▪ L’optimisme des opérateurs était excessif début 2011 nous explique-t-on aujourd’hui… Il n’empêche que les acheteurs de début janvier — dont nous ne faisions pas partie, et nous avons failli nous en mordre les doigts — avaient engrangé 10% à l’issue des six premières semaines de l’année, avant de tout reperdre à la mi-mars.
Ce serait l’inverse en 2012 : le consensus était trop pessimiste à l’approche des fêtes et cela expliquerait le rebond de 10% du CAC 40 et de l’Euro-Stoxx 50 durant la Trêve des confiseurs, ainsi que l’entame très positive des 2 et 3 janvier (avec +2,7% en 48 heures).
Sauf que les deux hausses, si elles s’avèrent comparables en amplitude, ne le sont certainement pas en termes de volumes. Il ne s’est en effet échangé que 1,75 milliard d’euros en moyenne quotidienne au cours des 15 derniers jours, pour un cumul absolument ridicule de 19,3 milliards d’euros en 11 séances de hausse. Cela alors que l’activité dépassait largement les 3,5 milliards d’euros en janvier 2011 (avec plusieurs séances à plus de 4,5 milliards, et même cinq milliards en fin de mois).
Mais peu importe le caractère artificiel de ce rally de fin d’année, réservé aux rares initiés encore présents entre les deux réveillons et ce 2 janvier (alors que Londres et Wall Street étaient en congé).Voilà qu’on nous affirme que les investisseurs avaient trop noirci le tableau, histoire de justifier leur désertion des marchés à l’issue d’une année calamiteuse.
▪ Aurions-nous manqué un détail ou deux ?
Afin de ne pas être accusé de balancer nous aussi des commentaires alarmistes à l’emporte-pièce, nous tenons à votre disposition toute une masse d’informations techniques venant étayer notre argumentation (il vous suffit d’en faire la demande par e-mail).
Vous nous faites le plus souvent le grand honneur de nous accorder une confiance pleine et entière mais si nous persistons à produire des commentaires négatifs alors que les marchés s’obstinent à grimper, vous allez finir par vous demander si un ou deux détails ne nous auraient pas échappé… et qui donneraient raison aux marchés.
Or ce sont bien les marchés qui ont perdu la raison — et nous en détenons de nombreuses preuves… mais ce n’est pas l’aspect des choses le plus inquiétant.
Le coeur du problème, c’est que ni les élites politiques, ni les médias, ni une majorité d’économistes ne veulent l’admettre publiquement. De peur des représailles, probablement ! Face à un fou potentiellement violent et pratiquement impossible à raisonner, il vaut mieux s’abstenir de provocations inutiles… surtout qu’il n’existe aucune camisole de force et aucun neuroleptique pour contenir ses accès irrépressibles d’exubérance ou de noire déprime.
Les traders se retranchent donc derrière le sempiternel « le marché a toujours raison », en ajoutant perfidement « c’est juste qu’il change constamment d’avis ». S’il s’agissait d’un personnage clé, tel qu’un haut dirigeant politique ou d’un gouverneur de banque centrale retournant sa veste au gré de ses bonnes ou mauvaises humeurs, tout le monde dirait que c’est un crétin irresponsable affublé en outre d’une incompétence crasse.
Mais le marché, cela ne sert à rien de le critiquer puisqu’on ne peut pas le virer avec pertes et fracas. Alors notre rôle, c’est de vous avertir quand le marché perd les pédales et le contact avec la réalité, et nous sommes de nouveau en plein dedans.
Peut-être qu’une correction de 1,6% mercredi prouve que la crise de schizophrénie est en train de s’achever mais rien n’est moins sûr. Il se trouvait encore hier matin des opérateurs pour se féliciter du « succès » de l’émission de quatre milliards d’euros de bons du Trésor à 10 ans par l’agence allemande de la dette (Finanzagentur).
▪ Une émission de Bunds qui ne nous rassure pas
Si la demande a couvert 1,3 fois les premières tranches de Bunds mises aux enchères, le Trésor allemand n’a levé que deux tiers du montant maximum prévu. Pas vraiment de quoi se rassurer après l’émission ratée du mois de novembre : 60% seulement du papier avait trouvé preneur avec un taux de couverture ridicule de 1,1.
Pendant que l’Allemagne affichait une satisfaction de façade, les taux longs se tendaient en Espagne (5,5%), au Portugal (13,5%) et en Grèce (35%). Il y a plus inquiétant encore : la banque centrale s’est vue contrainte ce week-end d’allouer 25,5 milliards supplémentaires à 34 banques qui risquaient de se retrouver en défaut de paiement vis-à-vis de leurs contreparties anglo-saxonnes.
Il s’agit cette fois de prêts pour une durée de trois mois qui complètent une allocation de 33 milliards de dollars à 14 jours réalisée juste avant Noël (histoire de tenir jusqu’au 31 décembre).
Vu de Wall Street, il semblerait que la plupart des banques européennes ne constituent plus des contreparties viables. Ces mêmes banques pourraient démentir cette frilosité de leurs consoeurs américaines en se prêtant allègrement de l’argent entre elles… mais elles sont les premières à se méfier les unes des autres et préfèrent le placer à un taux négatif (compte tenu d’une inflation durablement ancrée au-dessus des 2%) auprès de la BCE.
Les dépôts atteignaient 850 milliards d’euros au 30 décembre et la BCE a enregistré un placement record de 435 milliards d’euros auprès de ses guichets mardi. Et que la BCE fait-elle de cette manne ? Elle re-prête le tout aux établissements de crédit exsangues (Madrid étudierait un plan de sauvetage pour les banques espagnoles avec le FMI) et participe aux émissions de dettes souveraines qui ne trouvent pas preneur.
Le bilan (le montant des encours) de la BCE atteint maintenant le faramineux total de 2 700 milliards d’euros pour 81 milliards de capitaux propres.
Allez vous étonner en découvrant ces chiffres que les stratèges internationaux orchestrent un rapatriement de capitaux vers les Etats-Unis ! C’est en tout cas ce que semble confirmer une rechute de 1% de l’euro vers 1,2930 $ — il reperd ainsi tout le terrain gagné depuis le 31 décembre.
▪ La cerise sur ce triste gâteau…
Nous allons conclure cette Chronique un peu technique par la cerise sur le gâteau. Comment les marchés vont-ils digérer la décote de 75% et non de 50% de la dette grecque qui se profile, même si les pourparlers sur la prochaine tranche de refinancement d’Athènes — jugée cruciale — prévue fin janvier ne tournent pas en eau de boudin ?
Souvenez-vous de l’inflexibilité de Baudouin Prot, arc-bouté derrière la ligne Maginot des 50% de décote. Il assurait fin octobre que les banques françaises ne sauraient tolérer que l’on leur impose le franchissement de ce seuil ; au-delà, ce sera « l’incident de crédit », avec comme contrepartie l’activation des CDS et le risque d’un véritable Fukushima bancaire.
Or il est d’ores et déjà sûr et certain qu’on va le franchir, ce seuil — peut-être même avant la fin du mois de janvier… Alors question à 2 700 milliards d’euros : qui va payer ?