▪ Après la séance faste de vendredi, après les 5% de hausse de Tokyo hier matin (plus forte progression depuis le 16 mars 2011)… c’est un peu comme si quelqu’un s’était accroché dans le câble d’alimentation, provoquant une panne de courant sur les places occidentales.
La journée de lundi a été d’un ennui mortel de part et d’autre de l’Atlantique, avec une volatilité intraday quasi nulle. Le CAC 40 a oscillé entre 3 860 et 3 880 durant plus de neuf heures, avant d’en terminer en repli de 0,2%). Le Dow Jones s’est retrouvé quant à lui encalminé entre 15 210 et 15 280 durant 99% du temps (0,4% de variation).
Au final, le Dow s’est effrité de -0,06%, le S&P 500 de -0,02%. Enfin, le Nasdaq affichait un score de clôture (0,13%) strictement équivalent à celui observé dès 15h35 puis à la mi-séance.
Cette stabilité pourrait n’être que très provisoire dans la mesure où les marchés obligataires traversent de nouvelles turbulences, avec une très nette tension des taux longs américains — plus de 2,22% en clôture.
▪ L’Allemagne aussi est concernée
Le phénomène n’était pas purement local comme de nombreux commentateurs américains affectaient de le croire lundi soir. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un oeil au graphique des Bund allemands entre midi et 18h.
Ils ont dévissé de 3,5% pour un rendement qui se tendait symétriquement vers 1,60% contre 1,55% vendredi. Pas une seule statistique allemande ou européenne ne peut expliquer un tel décalage… et encore moins la révision à la baisse des objectifs de PIB des Pays-Bas. On y attend une récession à -0,8% en 2013 (contre -0,6% en début d’année) et une croissance divisée par deux en 2014 (à 0,5% contre 1% initialement).
De lourds dégagements ont affecté la classe des dettes high yield — surtout celles assimilées à la catégorie junk bonds, la course au rendement poussant les opérateurs à prendre des risques démesurés jusqu’à une date récente.
En Europe, les fonds d’investissement en obligations ont enregistré une décollecte record de -12 milliards d’euros à l’issue de la première semaine de juin. C’est du jamais vu depuis la crise grecque du printemps 2011… mais loin d’inquiéter les stratèges, cette liquidation massive est interprétée comme une chance pour les actions. Cela d’autant plus que les 3% ou 4% perdus à Wall Street procurent un « excellent point d’entrée » sur le S&P 500.
▪ Profitez-en (ou pas)
Wouaouw ! Après 40% de hausse en 12 mois et 22 mardis sur 24 de hausse en 2013, vous ne devez pas… non, vous ne pouvez pas rester plus longtemps en dehors du marché. Ce mardi 11 juin, c’est l’occasion ou jamais de sauter dans le train à crémaillère de la hausse qui reprend son ascension inexorable.
Pas un seul instant vous ne devez redouter que les indices américains se mettent à souffrir de la concurrence exercée par la forte hausse de rémunération offerte par les T-Bonds… Et vous devinez sans peine pourquoi ! Que voulez-vous que les investisseurs qui viennent de se faire déchirer sur les bons du Trésor US (5% de baisse en cinq semaines) fassent de l’argent qu’ils retirent de ce marché qui part en tonneaux… sinon l’investir sur les actions qui ne se payent pas cher ?
N’allez pas leur expliquer qu’avec des rendements obligataires qui viennent de faire un bond de 40% à 50% en un mois, la prime de risque sur le S&P 500 a pris une claque.
Les stratèges partent du principe que si les banques centrales (Fed, Bank of England, Bank of Japan) créent des milliers de milliards de dollars pour soutenir les marchés, ces derniers doivent absolument « faire quelque chose » de cet argent.
Si les opérateurs commencent à en perdre sur les bons du Trésor (et on peut en perdre beaucoup et très vite avec des effets de levier de cinq… ou bien d’avantage pour ceux qui jugent toute autre hypothèse que la hausse inenvisageable), c’est que le moment est venu d’arbitrer en faveur des actions.
▪ Tout augmente, sauf…
Avec l’incontournable phénomène des vases communicants — dans un contexte de choix forcé dicté par les flux — le rally de Wall Street devrait reprendre sous 48 heures pour nous préparer une fin de premier semestre en apothéose.
Sauf que depuis trois ans, les actions et les T-Bonds n’ont cessé de progresser de concert… Et vous pouvez y rajouter les prix de l’immobilier, les oeuvres de Keith Haring, le prix des Aston Martin ou des jets privés.
Oui, tout augmente, sauf le pouvoir d’achat de 80% de la population américaine. Les salaires stagnent, le nombre d’heures travaillées plafonne, le taux de participation de la population active reste scotché au plancher historique des 63,3/63,4%… Cependant, les économistes estiment que les Américains s’enrichissent puisque les prix des maisons et des portefeuilles boursiers augmentent ; la consommation devrait suivre et propulser le PIB vers 2,8% d’ici la fin de l’année.
Les perspectives sont si florissantes que Standard & Poor’s a relevé sa notation de la dette américaine, fixée à AA+ depuis deux ans. Elle passe de négative à stable, au motif que les rentrées fiscales et les coupes budgétaires automatisées réduisent sensiblement le montant du déficit fédéral.
Ceci écarte le risque de défaut au cas où le Congrès US ne parviendrait toujours pas à trouver un terrain d’entente sur la question des grands équilibres budgétaires.
Mais avec le récent durcissement de la fiscalité, la dette américaine ne s’est en réalité contractée que de 1% ces trois derniers mois : c’était bien le moins que la Maison Blanche pouvait attendre!
Pendant ce temps, les médias évitent de parler de la remontée du taux d’endettement des ménages les plus défavorisés. Ah pour ça, ils consomment (un véritable devoir civique auquel beaucoup succombent avec délice)… mais à crédit.
Lesdits crédits payent certes des voitures ou quelques équipements superflus pour épater les voisins… Mais de plus en plus fréquemment, ils sont utilisés pour financer un traitement médical non pris en charge ou une année d’étude supplémentaire pour des enfants qui ne trouvent plus de débouchés convenables avec l’équivalent d’un Master 1 et doivent prolonger d’un an ou deux pour accéder au même genre de poste — mais moins bien rémunéré — qu’avant la crise.
Dans ces conditions, nous ne voyons effectivement pas comment les entreprises cotées pourraient vendre moins de produits et gagner moins d’argent. Cela nous garantit une belle marge de hausse sur les valeurs de consommation et la distribution… dans le monde virtuel des marchés qui continue de courir comme un canard sans tête.