** Le chant des sirènes des partisans d’un rebond des marchés a commencé à faire son effet sur les opérateurs les plus pessimistes. Je ne m’en cache pas, même si je chante très mal, j’ai donné de la voix pour amplifier le volume sonore annonçant une remontée des indices boursiers… sans même espérer que le rebond atteigne 11% rapport à son récent plancher des 2 770 points du 26 janvier.
Le CAC 40 s’attaque donc à la résistance des 3 080/3 090, qui coïncide avec le zénith d’ouverture du 19 janvier dernier… Cependant, le test décisif — celui qui validerait une véritable inversion de tendance à moyen terme — devrait se situer vers 3 150 points, au niveau de la résistance oblique baissière moyen terme. Son franchissement induirait la possibilité de déborder les 3 425 points (zénith 2009 et moyenne mobile à 100 jours) en direction du gap des 3 489 points du 10 novembre 2008 puis du gap de rupture des 3 934 points resté béant depuis le 3 octobre dernier.
De soudaines vagues de rachats à bon compte (les vendeurs coupent leurs positions à découvert lorsque la dynamique baissière s’essouffle), voilà bien un scénario récurrent depuis le milieu de l’été 2008. Les reprises s’avérant trop impulsives, avec des écarts de +12% à +15% survenant en moins de cinq séances l’automne dernier, aucune n’a été couronnée de succès. Les rechutes ont été à chaque fois plus sévères, jusqu’à celle que nous venons de subir début janvier et dont l’amplitude a frôlé les -20% à Paris.
Compte tenu des informations que nous allons vous exposer tout au long des prochains paragraphes, le pari sur une poursuite de l’embellie boursière implique de prévoir un épisode de consolidation qui nous apparaît indispensable.
** Les pires anticipations des marchés viennent en effet d’être "actées" mercredi soir par le FMI. Le fait que Dominique Strauss-Kahn supervise les conclusions de son armée d’experts n’est sans doute pas étranger à un rapport économique assimilable à une opération vérité plutôt qu’à une entreprise du type "Prozac et lunettes roses".
Ceux qui sont allergiques aux fastidieuses énumérations de chiffres conjoncturels sauteront les sept ou huit prochains paragraphes pour découvrir sans plus attendre les dernières prévisions — catastrophistes — du Bureau international du travail (ou BIT). Ceci dit, zapper ce qui va suivre vous priverait d’éléments cruciaux qui vous permettront de constater qu’il n’y a aucune exagération dans l’anticipation d’une flambée du chômage sans précédent depuis la période noire s’étendant l’automne 1930 à l’hiver 1932.
Le Fonds monétaire international a revu en forte baisse ce mercredi son estimation de la croissance mondiale en 2009 : elle serait limitée à un demi-point de hausse. Cela aurait aussi pu être zéro ou -0,5% mais il valait mieux éviter d’inscrire un score ayant une valeur négative.
Rappelons que deux mois auparavant (mi-novembre), le PIB mondial était censé avoisiner +2,2%, contre +3,5% à la fin de l’été 2008. Une hausse de 0,5% (ou pas de hausse du tout), ce sera sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, affirme Olivier Blanchard, chef économiste du FMI.
Il s’explique… "L’économie mondiale a pris un mauvais tournant durant le dernier trimestre 2008 : en dépit d’efforts considérables des gouvernements et des banques centrales, les marchés financiers sont restés soumis à des tensions extrêmes, la production et le commerce mondial se sont fortement contractés".
Ce sont nos économies développées qui vont payer le plus lourd tribut : la récession pourrait atteindre -2% au lieu de -0,3% lors de la précédente étude. La contraction du PIB atteindrait -1,6% aux Etats-Unis, -2% en Zone euro et -2,6% au Japon "où la dégradation des perspectives est la plus spectaculaire".
La France subirait un recul de 1,9% ; l’Allemagne, c’est confirmé, écoperait d’un score de -2,5%… qui ne serait pas le pire puisque la Grande-Bretagne doit se préparer à une chute de 2,8% de son PIB. A quand la parité une livre sterling = un euro ?… Il ne sera peut-être pas nécessaire de patienter très longtemps !
Les pays émergents ne seront pas épargnés : leur prévision de croissance a été abaissée à +3,3% en 2009 (après +6,3% en 2008). C’est un taux largement inférieur à celui de la hausse de la population dans des pays comme le Brésil, l’Inde, le Vietnam, l’Indonésie… et même la Chine. Cette dernière resterait néanmoins la championne mondiale de la croissance avec +6,7% cette année, après +9% en 2008 et +11,8% en 2007. Nos propres estimations ne vont pas au-delà de +5% mais peu importe puisqu’il faut au moins… 7% à 8% de croissance pour créer de l’emploi dans ce pays.
Le ralentissement le plus brutal affecterait la Russie qui passerait de +6,2% l’an dernier à -0,7% cette année. Cependant, la variable pétrole peut faire mentir ce pronostic dans un sens comme dans l’autre… car le baril d’or noir demeure un élément clé.
Si j’avais dû miser personnellement sur l’impact récessionniste le plus sévère, j’aurais placé Dubaï sur la plus haute marche du podium, devant l’Argentine, pour cause de catastrophe climatique avec une sécheresse sans précédent qui ruine les éleveurs comme les producteurs de maïs et de soja, principales recettes à l’export.
** Maintenant que vous êtes "bien chaud" (sous-entendu : glacé d’effroi), le moment est bien choisi pour abattre la dernière carte de notre triste monde économique en décomposition : le fameux rapport du BIT que nous vous avions promis en début de chronique. Selon la dernière étude publiée mercredi matin, le nombre de chômeurs pourrait augmenter de 20 à 30 millions dès cette année à travers le monde, et même dépasser les 50 millions si la situation continue de se détériorer au rythme actuel — et nous ne doutons pas que sera le cas.
Selon le scénario le plus défavorable du Bureau international du travail, le nombre de chômeurs dans le monde atteindrait 230 à 250 millions, contre 190 millions en 2008 et 179 millions en 2007. Notre pauvre planète dévastée par l’effondrement des institutions financières occidentales verrait émerger un nombre équivalent (de 200 à 220 millions) de travailleurs pauvres n’ayant aucun moyen de consommer ce que la machine industrielle chinoise, japonaise, américaine ou européenne produira cette année. La crise de l’offre le dispute à la crise de la demande !
** Alors, ne jugez-vous pas anachroniques les +4% des places européennes et les +3,5% engrangés par Wall Street ce mercredi ?
Les valeurs bancaires ont repris 10% en moyenne de Francfort à Londres en passant par Paris (+15% s’agissant de celles inscrites sur le CAC 40). Mais nous nous inquiétons déjà du sort qui sera réservé à BNP Paribas (+20,75% en clôture à 30,145 euros) après la dégradation de sa note long terme par l’agence Standard & Poors, annonce faite après la clôture de la séance, vers 18h.
Que S&P ou Moody’s réduise encore leur opinion de trois petits crans (et elles ont tout le loisir d’abaisser leur curseur du double sans rien demander à personne si cela les démange) et une grosse partie de la dette émise par BNP Paribas serait exclue de la catégorie investment grade… avec les difficultés de refinancement que cela impliquerait ; cela s’apparente au syndrome de la prévision auto-réalisatrice.
Cela paraît impensable… et c’est certainement pour cette raison que — comme l’a bien expliqué Cécile Chevré dans la Quotidienne de MoneyWeek de ce mercredi — la première banque française se trouve contrainte de renforcer par un tour de passe-passe bilanciel son ratio de solvabilité… Elle aurait fort bien pu s’en passer si le gouvernement belge n’avait pas fait capoter début décembre la prise de contrôle de Fortis — et d’énormes quantités de cash sous forme de dépôts, de comptes-titres, d’épargne-retraite ou de contrats d’assurance.
Mais BNP Paribas a puisé dans la corne d’abondance de Bercy en pure perte puisque Standard & Poors vient d’activer le détonateur de l’arme atomique, celle qui transforme le triple A en triple B d’une simple pression de l’index sur une touche d’ordinateur.
** Comme vous le constatez, la montagne de dette qui sert de fil rouge dans nos différentes Chroniques depuis le début de la semaine n’a pas besoin d’être traitée à la dynamite pour que des pans entiers s’effondrent dans un tonnerre assourdissant de perte de valeur.
George Soros, depuis Davos, estime à pas moins de 3 000 mètres cubes — non pardon, 3 000 milliards de dollars (trois millions de millions) — la quantité de pertes latentes qui devront être neutralisées pour éviter la faillite complète du système bancaire. Les banques américaines ne possèdent plus cet argent : la valeur totale de leurs fonds propres représente à peine la moitié de cette somme… Et parallèlement, le contribuable américain devra garantir les bons du Trésor que la Fed ne va pas tarder à troquer contre des actifs décotés ou sans valeur émanant des banques en perdition.
Mais la Fed non plus ne possède pas plus de 1 000 milliards de dollars (ceux qui étaient encore inscrits à son bilan à la fin de l’été 2008)… Il ne lui reste plus qu’à les imprimer puis à les baptiser T-Bonds, sur injonction du Trésor et du Congrès US, mais ça, elle sait faire. La grande question pour 2009 et 2010 est la suivante : les Chinois auront-ils encore les moyens (la réponse est non), ou seulement la volonté de les acheter ? En bon buffles, ils prendront bien garde de se précipiter… comme le fit le rat pour quitter le Titanic financier en 2008.
Philippe Béchade,
Paris