Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Dédale à son fils : "Icare, je t’exhorte à prendre le milieu des airs. Si tu descends trop bas, la vapeur de l’onde appesantira tes ailes. Si tu voles trop haut, le soleil fondra la cire qui les retient."
— Ovide, Les Métamorphoses, VIIIe siècle après J.-C.
Encore et toujours la Chine
En pleine récession, une telle hausse a de quoi surprendre alors que la demande de cuivre est l’une des plus sensibles à l’évolution du PIB : les industries électriques, électroniques, des transports et de la construction en absorbent plus de 80%.
Ainsi, il semble que le marché table sur une reprise aussi rapide que vigoureuse. Nombre d’indicateurs économiques plaident d’ailleurs en ce sens, notamment aux Etats-Unis et en Chine.
Réel ou fantasmé, le très attendu retour de la croissance n’explique pas tout. L’industrie de l’Empire du Milieu non plus : aussi dynamique soit-elle, la consommation cuprifère chinoise ne représentait que 30% de la demande totale en 2008, et se tassait en fin d’année. Pourtant, la Chine est le facteur explicatif principal de la hausse actuelle.
De l’annonce à la réalité
Rappelez-vous : au creux de l’hiver — et des cours des matières premières –, les autorités chinoises annonçaient la constitution de stocks stratégiques en tous genres pour soutenir leurs "champions" sidérurgiques, pour faire face aux conséquences de leur plan de relance tout en réduisant leur exposition au dollar.
Le cuivre avait déjà une longueur d’avance : depuis octobre, les premières rumeurs de stocks "sino-cuprifères" évoquaient des achats de 900 000 tonnes (t) de métal, soit 5% de l’offre mondiale de 2008 (en données ICSG).
A la manoeuvre : le Bureau des réserves de l’Etat (BRE)
Il aurait entamé ses emplettes en décembre ou en février. Son premier objectif de 300 000 t serait aujourd’hui atteint.
Seconde étape : de 600 000 à 900 000 t supplémentaires, ce qui confirmerait — façon de parler — notre rumeur d’octobre.
Depuis avril, le BRE achèterait un peu moins. De nouveaux entrepôts seraient en cours de construction…
Des stocks stratégiques, mais pas de statistiques
Les chiffres ci-dessus sont largement repris par des brigades de courtiers, des bataillons d’analystes, des régiments médiatiques et même les forces spéciales de la presse (officielle) chinoise du China Daily. Pourtant, l’usage immodéré que nous faisons du conditionnel ne vous aura pas échappé.
Non pas que nous doutions de l’existence de ces stocks. Les records absolus atteints par les importations ces derniers mois, en plein ralentissement conjoncturel, sont plutôt probants.
Mais voilà : personne ne dispose de la moindre statistique sur les stocks du BRE, et les analystes de Fortis estiment que ceux de cuivre sont les moins transparents de tous — ce qui n’est pas peu dire.
Le BRE garde en mémoire le cas de Liu Qibing, un de ses traders qui lui fit perdre en 2005 plusieurs centaines de millions de dollars, une fois éventées ses positions directionnelles sur le cuivre.
Nous verrons la suite dès demain…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement. Il participe régulièrement à l’Edito Matières Premières & Devises.