Pourquoi l’économie ralentit-elle ? La stagnation est-elle inéluctable… ou le résultat de mauvais choix politiques et économiques de longue date ?
Les élites essaient depuis quelques années de nous vendre l’idée qu’à l’avenir, il faut se résigner à une stagnation de longue durée. La croissance économique serait durablement ralentie – cela en vertu de causes qui seraient en dehors de notre possibilité d’action. La stagnation tomberait du ciel.
Bien entendu c’est une tentative idéologique pour faire oublier :
– La responsabilité de la crise de 2008 : la stagnation économique est une conséquence de cette crise, laquelle n’est pas terminée comme en témoignent les dopages monétaires exceptionnels que l’on est obligé d’appliquer.
– La cause évidente, même si ses mécanismes sont mal connus : le surendettement, l’insolvabilité du système.
– La responsabilité des banques qui ne veulent pas se recapitaliser et déprécier leurs actifs douteux et leurs activités zombies.
– La responsabilité des politiques monétaires aventureuses : elles ont produit des bulles d’actifs grâce à l’argent trop facile. Si ces politiques étaient supprimées, cela engendrerait le chaos sur les marchés.
– Les bulles d’actifs craqueraient en cas de hausse des taux, en cas de hausse de l’inflation, en cas de vraie reprise économique tout simplement, parce que pour éviter le dérapage, il faudrait en catastrophe resserrer. Ceci oblige les régulateurs à naviguer à vue et à s’opposer à toute reprise franche de l’activité. Le malthusianisme est obligatoire.
Les raisons organiques de la stagnation sont toutefois bien plus profondes que tout cela. On peut considérer qu’elles ont à voir avec : la démographie, la productivité, l’humeur sociale dépressive. Les peuples n’ont pas le moral.
La stagnation est en quelque sorte sur-déterminée ; elle a donc donc de multiples causes enchevêtrées qui relèvent de domaines différents, sociologie, politique, économie, etc.
La productivité au cœur de la croissance
Au plan économique, la question de la productivité apparaît centrale. Elle est incontournable pour aborder la question de la croissance.
L’historien économique Adam Tooze a récemment tweeté :
« Chaque fois que je vois des chiffres sur la baisse du taux de croissance de la productivité économique [des économies avancées], je reste perplexe : comment l’expliquer ? Avons-nous vraiment une explication ? »
Depuis 40 ans, et plus particulièrement ces 15 dernières années, on observe un ralentissement généralisé de la production par heure travaillée dans les principales économies.
Pour les plus grandes économies du G11 (hors Chine), la tendance actuelle de la croissance de la productivité est d’à peine 0,7% par an.
Le niveau de productivité de la Russie est en baisse, celui de l’Italie et du Royaume-Uni stagne…
Pourquoi la croissance de la productivité dans les principales économies diminue-t-elle ?
Cette question fait débat depuis un certain temps déjà chez les économistes traditionnels.
L’explication keynésienne, comme toujours, l’impute à la demande. Le capitalisme est en « stagnation longue » en raison d’un manque de « demande effective », la demande étant ce qui est nécessaire pour encourager les capitalistes à investir dans des technologies améliorant la productivité.
La thèse keynésienne est une thèse à la Molière, du genre « voilà pourquoi votre fille est muette ».
On peut la décomposer comme suit :
- La demande est insuffisante parce qu’il n’ y a pas assez de pouvoir d’achat ;
- il n’y a pas assez de pouvoir d’achat parce que les gens n’ont pas assez de revenus ;
- il n’y a pas assez de revenus parce que les entreprises ne distribuent pas de bons salaires et n’embauchent pas ;
- les entreprises ne distribuent pas assez de salaires et n’embauchent pas parce qu’il n’y a pas assez de croissance.
Tout cela, c’est le point de vue de keynésiens tels que Larry Summers ou Martin Wolf du Financial Times. Et bien entendu, on ne peut améliorer la situation que par les déficits et la création de plus de dettes.
D’autres économistes conventionnels avancent l’argument de « l’offre » : il n’y a pas assez de nouvelles technologies efficaces susceptibles d’augmenter la productivité. C’est la thèse de RJ Gordon, par exemple.
Trois facteurs expliquent les progrès de la productivité :
- La quantité de travail employée ;
- le montant investi en machines et technologies ;
- le facteur X de la qualité et des compétences innovantes de la main-d’œuvre.
Les analystes appellent ce dernier élément la « productivité totale des facteurs » (PTF), mesurée comme étant la contribution non-comptabilisée (résiduelle) à la croissance de la productivité après investissement en capital et travail employé.
Le rôle de la technologie
Les études convergent pour admettre que la productivité est liée aux investissements en capital destinés à augmenter le rendement des travailleurs. En augmentant le rendement de chaque travailleur grâce aux technologies les plus récentes, les machines réduisent également le nombre de travailleurs et les heures nécessaires à la production.
Selon le US Conference Board, au cours des 20 années qui ont suivi le krach financier mondial, la principale contribution à la croissance de la productivité provenait des investissements en capital ; la main-d’œuvre a représenté 23% et la PTF 26%.
La croissance de la PTF a ralenti après la Grande récession dans la plupart des économies, à l’exception de la Chine et de l’Inde.
Aux Etats-Unis, les trois facteurs à l’origine de la croissance de la productivité étaient à leur maximum dans la décennie high tech des années 1990. Dans les années 2000, en revanche, tous les facteurs ont fortement ralenti.
La décomposition des facteurs de croissance de la productivité clarifie les choses. Le ralentissement des investissements dans les actifs productifs, en particulier dans les technologies de pointe, a entraîné un ralentissement de la productivité du travail.
Voici un chiffre produit récemment par les économistes de JPMorgan. Au cours des 50 dernières années, c’est-à-dire à partir des années 1970, les actifs immobilisés ont reculé de manière séculaire par rapport au PIB.
Une partie de la baisse de l’investissement en capital et en main-d’œuvre aux États-Unis peut être imputée à la mondialisation accrue alors que les entreprises américaines se sont installées à l’étranger.
Mais l’investissement par rapport au PIB a diminué dans toutes les grandes économies (à l’exception de la Chine). Donc l’explication par les délocalisations est insuffisante.
Nous verrons la suite dès demain.
1 commentaire
Il y a peut-être encore plus simple: les arbres ne grimpent pas au ciel et une croissance sans limite est une vue de l’esprit (encore plus dans un monde fini). Une courbe finit toujours par plafonner