Dernièrement, nous avons vu que la Zone euro est frappée de plein fouet par la récession. Au mois de mai, il était prévu que le recul de l’activité économique de l’Espagne, la France et l’Italie se monte à deux chiffres en 2020.
Depuis, les prévisions des autorités publiques se sont encore dégradées. Le 4 juin, la BCE a publié de nouvelles perspectives de croissance…
… lesquelles ont servi de justification officielle à un nouveau tir de bazooka.
Zone euro : l’activité économique pourrait se contracter entre 8,7 et 12,6% en 2020, selon la BCE
La BCE table désormais sur une baisse de 8,7% du PIB de la Zone euro en 2020. Le rattrapage devrait commencer en 2021 avec un rebond de 5,2%, et de 3,3% en 2022. Christine Lagarde a néanmoins pris soin de préciser que ces projections s’accompagnent d’une « incertitude exceptionnelle ».
En effet, dans l’hypothèse où le virus n’avait pas son dit dernier mot et que les habitants de la Zone euro se retrouvaient reconfinés jusqu’à mi-2021 (selon l’hypothèse de la BCE), la Zone euro pourrait alors aligner -12,6%, +3,3% et +3,8% de croissance entre 2020 et 2022.
Ce n’est manifestement pas l’activité économique française qui va arranger la sauce. Deux jours avant l’annonce de la Commission, Bruno Le Maire dégradait en effet sa prévision de croissance pour 2020 à -11%, soit trois points de plus que les -8% annoncés mi-avril.
Bravo au gouvernement pour avoir réussi l’exploit de nous ramener plus de 50 ans en arrière…
Quant à Christine Lagarde, elle a le mérite de rappeler en creux que, pas plus que vous et moi, les économistes de la BCE n’ont la moindre idée de ce qui va se produire ne serait-ce que dans les mois à venir.
4 juin : « BCE : La présidente de la BCE, Christine Lagarde, présente le PIB de référence et les perspectives d’inflation pour la Zone euro. » Sven Henrich : « Narrateur : Aucune des prévisions d’inflation ou de croissance de la BCE au cours des 10 dernières années ne s’est avérée correcte. »
Evidemment, qui dit récession dit augmentation accrue des déficits et de la dette publique. Vu l’ampleur des déséquilibres au sein de la Zone euro, cela ne pouvait pas aller sans faire apparaître de nouvelles velléités de la part des dirigeants des Etats cigales de taper dans la cagnotte des Etats fourmis. Je ne parle même pas des quelques menus ajustements intervenus au niveau de la planche à billets de Francfort…
Avant de vous proposer un point d’étape sur ces deux dernières questions, il me semble important de faire l’état des lieux en matière de dette publique au sein de la Zone euro, puisque c’est bien de là que découle l’immense majorité des questions européennes.
Commençons par jeter un œil sur les plans de relance nationaux.
L’Allemagne, longtemps critiquée pour ne pas assez soutenir la demande locale, s’offre un gigantesque plan de relance
Se comporter comme une fourmi n’est pas agréable tous les jours, mais cela permet au moins d’avoir les coudées larges le jour où l’on a besoin de mettre en œuvre un plan de relance.
Notez que ces chiffres, qui font apparaître que la fourmi allemande va soutenir son économie à hauteur de 33% de son PIB, datent de la mi-mai. Ils n’incluent donc pas le nouveau plan de relance de 130 Mds€ sur lequel s’est accordée la coalition au pouvoir le 4 juin, ce qui porte le total du soutien allemand à son économie à 1 300 Mds€, soit 38% du PIB 2019.
Attention cependant à ne pas tout mélanger. Il y a tout d’abord l’argent public effectivement dépensé (en noir sur le graphique), lequel va immanquablement impacter les soldes budgétaires gouvernementaux.
Ce compartiment se distingue des prêts et des injections de fonds propres (en rouge) et des simples garanties gouvernementales (en jaune) – ces dernières représentent de l’argent qui, sauf cas de faillites d’entreprises, reviendra in fine à l’Etat. Pour mieux apprécier les chances que les différents gouvernements revoient cette manne, je vous renvoie à mes précédents billets sur la situation des entreprises non-financières.
Pour en revenir à notre graphique, il nous permet de constater que des pays comme l’Australie, le Japon et les Etats-Unis ont beaucoup plus distribué d’argent depuis des hélicoptères que ne l’ont fait l’Allemagne ou la France.
Il n’en reste pas moins que c’est un véritable basculement qui vient de se produire en Allemagne, comme en a attesté le marché obligataire.
5 juin : « Bonjour d’Allemagne, où le cours des obligations gouvernementales a enregistré une forte baisse alors que l’Allemagne est complètement passée du statut de champion de l’austérité à celui de gros dépensier de l’Europe. Les taux à 30 ans sont redevenus positifs, les taux à 20 ans ont bondi à près de 0% lors du passage de la frugalité à la largesse budgétaire en Allemagne. »
France : le gouvernement revoit son déficit en hausse à 11,4% du PIB
De notre côté du Rhin, le trou béant des finances publiques devrait atteindre non pas 9% du PIB comme prévu mi-avril, mais sans doute plutôt 11,4%, comme l’a annoncé Gérald Darmanin le 4 juin.
Rassurez-vous cependant, il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter.
Bien sûr, il importe de nuancer entre les trois couleurs du graphique ci-dessus, mais il n’en reste pas moins qu’il existe une façon « amusante » d’envisager la situation française pour l’année en cours, comme l’a proposé Eric Verhaeghe :
« L’économie française devrait atteindre le score soviétique, en 2020, de 75% du PIB consacrés aux dépenses publiques. Il n’est pas sûr que Leonid Brejnev aurait osé présenter de tels chiffres au Soviet Suprême en son temps.
[…] Il [Bruno Le Maire] ne l’a pas exactement présenté comme ça. Il a simplement expliqué que l’Etat avait d’ores et déjà mobilisé 20% du PIB pour sortir le pays de la crise du coronavirus… Et comme nous étions à 56% de dépenses publiques…
[…] Quelle fierté ! Alors que les dépenses publiques avaient atteint 56% du PIB en année normale, il faut désormais redresser ce chiffre de 20 points pour comprendre dans quelle dérive néo-libérale nous avons sombré. En dehors de la Corée du Nord, de Cuba et du Vietnam, nous ne devrions pas compter beaucoup de concurrents dans la course au communisme cette année. »
A ce stade, comme le patron du Courrier des Stratèges, j’ai définitivement décidé d’en rire plutôt que d’en pleurer – je vous recommande d’ailleurs d’en faire de même.