L’euro n’est pas une monnaie souveraine, mais un sous-avatar du dollar.
Vous lisez tout cette idée jour après jour dans mes articles, mais c’est un constat inépuisable, et il faut de temps à autre essayer de faire une synthèse, essayer de remettre en perspective les éléments fragmentaires quotidiens.
Ce qui compte c’est la vision d’ensemble, « the big picture ». Mais, pour avoir une vision d’ensemble, il faut non pas prendre de la hauteur, mais creuser !
C’est une découverte de Carl Jung, à savoir que, ce qui meut le monde, ce sont les déterminations cachées, inexplorées. Ce qui gouverne un système c’est son inconscient, ses structures, pas son manifeste. Ce n’est pas le superficiel, pas ce qui apparaît, mais au contraire ce qui est caché, non su, refoulé. Et c’est pour cela que l’on vous abreuve d’évidences et d’images !
Suivisme
Rien de ce que disent les élites européennes n’est cohérent. Mais personne ne met les éléments disparates bout à bout ; personne ne s’intéresse « au tout ».
Elles ne peuvent maintenir leur discours unilatéral – leur discours de maître – sur le monde que parce qu’elles ont supprimé le droit de suite, le droit de les interroger et de les pousser dans leurs retranchements.
Il n’y a plus d’Assemblée nationale, plus de journalistes, il n’y a que des passe-plats accrédités, il n’y a plus que des intellectuels aux ordres et des rebellocrates. Pas de gens qui acceptent de se battre à mort socialement pour pousser les élites dans les retranchements de leurs mensonges et dissimulations.
La vraie question centrale est celle-ci : pourquoi les élites dominantes en Europe sont-elles autant attachées à leur statut de vassal, de suiveurs des anglo-saxons ?
Personne n’a de réponse satisfaisante. Certains évoquent la dépendance par le chantage et la corruption, mais ce n’est pas suffisant.
Il n’y a qu’une réponse assez satisfaisante et assez vaste pour tout englober : ce sont les conditions de production de leur richesse, de leur statut et de leur pouvoir qui déterminent leurs allégeances. Le suivisme à l’égard des anglo-saxons, c’est la branche sur laquelle les classes dominantes européennes sont assises. C’est l’éternel qui t’a fait Roi.
Et bien la dépendance, la vassalitude, la soumission, tout cela est multiforme, et multi causé. Le fond c’est le lien, la forme c’est la composition, la couleur du lien et sa déclinaison.
Un siècle de marchandages
Depuis environ un siècle, soit depuis les années 1920 et 1930 (depuis le combat de la grande coalition contre la révolution russe), la classe dominante européenne s’est formée, s’est modelée en tant que comprador. Ceci a été accéléré par la crise des années 1930 et surtout par la Seconde Guerre mondiale et le Plan Marshall, puis la guerre froide et mai 68. Eh oui, mai 68 a joué un rôle important sur l’avènement de la société de consommation européenne à l’américaine et son modèle de reproduction et d’accumulation du capital.
On ne comprend pas le comportement des élites européennes si on ne fait pas le pari qu’elles ne sont élites que grâce aux conditions de production de la richesse mises en place par les Etats-Unis et les élites anglo-saxonnes en général. Ce sont ces gens qui ont fixé les règles du jeu mondial et les bourgeoisies européennes ont été trop contentes de s’y adapter. Elles se sont pliées au monde que l’Amérique a créé.
C’est cette réalité qui n’est pas explorée ou qui est explorée en surface. C’est, mieux, cette réalité qui est occultée, rejetée, quand elle ose se révéler.
Les conditions de production du système capitaliste ont été imposées par les anglo-saxons et, ceux qui ont le mieux réussi en Europe, ce sont ceux qui les ont adoptées, les ont servies et même, maintenant, ceux qui nous les imposent.
D’où d’ailleurs l’éloignement de la démocratie en Europe sous la pression de la gouvernance venue d’ailleurs.
Des fils à la patte
La fortune, le pouvoir des classes dominantes en Europe prend sa source dans le système américain. C’est vrai au niveau des productions, au niveau des finances, au niveau des cultures, au niveau des théories, et c’est encore plus vrai si on admet comme moi que la construction dite « européenne » est une production américaine.
Maintenant, la liste des fils que les anglo-saxons ont mis à la patte des classes supérieures européennes ne cesse de s’allonger et se diversifie. Je pense aux investissements étrangers, aux réseaux sociaux, aux technologies digitales, aux théories sur les marchés efficients et rationnels, aux fameuses règles tombées du ciel des néocons, je pense par exemple à la mer des Sargasses des « Young Leaders » qu’ils nous ont imposés. Des dirigeants cornaqués, financés et nourris par le grand capital comprador européen, mais adoubés par le suzerain américain.
Mais ce qui est caché, ce n’est pas cela, ce n’est pas ce que je viens d’effleurer, non ce qui est caché c’est le maillage enfoui, inconscient, de la dollarisation.
Je soutiens que la classe dominante en Europe a son argent et sa fortune aux Etats-Unis, en dollars, peu importe que ce soit dans les paradis fiscaux soi-disant extra territoriaux, car ils sont eux aussi anglo-saxons.
Je soutiens que l’euro n’est pas une monnaie souveraine, mais un sous-avatar du dollar, un serf du dollar, même pas un associé du dollar. Surtout pas un concurrent !
Pourquoi ? Parce que l’euro est une monnaie structurellement dollarisée !
Le vrai euro
La vraie monnaie européenne, ce n’est pas la monnaie banque centrale. C’est la monnaie bancaire, la monnaie émise par les banques.
La vraie monnaie européenne, c’est la monnaie que vous avez dans votre compte de dépôt, dans les livres de votre banque.
La monnaie européenne c’est celle de votre banque, de la banque dont vous êtes créditeur, c’est le droit que vous avez sur elle.
Ce sont les euros du système bancaire. Le stock de monnaie, c’est le stock de dépôts. Ce stock ne vaut que si et seulement si les banques dont vous êtes créditeurs tiennent, ne s’effondrent pas. Or leur bilan est dollarisé.
Ces banques avides, incapables, compradors, ont passé ces dernières décennies à se dollariser et à dollariser leurs bilans. Elles ont compris qu’avec le système Bretton Woods II, la mine d’or, c’était le recyclage des déficits américains, le recyclage des excédents mondiaux en dollars vers les Etats-Unis.
Elles ont assis leur prospérité sur ce recyclage et, ce faisant, elles se sont rendues dépendantes bilantiellement de l’eurodollar, de l’asiadollar, du dollar extérieur, de New York, de la Fed et du département de la Justice !
La preuve, c’est que dans chaque crise, de façon récurrente la BCE est obligée d’aller mendier des swaps de dollars à la Fed.
La preuve c’est que le système bancaire européen ne peut que se conformer aux sanctions imposées par les USA sous peine d’être sanctionné lui-même.
La BCE et les banques européennes sont au centuple dans la situation des banques russes avant février ; elles sont dollar-dépendantes.
Ce que les USA ont fait aux Russes, à l’Iran, etc., ils le feront à l’Europe, si l’Europe s’avise de bouger un cil. Les USA tireront sur le fil, sur la chaîne dorée, et l’édifice européen s’écroulera, en panique.
Les classes dominantes européennes ont vendu votre liberté pour un plat de lentilles pour vous et un capital colossal en dollars pour elles.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
6 commentaires
Merci. Enfin une explication pertinente de ce qui se passe. Mais que se passera-t-il pour les anglo-saxons quand les BRICS et d’autres qui se joindront à eux mettront fin à la monnaie unique (le dollar) ? Je pense, hélas, que les américains déclencheront une guerre mondiale avant que cela n’arrive … mais cela n’a-il pas déjà commencé (Ukraine, et bientôt, Thaïwan et Israël-Iran) !?
Le novus ordo seclorum imprimé sur le billet du dollar comme un programme sur un carton d’invitation mondial à la corruption.
Bonjour M Bertez.
Une synthèse idéale, parfaite de notre réalité. Dommage que les politiques » d’opposition » ne comprennent (ou ne veulent comprendre) rien à cet évident déroulé des chaines européennes. Que faire , à part la guerre, ou la fuite ?
Admirable lucidité de Bruno Bertez, comme toujours. Jamais on n’avait expliqué la trahison des élites aussi clairement. Je fais circuler son article dès aujourd’hui. On aimerait qu’il nous dise si, à son sens, c’est irréversible ou s’il existe dans le monde des forces capables de libérer les peuples de cette horreur.
M. Bertez, votre court billet devrait vous mériter à lui seul le prix Nobel de l’économie et celui du courage qu’il serait temps d’instaurer rien que pour vous.
Belle erruption de conscience merci.
Nous devons nous reconstruire maintenant.
Il faudra aussi une personnalité fédératrice capable de dire non, vive notre indépendance.