** La dernière séance boursière du mois d’août a donné lieu à une consolidation des plus symboliques (-1%) dans des volumes carrément anémiques : deux milliards d’euros échangés à Paris… alors que certains morning briefings anticipaient un lundi de rentrée. L’amplitude des variations en intraday n’a jamais dépassé les 0,5%. Le repli du CAC 40 a constamment paru sous contrôle — ce qui était certainement le cas –, de telle sorte que le score mensuel avoisine les +7% après +9% en juillet.
Avec un rally de 16%, le CAC 40 vient de connaître une des plus fortes hausses estivales jamais observée en 20 ans. Les valeurs françaises enregistrent sans conteste la plus forte hausse de leur histoire en cinq mois (+50%). [NDLR : Et certaines valeurs sont particulièrement bien placées pour profiter de cette hausse — continuez votre lecture pour tout savoir…]
Jamais une telle progression n’avait été observée dans un contexte de surendettement des Etats et de rareté du crédit tel que nous le connaissons. Jamais le "marché" (et nous allons vous expliquer pourquoi nous jugeons ces guillemets indispensables) n’avait affiché une telle certitude concernant la réalité du rebond économique… alors que ce scénario n’est jamais apparu aussi incertain depuis les années 70.
** Dominique Strauss-Kahn, le président du FMI, l’a souligné ce week-end : "la solidité et la pérennité de la reprise semblent largement surévaluées".
Comme la plupart des rédacteurs de la Chronique Agora, il pointe du doigt plusieurs facteurs : l’impact de mesures de soutien temporaires au secteur automobile (programme "cash for clunkers" aux Etats-Unis), et la hausse ponctuelle des prestations sociales associées à des réductions d’impôts — dont les effets bénéfiques sur la consommation ont commencé à s’estomper dès le début de l’été.
Soyons encore plus précis, car nous avons disséqué la structure du PIB américain au second trimestre 2009 : le recul confirmé à -1% "seulement" résulte principalement de la forte baisse des importations (-15%) alors que les exportations n’ont fléchi que de 2% (grâces en soient rendues au dollar plus faible).
Ce seul facteur mécanique — qui traduit à l’évidence une nette contraction de l’activité outre-Atlantique — a contribué à hauteur de +1,68% au PIB.
Les dépenses gouvernementales y ont également contribué à hauteur de +1,27%. Le service de la dette, qui vient de doubler en quelques mois, est opportunément exclu de la colonne "passif" au motif qu’il peut être considéré comme un investissement.
Alors que les "experts" claironnent dans tous les médias que l’économie se stabilise, les dépenses privées d’investissement se sont effondrées de 20,4%, soit une contribution négative de -3,20% au PIB américain. Le recul de la consommation, pourtant soutenue à grands coups de subventions tous azimuts, ampute la croissance d’un bon pourcent supplémentaire.
** Laissons quelques instants les Etats-Unis puisque l’argument central des adeptes du discours dominant concerne la reprise mondiale. Selon eux, la Chine serait en plein essor — et peu importe que les exportations chutent encore de 17% à 20% en rythme annuel. Quant au Japon, la situation économique y est à ce point mauvaise, et les signes d’embellie si fragiles, que la coalition au pouvoir depuis 50 ans vient de subir un revers majeur aux élections qui se sont déroulées dimanche.
La nette victoire du DPJ (le poste de nouveau Premier ministre devrait revenir à Yuko Hatoyama) au Japon a d’abord été saluée par une hausse de 2% du Nikkei à l’ouverture. La flambée du yen (+1% contre le dollar) est toutefois venue plomber la tendance à Tokyo, qui a fini en repli de 0,4%.
** Tous ces éléments invitent à s’interroger sur l’abus de procédés cosmétiques contribuant à embellir le visage de l’économie mondiale. Pourtant, les "marchés" font mine de prendre des chiffres moins pires que prévus (mais qui connaît vraiment ceux qui constituaient l’hypothèse de travail initiale ?) comme argent comptant.
Ceux — ils sont peu nombreux — qui ont orchestré l’envolée de 20% à 25% des indices boursiers en six semaines ne sont pas naïfs. Ils le sont d’autant moins qu’ils sont à l’origine du discours optimiste dominant qui se répand, sans le moindre examen critique, dans la presse anglo-saxonne (MoneyWeek excepté !) depuis les bords de la Tamise.
Et quel optimisme ! Derniers sondages à l’appui, il dépasse aujourd’hui celui qui prévalait au début de l’automne 2007. Rappelez-vous : à l’époque, Wall Street et Hong Kong pulvérisaient leurs records historiques sur l’anticipation d’une croissance mondiale à plus de 6% entre 2008 et 2012 (grâce à une Chine maintenant un rythme de croisière voisin de +10%).
** Si l’empire du Milieu devient le précurseur du destin économique de la planète, nous sommes assez surpris que les investisseurs européens se montrent aussi peu inquiets du plongeon de Shanghai lundi matin (-6,75%), motivé par la crainte d’une contraction du crédit en Chine.
Le triplement des sommes empruntées en six mois par les particuliers a débouché sur un doublement de la valeur des actions depuis début novembre… Or elles viennent de reperdre 21% en un mois sans que le discours n’ait changé d’une virgule concernant les perspectives affriolantes offertes par le marché chinois. C’est une simple consolidation, voilà tout… il n’est pas permis d’envisager qu’il puisse s’agir de l’éclatement d’une gigantesque bulle.
Le "marché" ne doute pas qu’il faille rester haussier. L’analyse des courbes graphiques ne fait que renforcer chaque jour la conviction de l’invulnérabilité du mouvement haussier.
** De bonnes âmes continuent de prétendre que le "marché" est le reflet d’une psychologie qui se nourrirait elle-même d’anticipations basées sur la collecte et le retraitement d’éléments rationnels permettant de former une image de la conjoncture au cours des six prochains mois.
Ce ne sont que des balivernes. 80% et parfois même 90% des volumes négociés au quotidien le sont par des day traders individuels — ou des institutionnels qui se comportent comme tels. Ils s’appuient sur des programmes de trading fonctionnant à la milliseconde sur la base d’algorithmes complexes traitant en temps réel des éléments issus des secondes et des minutes précédentes, ce qui entraîne une auto-réplication obstinée des mouvements de cours.
Et les day traders ne se préoccupent que de l’aspect technique des courbes qu’ils travaillent sur la base d’unités de temps allant de la minute à la journée. Ils prennent d’ailleurs le soin de préciser qu’ils n’ont de ce fait aucune opinion sur la conjoncture, la rentabilité d’une entreprise, la crédibilité du dernier discours de Ben Bernanke (le même depuis fin juin… mais peu importe, Wall Street ne s’en lasse pas et le manifeste bruyamment).
Un indice boursier ou une action ne sont que des objets mathématiques. Il faut se garder à tout prix d’émettre le moindre jugement de valeur : la subjectivité, les émotions… voilà l’ennemi ! La seule véritable amie du trader, c’est la tendance… Peu importe qu’elle soit reliée à un scénario économique possible ou à une extrapolation qui ne baigne pas dans l’absurdité la plus complète (comme lors de la formation de la bulle des dot.com).
En d’autres termes, le "marché" qui est censé soupeser, analyser, mettre à l’épreuve les consensus… professe au contraire de ne surtout rien penser du monde réel et de se fier aveuglément au concentré d’information qui serait à l’origine de la constitution du cours et de la tendance qui s’en dégage.
** Mais on marche sur la tête car la première information, c’est devenu le cours lui-même… Or il est issu d’une succession d’"achetés/vendus" d’opérateurs — lesquels, précisément, n’en pensent rien puisque les ordinateurs le font à leur place.
Plus l’anticipation du "marché" apparaît absurde et irréaliste, plus nombreux sont ceux qui s’y rallient par mimétisme, au nom de la parfaite objectivité de la tendance sous-jacente. Sa pérennité dépend du rejet opiniâtre de tout argument de bon sens, de tout scénario alternatif… et de la prise à contrepied des rares intervenants misant sur l’inversion de la spirale s’ils n’ont pas les moyens de tenir leur position.
Je résumerais d’une formule : le degré apparent de certitude du marché est devenu inversement proportionnel à la probabilité que le scénario-alibi (le discours dominant) puisse se matérialiser.
Philippe Béchade,
Paris