A crise extraordinaire, efforts budgétaires extraordinaires – et tout cela, à petits pas, nous conduit vers la catastrophe.
La lutte contre la pandémie de coronavirus nécessitera des efforts budgétaires extraordinaires, compte tenu de la baisse des recettes fiscales, des dépenses de santé et de répartitions sociales beaucoup plus élevées.
Par ailleurs, pour compenser la disparition d’une partie de la demande des ménages et des entreprises, une forte demande publique va devoir être mise en place.
Les gouvernements de la plupart des pays développés ont également conclu qu’une augmentation des dépenses publiques et, partant, du niveau de la dette publique, est préférable à la destruction généralisée des capacités de production pendant l’épidémie.
On va donc en même temps soutenir les citoyens, la demande et l’offre !
En conséquence, pour toutes ces raisons, le niveau de la dette publique augmentera fortement cette année – et certainement les suivantes.
Il y a des gens, comme Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, qui affirment que les impôts n’augmenteront pas et que tout cela se payera par la croissance : c’est une ineptie criminelle.
La croissance ne va pas augmenter mais ralentir
Déjà en 2008, lors de la crise financière – qui était beaucoup moins destructrice –, on est entré en croissance séculaire ralentie. On n’a jamais réussi à payer les dettes ni, plus inquiétant, à réduire les politiques monétaires non conventionnelles.
Ici ce sera encore bien pire car tout est beaucoup plus détruit ; les sommes ont déjà quasi-doublé par rapport à celles de 2008, la situation de départ est beaucoup plus mauvaise. Et puis il y a l’épée de Damoclès de la pyramide financière de quelques centaines de milliers de milliards, pyramide instable, au-dessus de nos têtes.
Va-t-on vers des crises de la dette souveraine? Je le pense.
Je ne vois pas d’autre issue, les déficits sont colossaux, les trous sont abyssaux et les facultés contributives des peuples, surtout dans des pays comme la France, sont largement sur-utilisées.
On ne peut tondre beaucoup plus, sauf peut-être certaines catégories sociales très nanties – mais leurs patrimoines sont largement à l’abri, dé-territorialisés, et ces gens n’ont pas de revenus : ils vivent de capital et de plus-values. Ce que l’on peut leur prendre, hors action violente de confiscation, est faible, modeste.
La solution raisonnable serait la restructuration concertée mondiale des dettes afin de les rendre compatibles avec les facultés de service des intérêts et surtout des remboursements de capital. C’est exclu : dans tous les pays, c’est le capital qui détient le pouvoir politique et il n’acceptera jamais de se faire hara-kiri. Il voudra jusqu’au bout faire son plein.
Les conséquences de la hausse du niveau de la dette publique sur les pays développés et émergents vont être colossales. En Europe, les maillons les plus faibles de la Zone euro sont l’Italie, l’Espagne et la France.
Un cocktail explosif
J’explique souvent que l’inflation, contrairement aux idées des monétaristes, n’est pas seulement une affaire de quantité de monnaie. En revanche, elle commence avec les déficits des budgets des gouvernements et elle se développe lorsque les citoyens et l’étranger commencent à comprendre que ces budgets sont hors de contrôle.
Déficits hors de contrôle, politiques monétaires laxistes pour financer ces déficits, faible consensus social et tensions sur le revenu national : voilà le vrai cocktail qui fait sortir le génie de la bouteille et fait exploser l’inflation.
Bien entendu, pour exploser, cette inflation doit être un peu encouragée au début par les autorités publiques ; ce sera bien le cas, car elles y trouveront avantage pour réduire le poids réel des dettes. Mais peu à peu, l’inflation vivra de sa vie propre. Une fois le génie sorti de la bouteille, il vole, à son propre rythme, selon sa fantaisie et surtout selon les caprices de la vie sociale.
Les autorités chercheront ensuite à réprimer à la fois l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Elles évolueront peut-être vers l’erreur historique de la généralisation des contrôles de prix. Elles s’enfonceront dans le mensonge à la soviétique. Ce sera freiner pour mieux accélérer : ces expériences n’ont jamais réussi.
Un jour ou l’autre le couvercle mis sur les marchés sautera et ce sera la rupture. La rupture du grand invariant, le mythe de la déflation séculaire.
Je fais le pari que ce scénario se produira dans trois à cinq ans*. Seuls les dieux sont les maîtres du temps et des calendriers, mais ce qui doit arriver arrivera.
Quand ce scénario s’imposera, ce sera la révulsion : les dettes publiques, les fonds d’Etat, tout ce qui est considéré comme refuge sera rejeté, sera fui.
Les couples Trésor public-banque centrale ont été les assureurs suprêmes.
Or ces assureurs suprêmes – ceux qui ont absorbé tous les risques sans jamais essayer de les contrôler ou de les réduire –, tous ceux-là non seulement ne pourront plus rien assurer mais ils seront sinistrés.
* Trois à cinq ans, c’est le temps logique, celui de l’enchaînement des étapes ; le temps réel n’est pas évaluable.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]