▪ C’est à croire que l’évolution des indices boursiers est reliée à une jauge mesurant le débit d’une rivière souterraine qui ne possède pratiquement aucune connexion avec le sol en surface. Pluie ou sécheresse, cela ne fait aucune différence ; une couche d’argile isole les deux mondes.
Le problème, c’est que la population qui vit au rythme des saisons n’a guère d’intérêt à se fier aux indications en provenance des entrailles de la terre pour gérer le quotidien. Du point de vue des marchés, l’abondance des liquidités se confirme, le flux est d’une remarquable régularité et une seule conclusion s’impose : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… souterrains.
La séance de vendredi fut donc un long fleuve tranquille. Le CAC 40 a d’ailleurs bénéficié tout comme la veille d’un coup de pouce opportun au moment du fixing. Cela lui a permis de revenir pratiquement au contact des 4 050 points (seuil qui a servi de pivot tout au long de la séance) au lieu d’en terminer dans la zone des 4 040 points.
Le bilan hebdomadaire ressort positif de plus de 1% à Paris (+1,12%), ce qui efface les 0,4% perdus la semaine passée.
▪ Les vedettes de la semaine se recrutaient au sein des secteurs des parapétrolières : tensions au Proche-Orient oblige, le baril de Brent s’installe au-dessus des 100 $ à Londres. Il fallait aussi compter avec les SSII, notamment Cap Gemini et Atos (+6% chacune).
La rotation sectorielle amorcée début janvier continue de s’exercer aux dépens du secteur automobile (Peugeot et Valéo ont chuté de 6%). Idem pour le tourisme avec Club Med, Air France et EADS qui a chuté de 6,1%, malgré un dollar remontant à 1,357/euro.
Les turbulences géopolitiques et monétaires se déroulent dans une dimension parallèle, c’est pourquoi les places européennes engrangeaient 1,75% sur l’ensemble de la semaine.
L’Eurotop 100 (+0,2% vendredi) en a terminé à 2 422 points. C’est un peu en-deçà de sa meilleure clôture annuelle du 18 janvier, à 2 426 points, mais bien au-dessus du niveau affiché lorsque les premiers troubles ont éclaté en Egypte.
L’Euro-Stoxx 50 a bénéficié du même coup de pouce que le CAC 40. Il est même remonté de +0,05% à +0,26% ; cela fait toute la différence puisque l’indice passait de 2 996 (vers 17h30) à 3 003 points (à 17h35). A Londres, le FTSE 100 a fini au contact des 6 000 points tout rond.
▪ Du côté de Wall Street, les indices américains sont restés bien ancrés au-dessus des seuils psychologiques tels que 12 000 pour le Dow Jones et 1 300 pour le S&P 500.
Tout comme jeudi, Wall Street affichait un parfait équilibre à la mi-séance vendredi, avec un Dow et un S&P inchangés. Le Nasdaq progressait quant à lui en direction du zénith annuel des 2 766 points, après avoir stagné sous 2 755 durant sept séances. Il n’y a aucune place pour le hasard dans ce scénario.
Le maintien des indices à des niveaux stratégiques — peut-être prédéterminés depuis fort longtemps — semble avoir largement pris le pas sur l’actualité géopolitique ou macro-économique depuis la fin de la semaine dernière.
De puissants algorithmes semblent à la manoeuvre — l’argent de la Fed servant de carburant — pour écraser encore un peu plus la volatilité (le VIX retombait sous les 16,5). Ce processus s’est enclenché début décembre et n’a jamais connu de retour en arrière.
▪ La publication des statistiques de l’emploi américain au mois de janvier a été digérée sans que cela puisse se lire dans la tendance. C’est comme s’il ne s’était rien passé !
Les chiffres présentent pourtant des aspects pour le moins paradoxaux : le chômage recule miraculeusement de 9,4 vers 9% (soit 13,8 millions de chômeurs). Pourtant, l’économie américaine ne crée que très peu d’emplois : 36 000, c’est « de l’épaisseur du trait » — et c’est inférieur à la marge moyenne de révision mensuelle du département du Travail, qui s’échelonne entre 20 000 et 50 000.
Beaucoup de chômeurs ont été rayés des listes en début d’année ; 44% d’entre eux appartiennent désormais à la catégorie « longue durée », un record absolu. En outre, de nombreux départs en préretraite ont été conclus pour fin décembre.
En d’autres termes, l’embellie statistique de janvier doit tout à la fiction statistique et fort peu aux recrutements des entreprises privées (+50 000 emplois contre 140 000 en décembre)… et rien du tout au gouvernement qui a licencié 14 000 fonctionnaires.
La réduction du nombre de chômeurs à 13,8 millions n’est que le fruit d’un artifice comptable : éviction de 600 000 allocataires, modification du mode de calcul qui a soustrait 504 000 personnes de la population active.
De même, sur les 1 250 millions d’emplois créés en rythme annuel fin décembre, il n’en subsiste qu’un million après retraitement des données.
La durée hebdomadaire travaillée aux Etats-Unis régresse à 34h20 contre 34h30. Les salaires horaires augmentent de 0,4%, ce qui pourrait signifier que certaines branches ont pu avoir recours aux heures supplémentaires.
▪ Une des retombées marquantes de ces chiffres, c’est une nouvelle tension des rendements obligataires. Les T-Bonds US affichent 3,60% sur le 10 ans et 4,7% sur le 30 ans.
L’euro rechutait sous les 1,36 $, à 1,3575. Le billet vert gagnait 0,35% face à la livre et au yen. Comme il est plaisant de voir la logique des arbitrages se fonder sur des chiffres qui semblent sortis tout droit d’une caverne… alors qu’une simple visite des bois aux alentours suffit à découvrir ce que sont devenus tous ces chômeurs qui n’existent plus.
Mais nous parions que la Fed n’hésitera pas, au besoin, à les exhumer de leur néant statistique pour justifier la poursuite jusqu’auboutiste de son « QE2 ».