Lors de sa campagne, Trump a mis en garde contre un risque que beaucoup jugent impensable : la perte du statut de monnaie de réserve mondiale du dollar. Mais a-t-il réellement le pouvoir d’y remédier ?
Lors de sa campagne présidentielle de 2024, Donald Trump a évoqué à plusieurs reprises et en des termes graves la possibilité que le dollar américain perde son statut de monnaie de réserve mondiale. Cela s’est produit lors de sommets avec des dirigeants d’entreprises aux clubs économiques de New York et Chicago.
Trump occupe une position assez unique dans ce débat, car il reconnaît le risque que le dollar perde son statut de monnaie de réserve mondiale, il souhaite éviter un tel changement, et pourtant, il n’adhère pas au paradigme traditionnel de la classe dirigeante. Aussi attaché à l’ordre établi qu’il puisse être, hier comme aujourd’hui, il n’a pas les références de l’establishment, d’un Ben Bernanke, par exemple.
Puisque Trump ne veut pas que le dollar perde son statut de monnaie de réserve, le fait qu’il admette qu’il s’agit d’un danger réel devrait au moins servir d’argument contre ceux qui prétendent que ce risque n’existe pas.
D’habitude, lorsque les défenseurs du dollar affirment que la perte de son statut de monnaie de réserve est impossible, ils s’opposent à ceux qui souhaitent un tel changement. Lorsque Trump déclare que le dollar pourrait perdre son statut de monnaie de réserve, alors qu’il s’oppose à ce changement, cela a le mérite de remettre en cause les certitudes des défenseurs du dollar qui affirment que son statut n’est pas en danger.
Bien sûr, la perte du statut de monnaie de réserve n’est pas un risque à court terme. Toute personne affirmant que la chute du dollar est imminente, en particulier si elle cherche à vous vendre un produit financier sur cette base, devrait être écoutée avec scepticisme. Mais il existe une école de pensée qui minimise systématiquement les coups portés à la position du dollar et prétend que ces événements sont sans importance.
Or de nombreux événements significatifs ont eu lieu, et leur accumulation représente une menace réelle pour le statut du dollar. Rappelez-vous, par exemple, la décision de l’Arabie saoudite de vendre son pétrole dans d’autres devises, le développement par les BRICS d’un système de paiement alternatif, ou encore la baisse drastique des avoirs de la Chine en bons du Trésor américains. Comment ces événements pourraient-ils être sans conséquences ?

Bons du Trésor américain détenus par la Chine
(en milliards de dollars)
Source : Département du Trésor des Etats-Unis
Si le dollar est en péril et que Trump veut le sauver, la question est alors de savoir s’il en est capable.
Une approche pour atteindre cet objectif consisterait à gérer le dollar de manière moins irresponsable. Cela impliquerait de ralentir la création monétaire (et donc l’inflation), étant donné que les économies de nombreux pays ont été gravement déstabilisées par l’inflation massive des dernières années. Cela supposerait également une utilisation plus judicieuse et moins idéologique du pouvoir du dollar, plutôt que de l’utiliser systématiquement comme arme économique dans des conflits où l’intérêt des Etats-Unis est au mieux périphérique, voire inexistant, alors que le pays adverse perçoit que ses intérêts fondamentaux sont en jeu.
Une autre approche consisterait à adopter une posture plus dure : menacer les pays qui abandonnent le dollar, soit par des pressions économiques, soit par la force militaire.
Trump a évoqué les deux approches, bien qu’il semble privilégier principalement l’usage des tarifs douaniers pour empêcher les pays étrangers de se détacher du dollar.
A mon avis, une approche agressive ne fera qu’accélérer la tendance actuelle, puisque c’est précisément la voie qui a été suivie depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, et c’est ce qui a contribué à créer cette situation en premier lieu. Une administration Trump qui déciderait de gérer le dollar comme il l’était autrefois pourrait en revanche réussir à apaiser certaines nations et ralentir la tendance actuelle, mais je pense que ce serait le maximum qu’elle pourrait accomplir.
Elle ne pourrait ni stopper définitivement ni inverser cette tendance. Une rupture fondamentale a eu lieu, et trop de nations influentes considèrent désormais comme dans leur intérêt stratégique de mettre fin à la domination du dollar sur le long terme. Elles préféreraient peut-être que ce processus soit géré progressivement et sans perturbations majeures, mais elles sont résolues à le poursuivre jusqu’au bout.
De mon point de vue, il est impossible pour Trump d’arrêter le processus de dédollarisation. Quel que soit le degré de succès qu’il pourrait atteindre, il convient aussi de se demander si c’est réellement le bon objectif à poursuivre. Il est indéniable que la perte du statut de monnaie de réserve mondiale du dollar entraînerait à court terme des difficultés économiques douloureuses pour le peuple américain. Trump semble animé par l’intention louable d’éviter cette souffrance. Mais nous savons aussi qu’une économie de marché libre est capable de s’adapter à de tels événements et de se remettre rapidement sur les bons rails, à condition que l’Etat s’abstienne d’intervenir.
Il existe également une solution d’ajustement consistant pour le gouvernement à renforcer ses réserves d’or par rapport à la quantité de dollars en circulation et de mettre en place d’un étalon-or. Cette idée est expliquée par Murray Rothbard dans le dernier chapitre de son œuvre The Case Against the Fed. Si le dollar venait à perdre son statut de réserve, ce plan permettrait de rétablir très rapidement une monnaie saine.
Il peut sembler bien intentionné à première vue de vouloir renforcer le statut de monnaie de réserve du dollar, mais défendre la Fed, le système de monnaie fiduciaire et son statut de monnaie de réserve mondiale revient sur le plan économique à défendre une mort par strangulation sous prétexte qu’elle est lente. Ce système monétaire finance l’hypertrophie de l’Etat-providence et de l’Etat guerrier. Il a affaibli l’industrie américaine au travers de la financiarisation de l’économie et du fait qu’il permet d’importer sans limites des marchandises avec des dollars créés ex nihilo. Cela a porté un coup sévère à la production réelle et à la création de richesse.
Etant donné que ce système engendre une économie factice et improductive, et parce que cette économie a des effets profondément néfastes sur la société, son effondrement est inévitable tôt ou tard. Plus ce système perdure, plus sa décomposition s’accentue et plus l’effondrement final sera brutal.
Cette discussion nous amène au sujet de l’institutionnalisme. En politique, il existe une tendance marquée à considérer une institution comme la sienne, bien après que sa propre faction en a eu perdu le contrôle, voire même lorsque cette institution n’a en réalité jamais été sous le contrôle de cette faction. A cela s’ajoute la tendance à vouloir réformer les institutions reconnues comme étant en désaccord avec sa propre faction politique, plutôt que de les détruire.
L’incapacité à admettre lorsqu’une institution est opposée aux objectifs d’une faction politique, ainsi que l’incapacité à voir quand une institution adverse est irrémédiablement antagoniste à ces objectifs et, par conséquent, non réformable, peut empêcher une faction politique d’atteindre ses ambitions. Dans ce cas de figure, toute l’énergie dirigée par une faction en soutien d’une institution est en fait redirigée par la suite contre les objectifs que cette faction cherche à atteindre.
Au regard des objectifs déclarés de Trump, qui affirme vouloir revitaliser l’économie américaine au bénéfice du peuple américain, et non au profit des intérêts particuliers du gouvernement ou des grandes entreprises, la Réserve fédérale et le système de monnaie fiduciaire sont des institutions irrémédiablement compromises. Tenter au travers de réformes de conserver le statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale ne permettra jamais d’atteindre ces objectifs. Une partie de la population pourra observer une amélioration à la marge des conditions économiques dans les années à venir. Mais c’est loin de la transformation systémique et de la victoire durable qu’il nous faut viser. Il est difficile de nier que de tels changements sont nécessaires, bien au-delà de simples ajustements.
Entre l’administration Biden, qui met involontairement et aveuglément en péril le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar par son incompétence, et la volonté de Trump de réparer les dégâts de son prédécesseur, il existe une meilleure voie. Une future administration américaine devrait élaborer un plan pour gérer la transition du dollar fiduciaire utilisé en tant que monnaie de réserve mondiale vers un dollar national adossé à l’or. Autrement dit, établir une politique monétaire nationale fondée sur un dollar garanti à 100% par les réserves d’or, laissant aux autres pays la liberté d’établir leur propre politique monétaire. Une telle réforme améliorerait considérablement la santé de l’économie américaine tout en renforçant les relations diplomatiques que le pays entretient.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.
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MONDIALISME ET MONDIALISATION
Trump a compris que le Mondialisme c’est à dire la prétention de l’Occident à la domination « démocratique » du monde était un héritage des temps du Colonialisme, quand l’Occident détenait une supériorité scientifique, technique et économique indiscutable.
Trump a vu que la Mondialisation devait se substituer au Mondialisme.
La Mondialisation est une lutte-concertation, une dialectique, inévitable, plus ou moins équitable, entre des civilisations de niveaux scientifiques, techniques et économiques comparables.
Le Monde est revenu deux à trois siècles en arrière : quand les grandes sociétés étaient scientifiquement et techniquement à des niveaux équivalents.
Ce qui a changé, entre temps, c’est essentiellement, mais seulement, les moyens de communication.
Les moyens de communication ? Ils peuvent servir :
– Soit à imposer une société mélangée unique, totalitaire. Le Mondialisme décrit par « Le Meilleur des Mondes » .
– Soit à promouvoir des sociétés reliées, mais enracinées, respecteuses des différences, mais aussi en luttes pour imposer ces dissemblances. C’est la Mondialisation.
La Mondialisation ne verra pas la fin du dollar, mais certainement la fin de sa domination en tant qu’unique monnaie de réserve internationale. Pourquoi dans une société mondialisée il n’y aurait pas trois ou quatre monnaies de réserve ?