▪ Il fait chaud et humide à Buenos Aires. Nous dépérissons. Nous ralentissons. Nous avons du mal à respirer. On se croirait dans le Maryland en plein été.
Mais l’humidité ne ralentit pas la fête.
Nous sommes arrivé à deux heures du matin. Un groupe de percussions jouait, parmi des hurlements de rire, à quelques rues de là. C’est le Carnaval en Amérique du Sud, une vague de fête se prolongeant tard dans la nuit avant que tout s’arrête pour le Carême.
Le mot « carnaval » signifie à l’origine « ôter la viande ». Les chrétiens sont censés se passer de viande durant les 40 jours qui précèdent la crucifixion et la résurrection du Christ, du Mercredi des Cendres au Dimanche de Pâques. Mardi Gras leur donne une dernière chance de se lâcher… de manger et de boire à satiété… avant que le jeûne de Carême ne commence.
Pour la plupart des gens, le plaisir est une plus grande tentation que la douleur. Les excès du Carnaval ont toujours été bien plus agréables que l’abstinence et la prière de Carême qui suivaient. Vous ne serez donc pas surpris, cher lecteur, par le fait que les gens tendent à profiter de la débauche du Mardi Gras… et en oublient complètement la pénitence.
Tout le monde veut la résurrection ; personne ne veut de crucifixion. Tout le monde veut une reprise ; personne ne veut de désendettement. Tout le monde veut naître, mais personne ne veut mourir.
John Maynard Keynes aurait dû s’en rendre compte. Il était d’avis que les autorités accumuleraient des surplus durant les bonnes années et des déficits durant les mauvaises. Mais il s’est échoué sur les récifs escarpés de la nature humaine… les fameux « instincts animaux » — ceux qui animaient les foules sous nos fenêtres hier soir. Il ne faut pas beaucoup de discipline pour creuser un déficit ou célébrer Carnaval. Accumuler un surplus… ou jeûner… est une toute autre paire de manches. Le Carnaval, c’est facile. Carême, c’est dur.
Si bien que lorsque la crise de 2007-2009 est arrivée, les autorités n’avaient pas d’argent de côté pour compenser. Tout ce qu’elles pouvaient faire, c’était emprunter — et aggraver la situation.
▪ Quand les chiens dépistent… les dollars
« C’était bien plus tranquille au Nicaragua », a remarqué Elizabeth. « La nuit, on n’entendait que le ressac. Paisible. Il n’y a rien de très reposant dans un groupe de percussions ».
Nous avons quitté Baltimore il y a 10 jours environ. Nous avons fait escale à Miami… à Managua… à San Jose… et à Panama City. Pour l’instant, nous sommes sur le Rio Plata… dans le quartier Palermo Soho de Buenos Aires.
« Avez-vous vu les ‘Dollar Sniffers’, à l’aéroport ? » nous a demandé un ami.
« Les quoi ? »
« Les chiens. La police entraîne des chiens à détecter les dollars dans les bagages ».
« Pourquoi donc ? »
Nous avons entendu parler des transactions risk off en Europe et aux Etats-Unis. Des investisseurs inquiets abandonnent leurs obligations portugaises et leurs valeurs chinoises pour se réfugier dans la relative sécurité des dollars US. Mais en Argentine, la question est plus tangible et immédiate.
« Les gens redeviennent nerveux. Le taux d’inflation augmente. Personne n’est sûr de rien. Les autorités mentent. Et on risque la prison si l’on publie des statistiques alternatives ».
« Les gens surveillent donc les prix des pizzas et des hamburgers. Il existe une chaîne qui vend les pizzas les moins chères d’Argentine — elle s’appelle ‘Uggi’. C’est si bon marché qu’il faut payer plus si on veut un carton. Les prix sont affichés en vitrine, si bien qu’on peut tout de suite voir de combien ils grimpent. Je pense que la hausse est de 25% environ. Plus de trois fois ce qu’annonce le gouvernement ».
« Nous suivions aussi le prix d’un menu Big Mac. Mais le gouvernement a fait pression pour que McDonalds plafonne ses prix… en échange d’avantages fiscaux ou je ne sais quoi ».
« L’économie argentine est en réalité très robuste. Elle n’a pas le choix. Les gens doivent trouver des moyens de contourner toutes ces lois idiotes. Les autorités créent une loi pour empêcher d’importer quelque chose parce qu’elles veulent ‘protéger’ une industrie locale dans laquelle elles ont des intérêts. Ou bien elles créent une autre loi pour vous empêcher d’exporter un produit parce qu’ils veulent vous forcer à le vendre aux autochtones à bas prix ».
« Ces chiens renifleurs de dollars, par exemple, ne sont qu’un moyen d’essayer d’empêcher les gens de se protéger contre l’inflation. Ils ne veulent pas que les gens convertissent leurs pesos en dollars… et les sortent ensuite du pays ».
« Ils vous compliquent aussi la vie quand vous dépensez de l’argent. Vous devez montrer d’où vous l’avez obtenu, sans quoi le vendeur pourrait vous dénoncer à la police. Les gens sont donc prudents. Ils ne veulent pas acheter. Ils ne veulent pas dépenser. Allez gérer une économie de cette manière ! »