La stratégie chinoise se révèle particulièrement adaptée à la réalité du secteur, où la recherche de sources d’approvisionnement viables nécessite une vision à long terme et des investissements conséquents.
Il y a un an, j’ai rédigé un article sur l’opportunité d’investir dans le secteur de l’uranium. Cet article reposait sur deux piliers :
- l’analyse fondamentale, avec la nécessité vitale de l’électrification de l’économie mondiale et la transition vers des sources d’énergie décarbonées en réponse au réchauffement climatique ;
- l’analyse technique, qui a solidement confirmé le premier point.
J’avais choisi l’ETF Global X Uranium ETF (URA) comme exemple, dans le but de limiter les risques non systémiques. A l’époque, son cours avoisinait les 20 $, mais aujourd’hui, il évolue plutôt vers les 28 $. Bien que j’aie initialement envisagé de vous présenter une mise à jour basée sur l’analyse technique (en particulier en surveillant le passage des 30 $), je préfère aujourd’hui partager une approche plus concrète.
Voici donc une analyse de la production d’uranium en Namibie, un acteur clé qui représente environ 10% de la production mondiale. Nous allons nous intéresser à l’histoire des trois mines d’uranium en Namibie.
La mine d’uranium de Langer Heinrich représente une saga étalée sur plusieurs décennies.
- Sa découverte a lieu en 1973.
- Entre 1974 et 1980, Gencor entreprend des travaux d’évaluation, mais en 1980, ces efforts sont interrompus en raison d’une baisse du prix de l’uranium.
- En 1998, Acclaim Uranium acquiert le projet à Gencor et entreprend une étude de préfaisabilité entre 1999 et 2000. Malheureusement, le projet subit à nouveau une suspension en raison des fluctuations des prix de l’uranium.
- Paladin Energy prend les rênes en 2002, en acquérant Aztec Resources pour la somme de 15 000 $, assortie d’une redevance de 12 cents par kilogramme de Yellowcake vendu. Les fondations de la mine sont posées en 2005 et elle est finalement inaugurée en 2007.
- Le début de la production de la mine a lieu autour de 2008 (il s’agit d’une estimation).
- En 2014, Paladin Energy cède 25% de la mine à la China National Nuclear Corporation (CNCC), une filiale de la China National Nuclear Corporation, pour la somme substantielle de 190 millions de dollars.
- L’année 2018 marque un tournant, avec la mise en « maintenance » de la mine. Cela traduit une réalité économique : les prix de l’uranium étaient alors trop bas pour assurer la viabilité opérationnelle de la mine.
- En avril 2022, un nouvel épisode s’écrit avec une augmentation de capital de 278 millions de dollars australiens visant à relancer l’activité (0,79 $ par action, représentant 11% de la capitalisation totale). Redémarrer une mine, cela n’est pas aussi simple que de rallumer la lumière : cela requiert du temps et des investissements considérables.
- La réouverture de la mine est projetée pour début 2024. Les réserves de Paladin Energy s’élèvent à 83 millions de livres U3O8, tandis que les ressources sont estimées à 128 millions de livres U3O8. Avant sa fermeture, la mine produisait environ 5 millions de livres d’uranium par an.
La mine d’uranium de Rössing constitue un chapitre intéressant dans l’histoire de l’exploitation de l’uranium.
- La découverte du gisement remonte à 1928, mais ce n’est qu’à partir des années 1950 que l’exploration prend véritablement son envol. La production démarre en 1976, propulsant la mine au rang des trois plus grandes exploitations d’uranium au monde.
- En 2017, elle atteint une production de 4,6 millions de livres d’uranium.
- En 2018, un tournant majeur survient lorsque Rio Tinto cède sa participation de 69%, détenue depuis 1966, à China Uranium Corporation pour 106 millions de dollars. Six millions sont versés immédiatement, et les 100 millions restants seront payés au fil de la production et des bénéfices au cours des sept années suivantes.
- En 2019, la mine représente 3,9% de l’offre mondiale, une part qui s’accroît à 4,4% en 2023.
- Rössing maintient un niveau de production significatif, avec 4,3 millions de livres d’uranium en 2020, soulignant sa contribution continue à l’approvisionnement mondial de cette ressource cruciale.
La mine d’Husab émerge telle une pièce maîtresse dans le paysage mondial de l’uranium.
- Découverte en 2007, à seulement 15 km de la mine de Rössing.
- Entre 2011 et 2012, une série d’acquisitions redessine le panorama. Rio Tinto cède ses 14,2% de participation dans le projet Husab, tandis que Kalahari Minerals – actionnaire principal d’Extract Resource détenant 43% de ses actions – est racheté en 2011 pour 990 millions de dollars par China Guangdong Nuclear Power. En 2012, ce dernier acquiert le reste du projet Husab à Extract Resource pour 1,9 milliard de dollars américains.
- Swakop Uranium, détenue à 90% par la compagnie chinoise CGNPC et à 10% par le gouvernement namibien, exploite aujourd’hui la mine d’Husab. L’autorisation de construction est accordée en 2013, suivie de l’inauguration en 2014. Après un investissement colossal de 2 milliards de dollars, la production débute en 2016.
- En 2020, Husab se hisse au rang de deuxième plus grande mine d’uranium au monde, produisant 10,1 millions de livres d’uranium, à égalité avec la mine de Cigar Lake de Cameco au Canada.
La stratégie chinoise en Namibie s’articule donc autour de trois mines : Rössing, ancienne et en fin de vie ; Langer Heinrich, actuellement en « hibernation » et Husab, un nouveau gisement de classe mondiale.
La Chine ne cherche pas simplement à se prémunir contre une hausse des prix, étant donné le coût marginal du combustible pour une centrale nucléaire. Son objectif est plutôt de sécuriser l’approvisionnement en uranium pour ses centrales, avec l’équivalent de 10% de la production mondiale d’uranium sous son aile en Namibie.
Il est crucial de noter l’impact significatif des investissements chinois dans le paysage de l’uranium Namibien. Sans ces interventions, la mine de Rössing aurait probablement fermé ses portes, Langer Heinrich aurait subi davantage les contrecoups des prix bas, et la mine d’Husab serait restée un gisement prometteur dans les mains d’une « junior » oubliée. Investir des milliards de dollars dans des mines à faible teneur, avec des risques de pollution, gourmandes en eau et situées dans le désert namibien n’aurait pas forcément trouvé écho auprès des investisseurs (et c’est un euphémisme).
Certains peuvent avancer que l’uranium est largement répandu à la surface de la Terre, accessible partout. Bien que cela soit vrai, cela néglige la complexité du problème. Les gisements qui justifient des investissements colossaux, se chiffrant souvent en centaines de millions, voire en milliards de dollars, sont rares. La stratégie chinoise se révèle ainsi particulièrement adaptée à la réalité du secteur, où la recherche de sources d’approvisionnement viables et stratégiques nécessite une vision à long terme et des investissements conséquents.