La patience de la BCE a finalement payé, puisqu’elle est désormais absoute de toute responsabilité dans la flambée qui se profile pour les prochains trimestres.
Christine Lagarde s’est choisie comme animal totem la chouette, symbole de la sagesse dans la mythologie grecque (la tradition reste vivace, la chouette, c’est l’emblème qui figure sur la pièce de 1 € grecque).
Mais la sagesse, c’est à peu près l’exact opposé de la pensée magique, et nous assistons à un curieux télescopage depuis un an. En effet, l’inflation « brute » venait d’atteindre 2% dans l’Eurozone fin mai 2021 (contre seulement 1,8% en France), mais elle demeurait sagement sous la barre des 1% hors « variables volatiles », notamment les prix pétroliers déjà montrés du doigt par la BCE au printemps dernier.
Quand l’inflation arrête d’être transitoire
C’est ce qui motivait la réaffirmation que « l’inflation demeurait conforme à ses objectifs de stabilité des prix tout en favorisant une croissance soutenue dans l’Eurozone ».
Il suffisait pour y croire de ne pas tenir compte d’une inflation passée de 1,4% en janvier 2021 aux Etats-Unis à 2,6% en mars, à 5% en mai, puis à 5,4% au mois de juin. Comment une telle trajectoire a-t-elle pu échapper à la vigilance de Christine Lagarde, qui n’y fait aucune allusion et n’y avait vu aucun présage ?
A sa décharge, il convient de rappeler que l’inflation connaissait un léger reflux en juin, vers 1,9% dans l’Eurozone, soit un score bien inférieur à celui observé outre-Atlantique au même moment.
Mais ce n’était que reculer pour mieux sauter la barre des 2%, en juillet, avec la mauvaise surprise d’apprendre que le taux d’inflation s’est alors établi à 2,2% en Europe.
Et c’est le moment que choisit la sage Christine Lagarde pour nous gratifier de cette chouette formule : « Cette inflation ne sera que transitoire. »
Trois mois plus tard, l’inflation caracole à 7% aux Etats-Unis et elle atteint 4,9% en Europe.
La BCE nous rappelle alors que, dans un phénomène transitoire, il faut en passer par une étape de culmination avant que s’amorce le retour à la normale. Puis, à compter de ce pic, l’entame de la décrue serait inexorable. Ce fut le cas, le baril de pétrole étant passé de 85 à 63 $ au cours de ce même mois de novembre.
Mais rien n’y a fait, l’inflation s’établissait à 5% en décembre, et à 7,5% aux Etats-Unis, la faute à la flambée des matières premières impliquées dans la « transition énergétique ».
L’inflation « transitoire » allait rentrer dans son huitième mois fin février quand est survenue l’invasion de l’Ukraine… un événement qui a éclipsé ce « petit » revirement sémantique de la patronne de la BCE : « L’inflation s’avère plus durable que prévu. »
Pointer du doigt
Une sorte de prise de conscience qu’il serait ironique de qualifier de précoce… alors que la barre des 6% étant allègrement franchie, soit une multiplication par 5 en un an.
La patience de la BCE a finalement payé puisqu’elle est désormais absoute de toute responsabilité dans la flambée qui se profile pour les prochains trimestres : Vladimir Poutine se voit chargé de tous les péchés.
Les autorités politiques européennes – tout aussi peu promptes que la BCE à s’emparer du sujet de l’inflation – se sont en revanche empressées de succomber à une sainte colère, laquelle s’est matérialisée par une rafale de sanctions, adoptées à un rythme haletant, et notamment des embargos qui ont fait exploser les prix de l’énergie et des matières premières de 50% en moins de trois mois (le baril de Brent vient d’ailleurs d’inscrire sa pire clôture annuelle, au-delà de 124 $, soit une hausse de 55% depuis le 1er janvier).
L’Europe aurait pu prendre le temps de laisser à chaque paquet de sanctions produire ses effets avant de passer au suivant… ce qui lui aurait surtout laissé le temps de mettre sur pied des alternatives pour atténuer le « choc en retour ».
Et l’opinion publique, bien « mise en condition » par les médias aurait dit « bien joué ! »… car on n’est pas pressé de voir le litre de gasoil à 2,2 € à la pompe, prime d’Etat de 18 centimes comprise.
Il est pourtant apparu assez vite évident que les premières sanctions anti-Poutine et anti-oligarques n’avaient aucun impact diplomatique sur la Russie, mais un fort impact sur notre croissance économique, largement tributaire du coût des matières premières importées.
Déjà handicapée par une inflation directement reliée à une profusion monétaire tendant vers l’infini et engendrant une raréfaction des ressources existant en quantité finie, l’Europe s’est ingéniée à se rendre la tâche impossible en boycottant son principal fournisseur – qui est également le premier producteur mondial – de nombre des matières premières dont elle a le plus besoin.
La plupart des indicateurs conjoncturels piquant du nez dès la fin du mois de mars (sauf les données concernant les prix), il n’a pas fallu longtemps pour que le scénario d’une récession devienne la thématique incontournable sur laquelle planchent tous les « senior chief economists » des institutions financières les plus influentes.
Cela a fourni à la BCE un nouveau prétexte pour différer l’entame d’une riposte contre l’inflation, au nom de la préservation de la croissance, et pour ne pas infliger une double-peine à nos économies.
A suivre…
1 commentaire
La pertinence et la justesse de votre analyse font du mal au moral et pourtant sont indispensables. Merci.