▪ L’Allemagne a enregistré une croissance de 3,6% en 2010, la plus spectaculaire depuis la réunification en 1990. Le PIB a été dopé par les exportations de machines outils et de berlines de luxe vers la Chine. Le moteur de la locomotive asiatique a lui-même été gavé au nitrométhane du crédit et des 450 milliards de dollars du plan de relance massif mis en place par Pékin fin 2008.
La croissance chinoise a pu ainsi se maintenir à plus de 10% en 2010… au prix d’une poussée inflationniste et d’une bulle immobilière dont les marchés se désintéressent totalement depuis 48 heures, obnubilés puis soudain délivrés de leurs angoisses par le « succès » de l’émission de bons du Trésor portugais proposés mercredi.
Il s’agissait d’une opération de taille modeste (600 millions de dette à 10 ans, 650 millions de dette à trois ans), sans commune mesure avec celles qui se profilent en Espagne et en Italie. Les indices boursiers ont fusé à la hausse dès la première heure de cotation sur des rumeurs d’intervention de la BCE, soucieuse d’instaurer un climat de confiance sur les marchés obligataires.
Lorsque l’adjudication fut terminée (en fin de matinée), les investisseurs ont littéralement exulté en constatant que le rendement servi sur le 2020 ressortait en légère baisse (à 6,71 contre 6,81% lors de la précédente), alors que les anticipations tournaient autour de 7% — un niveau proche des récents sommets testés autour de 7,2% en début de semaine.
Les bons à 3 ans ont en revanche vu leur rendement s’envoler de 33%, passant de 4,05% à 5,40%. Cependant, il aurait été de mauvais aloi de s’appesantir sur cette nette dégradation alors que la volonté de rassurer apparaissait évidente.
Il s’en est suivi une ruée sur les valeurs bancaires d’une intensité décuplée par les programmes de trading. Les résistances ont été franchies les unes derrière les autres, les banques espagnoles et italiennes gagnant jusqu’à 10% (Santander, Unicredit) ; SanPaolo s’envolait même de 11%.
▪ On se serait donc inquiété pour rien… Si les 1,25 milliards d’euros placés ce mercredi ont reçu un bon accueil, les 275 de refinancement dont ont besoin les PIGS en 2011 vont passer comme une lettre à la poste — et plus aucun souci à se faire en ce qui concerne la Belgique ou l’Italie !
A Paris, la fréquence étourdissante des échanges sur les financières traduisait également l’emballement des programmes d’achat. Société Générale a bondi de 7%, Crédit Agricole de 5,8%, BNP Paribas de 4,9%, Natixis de 4,4% et AXA de 5,4%.
▪ Avec cette flambée de 5% du secteur financier, le CAC 40 clôturait en hausse de 2,15%, au plus haut du jour et de l’année 2011. N’oublions pas que 3 945 points, c’est très précisément le zénith intraday testé les 4 et 6 janvier, mais également le 9 novembre dernier en clôture.
Les places boursières du sud de l’Europe se sont envolées dans des proportions supérieures à celles observées lors des rebonds les plus explosifs du printemps 2009 (10 mars et 2 avril) : +5,5% à Madrid, +5% à Athènes, et l’Euro-Stoxx 50 affiche un spectaculaire gain de 3%, sans précédent depuis le 1er septembre ou le 10 mai 2010.
▪ Les cambistes ont suivi le mouvement. L’euro est d’abord revenu au contact de l’ex-support des 1,3060 $, puis il a encore accéléré en début de soirée pour revenir au contact des 1,31 $.
Le recul symétrique du dollar (-1%) a propulsé le pétrole vers 92 $ le baril. Pas de quoi inquiéter Wall Street, toutefois : la hausse de 1,1% des prix à l’importation en décembre, après 1,5% en novembre, a été tout bonnement ignorée. Le Dow Jones gagnait 0,85% à la mi-séance, soit 100 points, histoire de restaurer la magie de la hausse à trois chiffres.
Parallèlement, le S&P (+0,9% à 1 287 points vers 20h) n’était plus qu’à 1% de la très coriace résistance (et seuil pivot) des 1 300 points. Ce niveau qui correspond à un gain de 95% en l’espace de 21 mois.
Vous le constatez, Wall Street n’en termine pas sur une note d’euphorie débridée comme en Europe quelques heures auparavant. Une apparente sagesse aurait donc prévalu ?
▪ En réalité, les indices ne peuvent pas baisser ; le Nasdaq, par exemple, n’a jamais consolidé de plus de 0,4% — et encore, en une seule occasion — depuis le 23 novembre dernier. Pas un seul mouvement de repli technique, même minime, en 35 séances, soit sept semaines et demi (il y a eu quelques jours fériés fin novembre). Les indices US semblent bien partis pour en inscrire une huitième consécutive.
Relisez le fil de l’actualité économique depuis le 1er décembre, relisez les plus récents communiqués de la Fed, relisez les derniers discours de Tim Geithner concernant l’impasse budgétaire dans laquelle s’enferrent les Etats-Unis.
Bon sang, mais c’est bien sûr ! La version française n’a pas réussi à capter le message subliminal attaché à chaque statistique et à chaque communiqué officiel ! Il dit : « achetez des actions », « ne vendez pas vos actions », « faites-vous plaisir, reprenez une petite louchée d’actions pour épater vos copains »…
Certains spécialistes des marchés qui n’ont aucune prédisposition pour la poésie et les explications métaphoriques n’y vont pas par quatre chemins. Selon eux, cette régularité quasi-surréaliste de la hausse résulte uniquement de la robotisation des échanges et d’une volonté inflexible de tirer les cours par le biais de puissants algorithmes. Cela quelles que soient les circonstances — bonnes ou mauvaises — ou les perspectives découlant de l’actualité du jour.
▪ Si le graphique du Dow Jones finit par ressembler à un câble de téléphérique qui grimpe doucement vers le firmament, l’indice VIX de la volatilité plonge en revanche brutalement vers abysses inconnues depuis 2007 (plancher de 16,1).
Nous assistons du point de vue technique à ce qu’il convient de nommer un « paroxysme de confiance » absolument historique… Compte tenu de la morosité du quotidien et de l’avenir des citoyens des pays développés (décrit lors des deux précédentes chroniques), cela démontre l’ampleur de la déconnexion de Wall Street avec la sphère du réel.
Les marchés sont devenus de véritables boussoles en plâtre, des thermomètres éternellement chauffés par la flamme du briquet. La température lue au large du Groenland un 13 janvier est la même qu’à l’Ile Maurice… fermez les yeux et rêvez donc de lagons bleus au lieu de scruter les icebergs avec effroi !