▪ Si l’on s’en tenait aux seuls scores des indices boursiers mardi soir, on pourrait croire que l’actualité du jour était parfaitement anodine et sans aucun impact macro-économique.
La stagnation de Wall Street à la mi-séance (le S&P grappillait 0,1% tandis que le Nasdaq reculait d’autant) masque en réalité de fortes secousses sur les devises. Le dollar a plongé de 1,2%, au contact des 1,36/euro et sous les 83,70 yens.
Le Japon évoquait mardi matin le rétablissement des taux zéro, et au besoin de nouvelles interventions sur le marché des changes. De son côté, le ministre des Finances brésilien dénonçait une stratégie de guerre des devises à l’échelle planétaire.
Il devient très difficile de ne pas soupçonner que si les indices boursiers ne chutent pas consécutivement à de telles turbulences monétaires (provoquées par une série de mauvais indicateurs américains), c’est qu’ils sont activement soutenus… Peut-être dans le but de les maintenir le plus près possible de leurs meilleurs niveaux de l’été d’ici le 30 septembre (encore 24 heures à tenir).
▪ Paris, qui termine sur un score insignifiant de -0,1%, a enchaîné pas moins de quatre mouvements d’une amplitude de 1% en moins de six heures de cotation, pour finalement n’aller nulle part.
Le CAC 40 avait abordé la zone des 3 760 points dès le 13 septembre dernier. Quinze jours plus tard, il s’y trouve encore — non sans avoir testé à deux reprises la zone des 3 720 points en cours de séance, dans un volume un peu plus étoffé de 3,5 milliards d’euros, ce qui n’est pas surprenant vu la volatilité en intraday.
Tout comme Paris, les places européennes ont terminé la séance d’hier sans réelle tendance : -0,05% à Francfort, -0,25% à Milan et Madrid (qui avait fort mal démarré la journée) mais Londres grappille 0,1% et Amsterdam 0,3%.
A Wall Street, les opérateurs font mine de bien digérer les mauvais chiffres, mais nous ne sommes pas dupes de la manoeuvre. Ils procèdent en effet à des habillages de bilans de fin de trimestre. Rappelons que le principe consiste à ramasser les titres qui ont le plus progressé ces trois derniers mois afin de les faire figurer en bonne place dans les portefeuilles, démontrant la prodigieuse sagacité de ceux qui les gèrent.
▪ Le courant acheteur est donc d’origine plus "technique". Il ne reflète aucun véritable vent d’optimisme (un tout récent sondage de State Street Global Markets le démontre) alors que les économistes font part de leurs incertitudes, partant du constat qu’une série de mauvaises surprises concernant la conjoncture s’accumule depuis juin dernier.
Les quelques éléments positifs sont systématiquement montés en épingle par les médias. Ces derniers ne s’interrogent même pas sur la signification profonde de certains phénomènes — comme cette émission de bons du Trésor américains à cinq ans mardi matin, dont le rendement est ressorti comme le plus faible depuis un siècle.
Cette fuite vers la qualité s’inspire précisément du déclin du prix des maisons aux Etats-Unis au mois d’août (après trois mois de reprise), et surtout de la chute de confiance des consommateurs américains.
L’indice du Conference Board se dégrade plus fortement qu’anticipé en septembre, à 48,5 contre 53,2 en août alors que les économistes ne prévoyaient qu’une contraction à 52,6.
La composante "anticipations" chute encore plus fortement, à 65,4 contre 72,0 fin août. Enfin, le "sentiment sur la situation présente" se dégrade à 23,1 contre 24,9 en août, toujours en référence au blocage du marché de l’emploi.
▪ Une autre étude publiée ce mardi — qui a fait beaucoup moins de bruit que les spéculations sur une initiative de la Fed — nous semble pourtant éclairante : au troisième trimestre, il n’y a plus que trois grandes entreprises du S&P sur dix qui déclarent envisager des embauches dans les six prochains mois, contre 40% fin juin.
Elles sont en revanche 23% (contre 17% il y a trois mois) à prévoir des licenciements ! Enfin, 66% d’entre elles — contre une écrasante majorité de 80% au deuxième trimestre — anticipent une progression de leurs ventes d’ici mars 2011.
▪ Les opérateurs ne s’intéressent pas à ce genre d’enquêtes mineures (toutes celles qui attestent d’un risque de récession le sont) : il leur faut "du lourd" pour manifester un semblant d’inquiétude. Les places européennes, par exemple, avaient été plombées hier matin par la rumeur d’une nouvelle dégradation de la dette espagnole.
Peu après, elles se sont empressées de se réjouir d’une nouvelle rumeur faisant état de la reprise imminente du cycle de quantitative easing (QE, assouplissement quantitatif) par la Fed. Un de ses membres s’est même montré plus précis en évoquant des "montants limités" sur une période plus "resserrée".
La presse américaine pense toutefois avoir identifié d’autres pistes après avoir branché son décodeur au fil des dernières déclarations de divers membres de la Fed. Les journaux évoquent un assouplissement quantitatif sans limitation de taille ni de durée, en fonction du possible surgissement de nouvelles difficultés conjoncturelles.
Autrement dit… on verra bien, on déjeune et on avise. Et si nous ne sommes pas d’accord entre nous, on tire à la courte liasse : celui qui pioche la plus petite pile de billets de 100 $ dans la besace de Ben Bernanke gagne le droit d’en imprimer 100 milliards, et 200 milliards de plus s’il avait astucieusement joué son joker lors de la dernière réunion.
▪ La Fed n’a aucune idée à ce jour du montant de créances douteuses qu’elle se préparerait à racheter auprès du secteur bancaire… et encore moins des effets d’un tel QE. En effet, la précédente campagne donne des résultats non significatifs, voire absurdes : pour 10 $ réinjectés dans l’économie sous forme de T-Bonds, il ne ressort que 1 $ de PIB supplémentaire.
La roulette donne de bien meilleurs résultats, en ne pariant que sur les chiffres pairs ou impairs et en doublant la mise en cas d’échecs successifs.
Mais l’envolée de l’once d’or au-delà des 1 300 $ prouve que ce sont bien les détenteurs de dollars qui "ont les jetons".