privé au mois de mars (+209 000, c’est mieux que les 200 000 attendus).
Cette bonne surprise n’a été contrebalancée que beaucoup plus tard dans l’après-midi, avec l’indice ISM des services de mars : il a décéléré plus rapidement que prévu à 56 contre 57,3 en février.
La place de Wall Street s’est également efforcée de décrypter les messages envoyés Mario Draghi lors de sa conférence de presse (après le maintien attendu du taux directeur à 1%). Comment allait-il analyser la volonté affichée par certaines banques de rembourser le LTRO par anticipation — preuve que l’argent de la BCE n’avait aucune vocation à irriguer l’économie réelle ?
Mario Draghi estime que les LTRO ont rempli leur rôle en mettant de l’huile dans les rouages du système bancaire mais qu’il est trop tôt pour évaluer leur impact sur l’économie réelle (surtout la seconde injection de fin février).
▪ Les marchés italien et espagnol ne vont pas fort
M. Draghi interprète le récent recul des marchés (actions et des dettes souveraines en Espagne et en Italie) comme le témoignage d’une certaine fragilité psychologique des opérateurs mais aussi de leur souhait d’être rassurés sur la poursuite de politiques budgétaires orthodoxes — la référence en la matière étant la « règle d’or ».
En fait, les marchés ont bien joué le jeu pour faire retomber la pression fin décembre et début mars. Mais ils font bien la différence entre miser pour voir et investir sur du long terme.
L’effondrement de Madrid depuis le 1er janvier (l’IBEX n’est plus très loin des -10%) démontre que les opérateurs ont opté pour le programme minimum. Acheter quelques émissions obligataires très courtes avec la garantie tacite de la BCE d’accord… prendre le risque de voir la récession (-2,2 à -2,5% selon les estimations du patronat en 2012)… entraîner l’économie et les actions ibériques par le fond, pas question !
▪ Les taureaux sont dans l’arène et ils ne sont pas contents
Pour établir une analogie avec la corrida, les investisseurs veulent bien descendre dans l’arène, revêtus de leur « habit de lumière » et faire un tour d’honneur pour saluer le président (non pas de la faena mais de la BCE). Mais tout le monde se précipite vers les rambardes dès que retentit un claquement de sabots.
Les détenteurs d’actions entendent désormais les cornes du taureau ébranler rageusement le portail qui défend l’entrée de l’arène. Il existe certains types de bulls qu’il vaut mieux laisser à d’autres… suffisamment naïfs pour croire qu’il s’agit d’un lâcher de Bisounours !