La Chine a pris une longueur d’avance décisive dans l’automatisation industrielle. Les Etats-Unis, pourtant pionniers du taylorisme et du premier robot industriel, peinent à suivre.
Le nom de Frederick Taylor vous dit-il quelque chose ? Il ne nous disait rien non plus. Et pourtant, c’est lui qui a donné son nom au taylorisme. Il a mis au point les fameuses études « temps-mouvement », ces analyses minutieuses destinées à améliorer l’efficacité des usines, notamment au Japon.
C’est grâce au taylorisme que les ingénieurs ont pu réduire les fonctions industrielles à une suite d’actions répétables et programmables : des gestes précis, standardisés, semblables à ceux d’une machine… des gestes qu’un robot pouvait exécuter avec plus de constance et de fiabilité qu’un être humain.
L’idée d’un être mécanique, d’un robot, ne date pas d’hier. Mais sa première incarnation moderne et véritablement fonctionnelle est apparue en 1960, lorsque George Devol a vendu son Unimate, le premier robot industriel, à General Motors. L’Unimate a pris place sur la chaîne de montage de l’usine d’Ewing Township, dans le New Jersey, où il manipulait le métal brûlant que les ouvriers ne pouvaient toucher.
Bien entendu, les robots offrent de nombreux avantages par rapport aux humains. Ils ne craignent ni la chaleur, ni le bruit, ni les fumées. Ils ne tombent pas malades, ne prennent pas de vacances, ne réclament pas d’heures supplémentaires. Ils ne rejoignent pas de syndicats, ne contestent pas les ordres et ne perdent pas de temps à montrer les photos de leurs petits-enfants.
Or la main-d’oeuvre constitue la principale dépense de la plupart des industries. Il était donc inévitable que les entreprises cherchent à réduire leurs coûts grâce à l’automatisation – autrement dit, en remplaçant les humains par des robots. Des robots soudeurs. Des robots plombiers. Des robots dessinateurs. Des robots couturiers. Des robots chauffeurs de bus. Des robots routiers. Des robots infatigables.
Des robots capables de soulever et de transporter n’importe quoi… et qui, une fois la tâche accomplie, ne vont ni se saouler, ni finir en prison.
Dans les années 1960, les Etats-Unis dominaient le monde industriel – comme tant d’autres domaines d’ailleurs. Leurs chaînes de montage étaient admirées et copiées partout dans le monde.
Mais nous sommes en 2025. Et aujourd’hui, ces chaînes de montage américaines sont souvent considérées comme les vestiges d’une époque révolue.
Selon The Telegraph, après de récentes visites d’usines, certains dirigeants américains se sont dits « terrifiés » par la longueur d’avance technologique prise par la Chine.
« Cette expérience nous a donné une leçon d’humilité », aurait déclaré le directeur général de Ford après son voyage en Chine.
Andrew Forrest, le milliardaire australien à la tête du géant minier Fortescue, raconte :
« Je peux vous emmener dans des usines en Chine où, en longeant un grand convoyeur, vous voyez des machines sortir littéralement du sol pour assembler des pièces. Vous marchez ainsi sur 800 ou 900 mètres, et à la fin, un camion sort de la ligne. Il n’y a personne. Tout est robotisé. »
Ces dirigeants ont vu des usines tourner à plein régime, mais pratiquement vidées d’êtres humains. Et sans la moindre lumière. Ce sont des usines sombres, où des armées de robots assurent le tri, l’ajustement, le guidage, le vissage, le soudage, l’emballage… toutes ces tâches autrefois accomplies par des ouvriers.
La première vague de désindustrialisation américaine avait été provoquée par la recherche d’une main-d’oeuvre plus abordable à l’étranger. En accumulant des déficits, les autorités fédérales avaient contribué à la hausse des prix et des coûts de production, rendant les usines américaines moins compétitives face à leurs concurrentes étrangères. Les Etats-Unis comptaient des travailleurs syndiqués et bien rémunérés ; la Chine, elle, disposait de 500 millions de paysans prêts à travailler pour presque rien
Mais aujourd’hui, la main-d’oeuvre bon marché n’est plus le véritable enjeu. Une heure de travail robotisé, même avec une pause café, coûte désormais à peu près autant aux Etats-Unis qu’au Vietnam. Ce qui compte désormais, ce n’est plus la main-d’œuvre – mais le capital.
Car le développement et l’installation d’une main-d’oeuvre robotisée exigent des investissements considérables, ainsi que du temps et des compétences. La Chine compte déjà environ deux millions de robots en activité, auxquels se sont ajoutés près de 300 000 l’an dernier. Les Etats-Unis, eux, n’en ont ajouté que 34 000.
Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas investi davantage dans la robotique ? La main-d’oeuvre y était pourtant chère. Pourquoi ne pas avoir utilisé leur capital abondant pour améliorer la productivité sans dépendre d’ouvriers coûteux ?
Plus largement, comment se fait-il que les Etats-Unis, pionniers du robot industriel en 1960, ne soient plus les leaders mondiaux du secteur ?
Manque d’ingénieurs ? Résistance syndicale ? Difficile à dire. Mais lorsqu’on peut « imprimer » de l’argent et l’emprunter presque gratuitement, pourquoi se fatiguer à le gagner ?
Pendant que les Etats-Unis endettaient leurs jeunes pour leur faire décrocher des diplômes en communication et étude de la diversité, la Chine formait des ingénieurs en robotique. Aux Etats-Unis, un seul étudiant sur vingt choisit l’ingénierie ; en Chine, c’est un sur trois. Cette année, le pays formera deux fois plus d’ingénieurs que les Etats-Unis.
Et tandis que les Etats-Unis investissent des milliards dans l’intelligence artificielle et les centres de données, la Chine se concentre sur des projets plus concrets, à rentabilité rapide et assurée.
Un robot industriel de base coûte environ 25 000 dollars. S’il remplace un seul travailleur humain, il est rentabilisé en six mois. Et s’il assure deux équipes sans broncher, la rentabilité tombe à trois mois. Dans ces conditions, l’investissement devient extrêmement rentable… presque immédiatement.
Les robots plus sophistiqués, intégrant de l’intelligence artificielle, peuvent coûter 200 000 dollars ou davantage. Néanmoins, leur rendement potentiel pourrait s’avérer bien supérieur à celui de l’IA elle-même.
Les Etats-Unis ont investi plus de 100 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle l’an dernier. Selon un rapport du MIT, 95 % de ces investissements n’ont produit « aucun résultat ».

1 commentaire
Triste constat, qu’il est bon de rappeler : l’Occident ne forme pas assez d’ingénieurs. Nos étudiants perdent leur temps sur des sujets « sociétaux » sans intérêt. On oublie la Russie qui, elle, en forme beaucoup et que la guerre va perfectionner. L’innovation trouve souvent sa source dans les conflits. La bourse de Moscou est fermée, il est permis de penser que ceux qui sont restés positionnés auront une bonne surprise quand surviendra, enfin, la paix.