▪ Aveugles et insensés que nous sommes ! Comment avons-nous pu mettre la tension des taux longs (+75 points de base depuis le 1er décembre 2010 sur les T-Bonds US à 10 ans) sur le compte de la résurgence des pressions inflationnistes ?
Ben Bernanke remet les pendules à l’heure. Nous devons convenir — rouges de honte — que nous sommes passés complètement à côté de l’explication la plus évidente, celle qui crève les yeux depuis bientôt six mois : la confiance qui fait son retour en force aux Etats-Unis comme en Europe.
Et d’abord, comment avons-nous pu être assez idiots pour imaginer que le dérapage des prix découlant de la flambée des matières premières puisse franchir les frontières des Etats-Unis ? Ce désagrément est réservé aux pays émergents qui ne savent pas y faire.
Au lieu de relever ses taux pour la troisième fois en quatre mois mardi, la Chine ferait bien mieux d’injecter plus d’argent dans son économie : cela ferait baisser le coût du crédit, et donc des charges financières pesant sur les ménages. En quelques mois, l’inflation aurait disparu !
La hausse des taux, Ben Bernanke s’en félicite : c’est le signe d’une économie dynamique.
Dans la même veine, il aurait pu affirmer que si le coût de la santé a bondi de 6% en 2010, c’est parce que les Américains se portent mieux. Si les loyers US ont augmenté de 4,5% l’an passé, c’est parce que les locataires sont mieux logés — bien à l’étroit — que dans ces immenses maisons dont ils ne pouvaient plus payer le crédit.
Si les prix alimentaires (notamment les céréales et les produits laitiers) ont fait un bond de 10%, c’est parce que les Américains mangent de meilleur appétit. Surtout ces 43 millions de pauvres qui bénéficient des 134 $ d’allocation mensuelle pour survivre grâce aux repas servis par une structure assimilable à nos Restos du Coeur !
Si le prix des carburants a bondi de 25%, c’est parce que les Américains roulent dans de plus belles voitures depuis l’opération Cash for Clunkers (prime à la casse).
Il n’est pas une absurdité économique que Ben Bernanke ne s’ingénie à présenter comme un motif de satisfaction pour Wall Street !
▪ En ce qui concerne la véritable histoire du « QE2 », tout se passe comme si après avoir dynamité la maison des Américains en encourageant la finance casino, la Fed offrait de l’argent gratuit — peu importe que ce soit de la fausse monnaie — à Wall Street. Dans quel but ? Acheter de quoi réparer les dégâts tandis que les stratèges et les traders filaient à Las Vegas pour jouer cet argent au black jack ou à la roulette… et augmentaient chaque jour un peu leur mise.
Ce n’est pas près de se terminer puisque la Fed a promis de ne pas augmenter les taux et ne dit pas un mot du développement de toute une série de bulles spéculatives.
Mais que la Fed le veuille ou non, le rendement des bons du Trésor progresse et se rapproche du seuil de douleur. Si les taux revenaient en ligne avec une croissance de 3,5%, comme à l’automne 2007, les PER actuels seraient tout simplement insoutenables.
Pour reprendre une analogie bien connue de nos lecteurs : la Fed rajoute chaque jour une nouvelle barre d’uranium dans le réacteur nucléaire financier. Chaque jour, sa production augmente — c’est la hausse des cours –, et il en va de même pour la radioactivité — c’est l’inflation.
Cela fait longtemps que les économistes instruits des leçons du passé ont prévenu qu’elle aurait dû s’arrêter avant d’avoir lancé son « QE2 ». Rien n’y fait : Wall Street veut que pleuvent les kilowatts et que Las Vegas brille de mille feux, tout comme en octobre 2007 quand le Tchernobyl des dérivés de crédit s’apprêtait à exploser.
Nous craignons que le point de non-retour soit déjà atteint. C’est en tout cas ce que nous hurle le comportement du marché qui s’est engagé dans une fuite en avant éperdue.
▪ Avec un ratio de six à sept séances de hausses pour une séance de stagnation, et seulement deux consolidations supérieures à 0,5% depuis 11 semaines, ce n’est plus une tendance mais une parade militaire. 100% des opérateurs marchent du même pas assuré, le regard creux flottant au-dessus du béret du rang précédent, tandis que la Fed martèle le tempo.
Oui, cela résume bien la situation. La Fed a tout simplement remplacé le marché par une marche militaire. Elle seule décide de la direction des cours, la masse des traders exécute, la fleur au bout du fusil.
Mais comme c’est effroyablement répétitif et monotone, sans aucun intérêt intellectuel, l’exécution mécanique de la tâche est confiée à des robots de trading.
Il suffit à la Fed d’injecter quelques milliards supplémentaires dans leurs circuits : les algorithmes font parcourir aux indices l’étape suivante au pas cadencé.
Contrairement à cette excuse complètement dénuée de réalité que la plupart des chartistes et des hypocrites ressassent à volonté, il n’y a aucune psychologie dans cette hausse !
Interrogez les traders les plus actifs : sauf exception, les positions ne sont pas détenues plus de quelques minutes à quelques heures (en cas de grand calme). Le spectre du 6 mai 2010 est encore dans tous les esprits… Sauf qu’il y a maintenant deux fois plus d’uranium dans le coeur du réacteur que neuf mois auparavant, quand une turbine à haute pression avait explosé, anéantissant en quelques minutes quatre mois de hausse ininterrompue.
La peur n’éloigne pas le danger… mais se tenir au plus près des issues de secours ne constitue pas une précaution inutile. Certains opérateurs ont fait mine de pousser les portes en toute fin de séance mercredi : douteraient-ils de la capacité du Dow Jones à inscrire une huitième séance de hausse consécutive, une 12ème sur une série de 14 ?
▪ Paris en a terminé sur un repli de 0,43% à 4 090 points. Les optimistes se raccrocheront à un petit lot de consolation : un nouveau record du CAC 40 inscrit à 4 120,4 points en début de matinée a permis de confirmer, d’un point de vue technique, la tendance haussière à court comme à moyen terme.
Même scénario à Wall Street puisque le Dow Jones rétrogradait vers 12 200 points après avoir culminé vers 12 250 points en début de séance.