Les marchés actions sont à nouveau à des sommets mais ce n’est pas en raison des bénéfices, ni même des rachats d’actions par les entreprises elles-mêmes.
La semaine dernière courait le bruit que les actions avaient atteint des sommets records « à cause des bénéfices ».
On invite le badaud à croire que les entreprises américaines gagnent plus d’argent ; elles devraient donc valoir plus. Sinon pourquoi les gens paieraient-ils les actions plus cher ?
Les bénéfices proviennent de l’économie réelle. Avec beaucoup de travail et de la chance, on produit des biens et des services et on les livre. Des salaires sont versés. Les bénéfices, c’est ce qui reste. Si les profits augmentent, l’économie doit bien se porter.
Mais où sont lesdits bénéfices ?
Amazon vous propose de récupérer votre argent dans un siècle
Notre bonne vieille « rivière sans retour », Amazon, par exemple, a gagné quelque 10 Mds$ l’an passé. Pas mal.
Ces revenus ne justifient de loin pas une capitalisation boursière qui frôle les 1 000 Mds$. Avec de tels chiffres, un acheteur devrait dériver au fil de l’eau pendant près d’un siècle pour récupérer son argent grâce aux revenus.
Même aux taux actuels, artificiellement bas, les banques offrent 3% d’intérêt sur les certificats de dépôt (CD). Il ne faut attendre que 33 ans pour récupérer son argent… sans le risque de posséder l’une des entreprises les plus fragiles du marché boursier.
Cependant, AMZN pourrait être une exception de bien des manières. Voyons donc le marché dans son ensemble.
En sept ans, les bénéfices avant impôts n’ont pas progressé et les indices ont doublé
Au premier trimestre 2012 – il y a sept ans –, les entreprises américaines ont gagné un total de 2 200 Mds$ en profits avant impôts (annualisés). Au dernier trimestre 2018, les recettes des entreprises (annualisées là encore) ne se montaient qu’à 2 180 Mds$.
En d’autres termes, les entreprises américaines ne gagnent pas plus d’argent – du moins pas en vendant des biens et des services. Quant à l’économie réelle, elle ne semble pas franchement être en plein boom.
Pour autant que nous en sachions, il n’y a pas eu de changements appréciables en termes de salaires ou de taux de croissance du PIB. L’inflation quant à elle est si silencieuse et éteinte qu’on l’a déclarée morte.
Alors comment se fait-il que les investisseurs pensent que les actions ont pris autant de valeur ? En 2012, le S&P 500 était aux alentours des 1 500. Il est désormais deux fois plus élevé. Qu’est-ce qui a fait doubler les prix ?
Trois choses.
Premièrement, les rachats d’actions par les entreprises ont réduit le nombre de titres ; cela n’a pas augmenté les revenus des entreprises, mais il y avait moins d’actions sur lesquelles les répartir. Naturellement, les revenus par action ont grimpé ; les prix des actions ont grimpé aussi.
Selon Goldman Sachs, les rachats nets ont atteint en moyenne 420 Mds$ annuellement ces neuf dernières années – de loin la principale source de demande sur le marché. La demande nette moyenne annuelle des ménages, des fonds d’investissement, des fonds de pension et des investisseurs étrangers était de moins de 10 Mds$ par catégorie.
Deuxièmement, la réduction d’impôts à la fin 2017 privilégiait les entreprises et leurs propriétaires. Les économies d’impôts ont été versées au bilan… et ont pu ensuite être distribuées aux actionnaires, dirigeants, travailleurs ou consommateurs par le biais de « dividendes spéciaux », de prix en baisse, de salaires en hausse ou des rachats susmentionnés.
Troisièmement, les autorités ont injecté de la « relance » dans l’économie sous la forme d' »assouplissement quantitatif », de taux réels négatifs et de déficits. Cela n’a pas stimulé l’économie, mais l’industrie financière a adoré.
Regardons chacun de ces éléments de plus près.
Décisions irresponsables et hausse factice
- Réduire le nombre d’actions en circulation devrait augmenter la valeur de chacune de celles qui restent. Cependant, cela ne devrait avoir aucun effet sur la valeur totale du marché boursier ou du cours sur bénéfice, le PER.
Revenons en 2012. La valeur des entreprises et le PIB des États-Unis étaient à peu près équivalents – à 15 000 Mds$ environ. Aujourd’hui, les actions valent 30 000 Mds$ alors que le PIB n’est qu’à 20 000 Mds$. Les prix des actions ont grimpé trois fois plus rapidement que le PIB. Les rachats d’actions n’expliquent pas cela.
Regardez les PER : c’est la même histoire. Le PER moyen du S&P 500 en 2012 se situait aux environs des 15. A présent, il est à 22. Les prix ont dépassé la croissance des revenus de 50%. Pourquoi ? Pas à cause des rachats d’actions, en tout cas.
- La majeure partie des observateurs les plus sérieux considéraient la baisse d’impôts non-financée de 2017 comme étant irresponsable. Les autorités dépensaient déjà largement plus qu’elles ne touchaient en recettes fiscales. Mais au lieu de réduire leur consommation calorique, elles sont allées directement chez le glacier et ont commandé un « Délice du Cardiaque » : trois boules, noyées de sauce au chocolat.
La réduction d’impôts n’a pas fait grand’chose pour M. et Mme Tout-le-Monde mais elle a ajouté une dose de sucre au monde des entreprises. Les revenus après impôts sont plus élevés. Et les actions des entreprises devraient valoir plus, non ?
Attendez un peu. D’où provenait l’argent ?
Il doit bien venir de quelque part. Nous avons vu que les mesures de « relance » ne sont que fraudes et escroqueries. Elles n’engendrent qu’un surcroît de dette. Dans le cas présent, les autorités ont emprunté plus d’argent pour pouvoir réduire les impôts. En fin de compte, la dette devra être épongée, d’une manière ou d’une autre… par les gens normaux de l’économie réelle.
Euh… eh bien… là, vous voyez le problème aussi bien que nous. Ce sont ces mêmes personnes qui achètent les produits des entreprises. Elles auront désormais moins d’argent à dépenser. Les ventes et les profits des entreprises devraient baisser en conséquence.
- Enfin, nous en venons à la cause réelle de la hausse des actions.
Durant la pseudo-urgence de 2009, les autorités ont paniqué. Elles ont réduit les taux et emprunté lourdement. Ensuite, 10 ans plus tard, la Fed – qui était en train de revenir prudemment à une politique monétaire « normale » – s’est dégonflée.
A l’automne 2018, les prix des actions avaient commencé à chuter. Mais la Fed ne pouvait pas supporter l’idée d’une correction… que ce soit sur les marchés boursiers ou dans l’économie. Elle a fait savoir aux investisseurs qu’ils avaient tout son soutien… et qu’elle continuerait à prêter de l’argent à des taux réels proches du zéro, peut-être éternellement.
Vous voyez : les actions grimpent peut-être… mais ce n’est pas « grâce aux bénéfices ».
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Vos rubriques et vos lectures valent + que de l’or
Tony Patti