▪ Les mots prononcés par le président de la République dès vendredi soir ont été forts. Les décisions annoncées sont sans précédent depuis les dernières convulsions de la guerre d’Algérie.
Les décisions ont été confirmées devant le Congrès réuni à Versailles ; le président a tenu à en écrire chaque mot. Reconnaissons-lui le courage d’avoir annoncé sans faux-fuyant que la priorité de la diplomatie française avait changé : Daesh est désormais considéré comme l’ennemi prioritaire et Vladimir Poutine doit faire partie des discussions, sinon être impliqué dans la coalition contre l’EI que la France appelle de ses vœux.
la France embrasse à son tour cette forme de Realpolitik |
Barack Obama l’avait fait avant lui… et la France embrasse à son tour cette forme de Realpolitik.
La prochaine étape devrait consister en une réconciliation de la France avec l’Iran. Nous comprenons tous que la guerre va s’intensifier en Syrie et qu’elle ne se soldera par aucune victoire militaire. En effet, les 8 000 frappes aériennes déjà engagées contre l’EI n’ont qu’à peine entamé ses capacités de nuisance — et pas plus en Syrie que sur des théâtres d’opérations extérieurs.
Pendant que François Hollande prononçait son discours depuis Versailles, Barack Obama s’adressait également à son pays en promettant qu’aucun soldat ne serait envoyé sur le terrain (à part bien sûr ceux qui s’y trouvent déjà et qui guident les bombes lasers sur les cibles désignées).
La France n’a pas vocation non plus à envoyer des troupes combattre Daesh dans le blanc des yeux dans l’Est de la Syrie, sauf en cas de mandat de l’ONU décidant de la constitution d’une puissante coalition jouissant d’une légitimité internationale.
▪ Qui va "y aller" ?
D’ici là, qui va vraiment effectuer le "sale boulot", celui qui scelle la véritable victoire après d’âpres combats et qui se solde par des sonneries aux morts et la remise de médailles posthumes pour bravoure et sens du sacrifice admirable ?
A part Vladimir Poutine qui s’en défend, personne ne semble avoir la volonté "d’y aller", avec ou sans mandat de l’ONU.
Un mandat dont Moscou n’aurait pas besoin puisque c’est Bachar El Assad lui-même qui peut faire la demande d’une intervention russe en tant que seule autorité légale — à défaut d’être jugée fréquentable — de la Syrie.
Le président Assad sait pertinemment qu’il livrerait les clés de son régime finissant sur un plateau à Moscou… qui n’en demande peut-être pas tant : que faire d’un pays en ruine et dont les habitants verraient d’un très mauvais œil un président orthodoxe s’exprimant pour décider qui devra gouverner ?
Vladimir Poutine — instruit de l’exemple afghan 35 ans auparavant et de l’exemple du fiasco américain en Irak — ne tombera certainement pas dans un tel piège. Il se contera d’affaiblir suffisamment l’EI (de l’anéantir si l’Europe et les USA l’y aident un peu) pour restaurer, en cas "d’élections libres", le statu quo d’avant la guerre civile — c’est-à-dire la suprématie de la coalition historique alaouite/chiite (pro-iranienne).
Retour à la case départ… avec une potentielle victoire de prestige au finish pour la diplomatie française : une conclusion de l’affaire — certes sous l’égide de Moscou — sans Bachar El Assad.
Poutine soutiendra le cas échéant un nouveau dirigeant "à poigne" pour éviter une dislocation du pays à la libyenne, en l’échange de bases stratégiques dans le pays.
▪ Le pétrole, encore le pétrole, toujours le pétrole ?
Si jamais l’Arabie Saoudite tente de donner à Daesh — et le Qatar à Al Nosra — les moyens financiers de résister à une coalition occidentale travaillant de concert avec Moscou, cela va lui coûter un argent fou qu’elle n’a probablement plus, sauf à orchestrer une remontée du prix du pétrole (qu’un pipe-line flambe suite à un sabotage et le tour est joué).
Et si l’Arabie Saoudite prenait le risque de livrer des armes de contrebande à l’EI et que cela se sache… la catastrophe diplomatique résultante pourrait constituer l’amorce d’un basculement géopolitique majeur qui verrait rapidement l’Iran émerger comme puissance régionale quasi hégémonique.
Voilà pour les quelques hypothèses sur lesquelles "moulinent" déjà les marchés. Comme l’a démontré la résilience des places européennes et la hausse de Wall Street à l’issue la séance de lundi, ils partent du principe que l’Arabie, le Qatar et la Turquie cesseront de soutenir directement ou indirectement Daesh ou Al Nosra et que le conflit, de ce fait, n’embrasera pas la moitié du Proche-Orient encore en paix.
Si le pétrole a repris 3% lundi soir, c’est surtout parce que le baril est venu rebondir sur le seuil plancher des 40 $ |
Si le pétrole a repris 3% lundi soir, c’est surtout parce que le baril est venu rebondir sur le seuil plancher des 40 $ comme sur un trampoline.
Bien que je sois personnellement convaincu que toute l’affaire ne soit qu’une énième version d’une guerre pour la conquête et contrôle de l’or noir, de nombreux commentaires soulignent que l’une des motivations récurrentes de Daesh serait de punir un Occident dépravé et corrompu.
Sans adhérer totalement à cette vision lorsqu’il est question d’actes de guerre comme ceux du 13 novembre, il y a certainement une part de vérité dans le petit texte ci-dessous et qui circule beaucoup — et à juste titre — sur les réseaux sociaux. Il n’est pas de ma main mais j’aurais été fier de l’avoir rédigé.
Pour finir cette chronique sur une note de légèreté, le voici :
"La France représente tout ce que les fanatiques religieux du monde détestent : profiter de la vie sur Terre de plein de petites manières différentes : une tasse de café parfumé avec un croissant au beurre, de belles femmes en robes courtes qui sourient librement, l’odeur du pain chaud, une bouteille de vin partagée avec des amis, un peu de parfum, des enfants qui jouent au jardin du Luxembourg, le droit de croire ou de ne pas croire en Dieu, ne pas s’inquiéter des calories, flirter et fumer et profiter du sexe hors mariage, prendre des vacances, lire n’importe quel livre, aller à l’école gratuitement, jouer, rire, se disputer, se moquer des religieux comme des hommes politiques, laisser l’inquiétude sur ce qu’il y a après la vie aux morts.
Aucun pays sur Terre ne vit sur Terre mieux que les Français. Paris, nous t’aimons, nous pleurons pour toi.
Tu pleures ce soir, et nous sommes avec toi. Nous savons que tu riras encore, chanteras encore, feras l’amour et guériras, car aimer la vie est en ta nature.
Les forces des ténèbres reflueront. Elles perdront. Elles perdent toujours".