▪ Le CAC 40 cédait ce mardi 1% à la mi-séance et 0,45% au final. Cela ne suffit certainement pas à invalider la tendance haussière en vigueur depuis fin août… mais deux mois, c’est long.
Un indice comme le Nasdaq ou le S&P ont grimpé durant sept semaines sur une série de huit sans jamais reperdre plus de 2%. Ne cherchez pas dans ce genre de progression la moindre trace de "psychologie" : l’évolution des indices reste entièrement dictée par la liquidité disponible — c’est-à-dire les quantités d’argent que la Fed met à la disposition de ses partenaires bancaires qui font la tendance à Wall Street.
La question clé demeure le format de l’assouplissement quantitatif, alors que les marchés investissent déjà tous azimuts de l’argent sorti de nulle part et qui n’est pas encore été créé.
Ben Bernanke ne parvient pas à faire taire des dissensions au sein de la Fed. Le "QE2" (quantitative easing 2, deuxième vague d’assouplissement quantitatif) qui euphorise Wall Street — rien que l’odeur du bol de punch fait déjà tourner les têtes — sera-t-il modeste, comme le souhaitent des présidents de Fed régionales comme Dudley, Lacker et Bullard ? Ou bien sera-t-il massif comme l’envisagent les économistes des banques les plus engagées dans l’arrachage de tous les actifs cotés à la hausse (il faut bien penser à faire gonfler les bonus, Noël approche) ?
Nous assistons à une sacrée bataille d’enchères. Les banquiers mettent sur le coup leurs meilleurs éléments et mobilisent les cerveaux les plus brillants pour indiquer à la Fed combien elle devra commander de rouleaux de quatre tonnes de papier pour alimenter ses rotatives.
Modestes, les experts de Bank of America pensent que Wall Street sera satisfait avec 1 000 milliards de dollars. Ceux d’HSBC, plus gourmands, tablent sur un programme de 1 500 milliards de dollars.
L’économiste en chef de Goldman Sachs les enterre tous : il prévoit un programme minimum de 2 000 milliards de dollars mais pense qu’il faudra aller jusqu’à 4 000 milliards pour que l’économie américaine se redresse tandis que le Dow Jones s’envolerait vers 20 000 d’ici 2012. Il faut bien que les meilleurs brasseurs d’argent puissent prendre leur retraite à 26 ans… et non pas 62 ans comme en France : c’est presque pareil, ce sont les deux mêmes chiffres mais dans le désordre.
▪ Depuis fin septembre, le chalumeau de la Fed continue de maintenir le thermomètre boursier à une température proche de l’ébullition. Mais l’air ambiant se rafraîchit du côté de l’offre de crédit aux particuliers : -1 500 milliards de dollars d’encours potentiels en 2010, et la situation empire.
Le patron de Citigroup explique cette raréfaction par l’entrée en vigueur de récentes réglementations visant à empêcher les banques de prélever des commissions exorbitantes et autres taux usuraires sur les transactions réalisées par le biais des cartes de crédit.
Par un retournement de la logique commune qui force l’admiration, Vikram Pandit, PDG de Citigroup, tente de nous convaincre que limiter la spoliation des emprunteurs les moins fortunés se retourne en fait contre ces mêmes classes de population défavorisées — celles qui disposent de revenus faibles et/ou irréguliers ou qui vivent en zone rurale.
Pour résumer son argumentaire, la plastic money, ce n’est pas fait pour les rednecks. Ce que nous pourrions traduire par "le revolving à 10%, c’est pas fait pour les péquenots". Il faut donc qu’ils continuent de payer du 20% ou ils n’auront plus un sou ! L’alternative c’est donc "radié ou tondu dans l’année".
▪ L’idée sous-jacente, vous la connaissez bien : trop de régulation tue les affaires. Ceci nous rappelle la fameuse formule d’Arthur Laffer dans les années 1970 : "trop d’impôt tue l’impôt". Les économistes ont immédiatement adopté cet axiome, étayé par la non moins fameuse courbe de Laffer, crayonnée — selon la légende — au dos d’une serviette en papier d’un restaurant de Washington.
Il s’agit d’une parabole en forme de cloche, qui induit qu’au-delà d’un seuil d’imposition théorique (il n’a jamais réussi à déterminer lequel, mais passons sur ce détail insignifiant), les taxes ont un effet contre-productif sur l’activité économique, jusqu’à provoquer une réduction des recettes fiscales.
La courbe de Laffer n’a aucune base scientifique ; elle n’est étayée par aucune preuve empirique. Sa prétendue universalité relève d’un simple postulat qui n’est avéré qu’à ses deux extrémités : lorsque le prélèvement atteint 100% du revenu, et lorsqu’il est nul.
Aucune preuve de sa pertinence n’a jamais été avancée. Nous savons tous intuitivement qu’il n’existe pas de taux optimal de pression fiscale valable pour tous les pays, dans toutes les situations économiques, en haut ou en bas de cycle et quels que soient les systèmes fiscaux.
Les Reaganomics exigèrent des baisses d’impôts. Elles furent au rendez-vous : c’est à partir de ce moment que les Etats-Unis passèrent de premier créancier de la planète à premier débiteur. L’idée de base plaisait à tout le monde ; il n’était pas question d’accorder le moindre crédit aux élucubrations de contradicteurs comme Paul Krugman ou Joseph Stiglitz (qui réclamait mardi soir plus de dépenses sociales et moins de planche à billets).
▪ Plus hyperbolique mais non moins célébrée fut la courbe du néo-zélandais Alban Phillips. Il prononça la relation symétrique du chômage et de l’inflation, l’un excluant l’autre. Hélas, les années 1975/1980 démontrèrent que l’on pouvait souffrir en même temps — et durablement — de ces deux maux !
Paul Samuelson, qui fut l’un des plus ardents défenseurs de la courbe de Phillips, prononça quelques années plus tard son oraison funèbre : "encore une loi économique erronée !"
Et qui se souvient de ce truisme du chancelier Schmidt, énoncé en 1978 et aussitôt accepté comme un axiome, qui liait les profits d’aujourd’hui aux investissements de demain et aux emplois d’après-demain ?
Que nous disait Henri de Castries (PDG d’AXA) au sujet des résultats des grandes valeurs du CAC 40 en 2007 ? Ils étaient alors au firmament et devraient retrouver, nous assure-t-on, des niveaux comparables dès 2011. "Nous devrions nous réjouir du niveau de ces profits car ce sont eux qui financeront les investissements donc la croissance et les emplois de demain".
Mais plus les profits sont gros, moins les salariés en bénéficient… et plus on s’éloigne du plein emploi : c’est la mondialisation heureuse ! Vous pouvez transposer cette même formule au premier assouplissement quantitatif de la Fed en 2009, avec Wall Street dans le rôle du bookmaker !