** Vous vous souvenez certainement de cet aphorisme que nous martelions avec allégresse depuis que les taux avaient été ramenés à zéro aux Etats-Unis en 2004 : "les Américains courent à la ruine en consommant des produits qu’ils ne fabriquent plus, avec de l’argent qu’ils n’ont pas, en tablant sur des plus-values immobilières qui n’existent pas encore".
Contrairement à ce que prétendait toute l’intelligentsia autoproclamée — des banquiers de Wall Street aux think tanks de Washington, Boston ou Chicago –, il était inévitable que l’éclatement de la bulle des subprime finisse par impacter de façon dramatique la consommation, et donc la croissance américaine, ainsi que les cours de Bourse.
Le mois de décembre 2008, qui aurait pu traduire un "effet Obama" ou encore être sauvé par la chute verticale du prix des carburants — donnant ainsi un gros coup de pouce au pouvoir d’achat des ménages les moins fortunés — s’avère au contraire le plus catastrophique des 25 dernières années avec un effondrement de 2,7% des ventes de détail.
C’est de surcroît le sixième repli consécutif de la consommation ; même en excluant le secteur de l’automobile, complètement sinistré, et les ventes de carburants, laminées par la baisse des prix et des volumes à la pompe, le bilan reste tout aussi négatif avec des ventes au détail qui ont baissé de 3,1%, contre -1,2% attendu (c’est presque trois fois pire que prévu).
** Littéralement assommés par ces chiffres, les investisseurs ont pris la fuite, balançant par-dessus leur épaule toutes les actions qui alourdissaient leur portefeuille. Ils ont couru se réfugier dans le bunker obligataire, lequel affiche sur sa porte blindée des rendements de 0,4% sur les emprunts à un an, de 2,2% sur le 10 ans et de 2,9% sur le 30 ans.
Dans l’après-midi, la journée d’hier s’est transformée en une véritable symphonie baissière… aux accents wagnériens. Tous les héros boursiers du début de l’année 2009 se sont fait massacrer sur place, sans la moindre possibilité de se jeter dans la tranchée ou le trou d’obus les plus proches pour échapper à la mitraille.
Paris vient d’essuyer une débâcle d’une ampleur sans équivalent depuis les séances du 11 novembre (-4,85%) ou du 5 décembre derniers (-5,48%). Encore faut-il préciser que cette dernière avait été suivie par un rebond historique de 8,7%, mais ce genre de miracle ne se produit jamais deux fois d’affilée à un mois de distance.
A moins que la BCE ne se trompe aujourd’hui, et appuie sur la touche "-100 points de base" au lieu de celle indiquant "-50 points de base" ? Le bouton "-50" est trop usé à force d’avoir été tapoté fébrilement par Jean-Claude Trichet lors des quatre précédentes réunions de politique monétaire, il en devient glissant… et la faute de frappe n’est jamais très loin !
Cette parenthèse n’a bien entendu pour seule vocation que de vous faire sourire… et pour que l’expression de votre visage ne se transforme pas de nouveau en grimace de dépit, nous attirons votre attention sur les volumes d’échanges sur les marchés d’actions et sur le CAC 40 en particulier.
Ils sont d’une étroitesse confondante avec 3,65 milliards d’euros échangés seulement. Ils invitent à imaginer que c’est le retrait frileux des acheteurs, plutôt qu’une offensive massive de vendeurs, qui a provoqué un trou d’air de 5,5% à 20 minutes de la clôture — soit une perte équivalente à celle des cinq journées précédentes.
** Le CAC 40 n’en aligne pas moins une sixième séance de correction consécutive. Cela s’apparente beaucoup à une capitulation après une série de baisses qui a fini par avoir raison de l’optimisme régnant au cours des trois ou quatre premières séances de l’année. Au final, l’indice phare accusait un repli de 4,65%, ce qui a transformé une séance de consolidation limitée (au début de la matinée) en séance catastrophe.
Paris chute désormais de 5,2% depuis le 1er janvier… un score qui commence à rappeler celui des dix premières séances de janvier 2008 (-4,8% en cumulé à l’ouverture le 14 janvier 2008).
A Wall Street, les indices américains dévissent de bien plus de 5% désormais. Ce recul s’accompagne d’un véritable vent de panique sur Citigroup : l’action s’effondre de 23% et perd plus du tiers de sa valeur depuis le début de la semaine.
Ben Bernanke n’avait pas rassuré les investisseurs en réaffirmant depuis la capitale britannique mardi que le secteur du crédit restait dans une situation difficile et qu’il faudrait multiplier les mesures de soutien en continuant de leur racheter leurs actifs à risque. Le Livre Beige publié mercredi soir a confirmé la faiblesse de l’économie américaine dans absolument tous les secteurs… ce qui préfigure une multiplication des faillites parmi les sociétés cotées.
En Angleterre justement — et la City en est la première affectée — le secteur bancaire est tellement sur le fil du rasoir que le gouvernement et la Banque d’Angleterre envisagent d’aider directement les entreprises en difficulté. Cet exemple devrait être suivi par d’autres pays comme la France ou l’Espagne. A Londres, les financières ont été victimes d’un mini-krach hier avec Prudential qui perdait 10%, Lloyds 12%, HBOS 13,5%, Barclays à -14,35% et RBOS à -18,4%.
** Les ennuis, en Bourse comme ailleurs, ont tendance à se comporter comme des volées de chevrotine : une multitude d’impacts dans un laps de temps très court. C’est ainsi que Wall Street est miné depuis lundi par la crainte d’une rafale de trimestriels calamiteux. A cela s’ajoute depuis mardi l’incertitude concernant la nomination de Tim Geithner — très apprécié des milieux d’affaires — au poste sensible, et même crucial, de Secrétaire au Trésor.
L’actuel patron de la Fed de New York fait l’objet d’une enquête concernant des irrégularités commises dans le règlement de ses impôts de 2001 à 2004. Et puisque le moindre petit faux pas, même involontaire, peut compter, il est maintenant soupçonné d’avoir fait appel aux services d’une employée de maison en situation illégale.
En attendant l’entrée en fonction du nouveau président américain et la constitution de son équipe de gouvernement définitive, les investisseurs s’interrogent sur l’allongement possible du délai de mise à disposition des 350 millions de dollars du TARP pour l’économie américaine.
** Même si cela n’a pas de rapport direct avec l’effondrement de Citigroup, les valeurs bancaires dans leur ensemble ont subi de plein fouet les déclarations de Deutsche Bank. La banque allemande a indiqué s’attendre à une perte nette de 4,8 milliards d’euros pour ses activités bancaires au quatrième trimestre 2008, en raison des conditions de marché exceptionnellement difficiles et de mesures de réduction de risques. Le groupe table désormais sur une perte nette de 3,9 milliards d’euros pour ses activités de banque. A quand l’augmentation de capital ?
A Paris, les banquiers et les assureurs dévissaient littéralement avec -10,95% sur Société Générale, -10,8% sur AXA, -7,5% sur Crédit Agricole, -5,6% sur BNP Paribas et -4,4% sur Dexia.
Mais les valeurs financières ne sont pas les seules à couler à pic. Le BTP, le luxe et la distribution ont plongé avec la même vélocité et les "technos" ne sont pas épargnées. Le Nasdaq est impacté par la mise en redressement judiciaire de Nortel. C’est en effet désormais officiel, le groupe annonce son placement sous la protection du chapitre 11 aux Etats-Unis.
La cotation du géant des télécoms canadien a été suspendue après une chute de 23,8% mardi soir mais cela faisait longtemps que la rumeur circulait : Nortel n’était plus qu’une penny stock depuis fin octobre 2008. Si les opérateurs télécoms raccrochent, alors il est logique que Wall Street se mette aux abonnés absents !
** Après une chute de 3% à 3,7% des indices américains, les investisseurs pensaient en avoir terminé avec les mauvaises surprises. Cependant, cette journée "abominable" ne pouvait s’achever sans un nouveau scandale. En effet, une nouvelle demande d’incarcération de Bernard Madoff a été rejetée pour des motifs peu convaincants… ce qui incite à penser que l’escroc détient peut-être des "dossiers" embarrassants concernant des personnalités influentes. Et il ne faut pas oublier une nouvelle rumeur de faillite de la Californie (septième ou huitième puissance économique mondiale) et l’annonce tant redoutée de la prise d’un long congé médical de six mois par Steve Jobs, l’emblématique PDG d’Apple, dont les problèmes de santé s’avèrent donc plus sérieux qu’anticipés fin 2008.
Le congé professionnel de Steve Jobs, icône de la société de consommation fun, retentit un peu comme la fin d’une époque… celle où le principal loisir de la société américaine est le shopping. Ce vocable est la version chic du trivial remplissage de caddie, une activité en nette perte de vitesse, comme si les roulettes du charriot se grippaient, victimes d’une soudaine attaque de rouille. Et toutes les sortes de lubrifiants liquides utilisés par la Fed semblent pour l’heure inefficaces.
Mais ne désespérons pas, certains composés solvants mettent du temps à agir.
Philippe Béchade,
Paris