A mesure que les artifices masquant l’insolvabilité de la France s’effritent, l’illusion d’un Etat aux ressources illimitées s’efface, laissant place à des scénarios jusqu’ici jugés impensables : nous dirigeons nous vers un remake de la Grèce ?
Dans notre précédent article, nous avons vu que l’effort nécessaire pour assurer la soutenabilité de la dette risquait de devenir de plus en plus important, en cause la baisse de volume de titres d’Etat détenus par les banque et la BCE. Autre raison : l’illusion d’un Etat aux moyens illimités grâce, ou plutôt à cause, de la pression fiscale.
Or cette pression fiscale est devenue en France socialement et économiquement insupportable, d’autant plus que l’efficacité de la dépense publique peut être questionnée. Quoi qu’il en soit, on peut compter sur la créativité fiscale de l’Etat pour substituer à tout nouvel impôt direct ou indirect des mécanismes de confiscation.
A terme, plusieurs inquiétudes méritent d’être prises en considération, sans verser dans un catastrophisme excessif.
D’abord, l’hypothèse d’une nationalisation partielle de l’épargne privée afin de réduire mécaniquement la dette publique ne peut être écartée. Dans le contexte français, cela reviendrait à réquisitionner des contrats d’assurance-vie en euros (largement investis en obligations d’Etat) pour les convertir en droits futurs à la retraite, hypothétiques par nature. Encore faudrait-il que ces droits ne soient pas mis en péril par la poursuite du laxisme budgétaire de l’Etat.
Voilà pourquoi il est essentiel de diversifier son épargne vers des unités de compte (notamment en actions), un compartiment qui, selon toute vraisemblance, échapperait à une nationalisation sauvage. Exproprier des actionnaires de sociétés privées impliquerait en effet une nationalisation coûteuse et inutile, aggravant la dette publique alors même que l’objectif recherché est l’inverse.
Ensuite, on peut envisager la mise en place d’un emprunt forcé perpétuel, souscrit par les « riches », remboursable in fine à un taux facial dérisoire. Ce dispositif permettrait de verser des intérêts annuels qui ne seraient même pas perçus par les épargnants, mais directement retenus à la source. Un véritable « coup double » pour l’Etat, qui effacerait ainsi de la dette implicitement : absence de remboursement contractuel du capital et financement des intérêts par l’impôt.
Enfin, dans la même logique, la création de nouvelles obligations d’Etat indexées sur la croissance ou les performances budgétaires pourrait voir le jour. Un pari risqué pour l’investisseur, semblable au modèle de la dette obligataire subordonnée d’émetteurs privés, avec remboursement du capital et des intérêts conditionnés aux capacités financières de l’émetteur respect de ratios financiers.
Dans tous les cas, les trois facteurs qui permettaient jusqu’ici de masquer l’insolvabilité de la France perdent progressivement en intensité.
Un scénario à la Grèce 2010-2015 est-il envisageable ?
Nous avons vu précédemment que la dette publique française n’est pas soutenable sur le plan des fondamentaux. Jusqu’à présent, cette insolvabilité a été artificiellement dissimulée par un certain nombre de facteurs : répression financière, matraquage fiscal et soutien massif de la BCE. Or ces facteurs vont soit s’atténuer, soit disparaître.
Dès lors, est-il indécent d’évoquer une restructuration de la dette publique française (pour reprendre un terme académique) ?
Pour le consensus, cette hypothèse relève du fantasme. Les arguments avancés tiennent davantage du wishful thinking, d’une vision du monde telle que l’on ne voudrait pas qu’il soit, plutôt que d’une analyse objective de ce qu’il pourrait devenir. Jugeons-en…
« Le défaut est impossible car la dette publique française est systémique. » En d’autres termes, une restructuration signerait l’effondrement du système financier (banques et assureurs détenant d’importants encours de dette publique), entraînant une destruction totale d’une économie aujourd’hui entièrement financiarisée. Mais se cacher derrière la dimension systémique de certains acteurs empêche toute analyse de fond.
« L’appétit des investisseurs pour la dette publique française reste impressionnant, et il est inutile d’imaginer des scénarios catastrophistes sur les titres d’Etat français. » Si l’on s’en tient aux premières levées de programme annuel d’émission du Trésor public français, force est de constater en effet que la demande des investisseurs est bel et bien solide. Par exemple, le 22 janvier dernier, la France a levé par syndication 10 milliards d’euros via une OAT 17 ans à échéance 2042, face à des soumissions atteignant 130 milliards d’euros (soit un taux de sursouscription exceptionnel de 13 fois). Mais l’histoire des marchés regorge de bulles financières précédant des krachs, souvent en totale déconnexion avec les fondamentaux. Une question de bon sens s’impose : peut-on indéfiniment transgresser les fondamentaux budgétaires sans dommages ?
Enfin, il persiste un biais cognitif (et non un véritable argument) selon lequel les puts des banquiers centraux seraient systématiquement réactivés à chaque krach ou crise systémique. Les habitudes ont la vie dure, et il est vrai qu’une part croissante des intervenants sur les marchés financiers – ceux en poste depuis une quinzaine d’années – n’a connu que des marchés haussiers sur les actifs dits risqués, avec la quasi-certitude que toute correction baissière (voire tout mini-krach) serait vite effacé par une attitude accommodante des banques centrales (accélération des achats d’actifs en période de QE pour quantitative easing ; accélération de la baisse des taux directeurs dans un cycle d’assouplissement du crédit ; ralentissement voire arrêt des ventes d’actifs en période de QT, quantitative tightening ; arrêt de la hausse des taux directeurs dans un cycle de resserrement du crédit).
Lorsqu’on n’a connu qu’une seule et unique configuration de marché pendant trop d’années, pourquoi envisager des scénarios contrariants ? Rappelons simplement que sur ce premier quart de siècle, nombre d’événements jugé impensables se sont pourtant produits.
Il faut reconnaître que nous avons naturellement tendance à reproduire les biais du passé, ce qui, par définition, nous empêche d’anticiper l’imprévisible. On peut élaborer des réponses d’une grande sophistication à l’aide de modèles mathématiques, mais cela ne remplace pas une véritable perception du monde. Et l’essor de l’IA générative ne changera rien à cette réalité, bien au contraire.
Comme l’écrit Jean-Marc Vittori dans Les Echos du 7 janvier 2025 :
« Pour avancer dans un brouillard d’incertitudes, il faut bien sûr de la souplesse et de l’agilité, tarte à la crème de tous les cabinets de conseil depuis au moins vingt ans. Il faut aussi préserver un matelas de ressources (humaines, financières, etc.) autant que faire se peut. Il faut enfin s’interroger collectivement sur les scénarios de l’avenir, imaginer des événements inimaginables pour être prêt à réagir face à d’autres événements inimaginables. Ce n’est ni facile ni confortable. Mais ça peut devenir stimulant et excitant. »
Nous n’avons aucun précédent historique de restructuration de dette pour un grand pays de l’OCDE ou de la zone euro. Le seul exemple de défaut dans une union monétaire majoritairement composée de pays développés reste celui de la Grèce.
Il ne s’agit pas d’affirmer que la France de 2025-2030 ou 2030-2035 suivra exactement le même chemin que la Grèce de 2010-2015. Toutefois, il est instructif de revisiter la saga grecque du début des années 2010 pour comprendre les étapes par lesquelles passe un pays vivant au-dessus de ses moyens.
Un retour sur les trois actes de cette tragédie s’impose, non seulement pour alerter les pouvoirs publics français, mais aussi pour mettre en garde l’ensemble des responsables politiques – qu’ils appartiennent aux partis dits extrémistes ou non.
2 commentaires
Inutile d’alerter les pouvoirs publics, c’est leur objectif et le théâtre politique incluant les extrêmes en est la poudre soporifique.
A risque et rentabilité voisins, solder tout ce qui est dépôt garanti et détenir des valeurs mobilières privées et du cash (billets de banque).
Cela permet aussi de baisser l’encours taxable avant un retour éventuel de l’ISF.