▪ Nous anticipions depuis plusieurs semaines le développement de formations orageuses dans le secteur des prêts immobiliers aux Etats-Unis. La structure dépressionnaire qui se dessine sur l’écran radar des banques spécialistes des crédits hypothécaires est bien pire que ce que nous redoutions. En effet, le taux de défaillances (retards de paiements + saisies/ventes) atteint le score jamais observé depuis les années 1930 de 14,4% au troisième trimestre. Et cela empire de semaine en semaine depuis le quatrième trimestre.
Le taux de défaut de remboursement durant plus de 90 jours s’élève à 9,6% — contre 7% au plus fort de la crise financière de l’automne dernier. Le nombre de foreclosure (expulsion des propriétaires pour cause de créances irrécouvrables) a progressé de 4,5% de juin à fin septembre, contre 4,3% au deuxième trimestre — qui était déjà un des pires de l’histoire en la matière.
C’est typiquement le genre de statistiques dont Wall Street affecte de se moquer éperdument tandis que les médias économiques n’y consacrent même pas une ligne, sauf les jours de publication des enquêtes trimestrielles — sans trop s’appesantir sur la question. Mais il y a une excellente raison pour expliquer cette omerta !
Ce qui se prépare pour l’été 2010 est du même acabit que ce qui pendait au nez des banques depuis l’été 1997. L’occultation systématique — voire la négation éhontée — du problème des créances douteuses jusqu’à l’effondrement du système en octobre dernier avait permis aux initiés, tels Goldman Sachs, de mettre en place des stratégies de couverture qui se sont avérées de véritables mines d’or… et des puits sans fond pour les contribuables.
Pour gagner gros, il faut nécessairement que la manoeuvre demeure confidentielle. Il n’a, semble-t-il, pas été très difficile de convaincre une nouvelle fois la presse et la télévision de regarder ailleurs — ou de déployer un écran de fumée comme durant 18 mois, de mars 2007 à septembre 2008 — pendant que les plus malins se préparent au pire, qu’ils savent inéluctable.
▪ Les chiffres évoqués plus haut sont divulgués au lendemain même d’une rechute de 10,6% des mises en chantier de logements neufs. Elles affichent le total le plus faible depuis la création de l’enquête mensuelle en 1970 ! Sans oser évoquer brutalement un scénario de reprise en W — avec une rechute imminente du PIB américain –, certains économistes et stratèges commencent à évoquer timidement une reprise en U.
C’est un formidable raccourci conjoncturel concernant les neuf derniers mois. La seconde branche (ascendante) du premier V n’existerait donc qu’à l’état d’embryon — nous obtiendrions alors un J inversé — et la tendance serait déjà à la dérive latérale de la croissance.
Si vous supposez — comme nous le faisons sans relâche depuis juin dernier — que la politique de taux zéro risque de déboucher sur l’éclatement d’une ou plusieurs bulles d’actifs (sans avoir eu le moindre effet positif sur l’emploi et la consommation), vous ne tarderez pas à envisager que le scénario économique des 12 ou 18 prochains mois s’apparente à un L. Mais nous avons cette année une affection particulière pour le J inversé qui évoque pour nous le Japon des années 1990 à 2000.
▪ La journée d’hier pourrait avoir constitué un tournant majeur — l’emploi du conditionnel reste de mise. Les signaux de faiblesse de la conjoncture — peu importe qu’ils aboutissent à la formation d’un L ou d’un W — aux Etats-Unis semblent de nouveau considérés comme des facteurs baissiers pour le compartiment actions.
Rappelons-nous que chaque mauvaise nouvelle était jusqu’à présent saluée comme la garantie d’un maintient de taux zéro par la Fed, offrant aux marchés des liquidités gratuites mais également la possibilité de gagner indéfiniment de l’argent en spéculant contre le dollar.
La corrélation négative des actions par rapport au rebond du dollar a mis 48 heures à se matérialiser mais c’est maintenant chose faite. L’euro recule vers 1,4850. Il a perdu 1% en 48 heures avant de se redresser vers 1,4890 jeudi soir et la monnaie unique se rapproche de la base du canal haussier, inauguré à la mi-mars dernier — le seuil de rupture se situant vers 1,48/1,4780.
Le CAC 40 rechute ainsi très nettement en deçà du seuil des 3 800 points (-1,77% à 3 760 points) et l’Eurotop 100 dévisse de 1,6% sous les 2 150 points. Cela faisait également très longtemps que le Nasdaq avait affiché une perte supérieure à 2% au bout de deux heures de cotations. Le S&P 500 s’est quant à lui replié de 1,7% à 1 091 points, dans le sillage des indices européens.
Le bilan boursier de la semaine s’annonçait légèrement négatif à la veille du week-end mais le mois de novembre demeure largement gagnant — de +6% pour le Dow Jones. Wall Street accoucherait ainsi d’une neuvième progression mensuelle consécutive pour un gain historique et réellement sans précédent de 60% dans l’intervalle.
▪ Les marchés — tout comme nos lecteurs — ne manquent pas de s’interroger à juste titre (et vu les enjeux pour le dollar) sur les tenants et les aboutissants de la visite de Barack Obama en Chine. Il avait fait avant une escale au Japon puis à Singapour, en évitant soigneusement de faire une halte à Taïwan.
Depuis pratiquement une demi-douzaine d’année, l’empire du Milieu est le principal créancier de l’Amérique et ses réserves libellées en dollars représentent sous une forme ou une autre un total qui avoisine les 1 600 milliards de dollars — comme le rappelait mardi dernier Bill Bonner.
Ce n’est pas très agréable de perdre par exemple 20% de pouvoir d’achat en moins de neuf mois pour financer les achats de pétrole et de matières premières. La Chine contourne cet écueil en pratiquant chaque fois qu’elle le peut le troc. Un procédé qu’elle a systématisé de la façon la plus officielle avec le Brésil ainsi qu’avec de nombreux pays africains.
Le yuan, non-convertible, étant arrimé au dollar, la baisse de ce dernier confère un avantage commercial incontestable à la Chine. Le problème de l’évaporation de la valeur du billet vert affecte surtout les autres pays de la Zone Asie et l’Europe.
▪ La Chine ne doit plus seulement se préoccuper de la santé économique de son principal client — qui ne l’est peut-être plus vu le poids économique de la Zone euro et des pays de l’UE — mais également de l’économie mondiale en général.
Une trop forte instabilité des changes nuirait immédiatement au commerce international. La Chine, premier exportateur de la planète au coude à coude avec l’Allemagne, aurait tout à y perdre tant les mesures de relance actuelles — Pékin a ouvert en grand les vannes du crédit — alimentent une surévaluation de la Bourse et de l’immobilier.
Un passage à vide relatif au niveau de la croissance – avec une rechute de 8,5 vers 5% par exemple — aurait des conséquences dévastatrices, compte-tenu des effets de levier dont les banques ont doté les spéculateurs sur l’immobilier et les chefs d’entreprises.
▪ La Chine d’aujourd’hui ressemble beaucoup — en termes d’exubérance — au Japon du début des années 90 ou aux dragons d’Asie à l’entame de l’été 1997.
L’explosion d’une bulle de croissance n’est donc pas un scénario hautement improbable dans la mesure où il existe une fracture sociale colossale entre la Chine des villes et celle des campagnes.
L’inégalité de la répartition des richesses créées reste flagrante. Elle ne cesse de s’accroître et ne se résorbera que très lentement. Certainement pas assez vite pour que la demande intérieure se substitue à un fléchissement des importations occidentales si la reprise actuelle devait s’évanouir à cause du marasme provoqué par un dollar trop faible.
L’empire du Milieu est parvenu jusqu’ici à cheminer sans commettre de gros faux pas sur la voie du milieu… mais des vents contraires soufflant trop fortement contre la valeur du billet vert pourraient rompre le subtil équilibre que Pékin tente de préserver.