** Comment les places européennes parviennent-elles à réaliser un carton plein à la hausse, un véritable sans faute sans équivalent depuis la période du 17 au 23 août 2007, avec l’inscription d’une cinquième séance gagnante d’affilée alors que le Dow Jones cale sous les 13 000 points tandis que le baril de pétrole pulvérise un nouveau record absolu à 127,8 $ ?
Le CAC 40, non content de tester les 5 120 points, a laissé pour le week-end un gap béant au-dessus des 5 060 points en guise de cerise sur le gâteau — le gain hebdomadaire atteint 2,4%.
Les statistiques publiées le 16 mai dernier ont laissé Wall Street de marbre, ce qui ne devrait guère surprendre s’agissant de la hausse de 8,2% des mises en chantier au mois d’avril — qui reste traditionnellement l’un des meilleurs de l’année. Si les ouvriers se remettent au travail, leurs employeurs n’ont plus qu’à prier pour être payés en temps et en heure car les incidents de remboursement de prêts font un bond de 30% par rapport à la période correspondante de 2007.
Très curieusement, ce sont les investisseurs européens qui ont célébré cette embellie en manifestant une euphorie débridée entre 14h30 et 15h30 vendredi dernier… avant de déchanter brutalement en découvrant un indice de confiance des ménages américains en recul de 3 points (à 59,5), soit le pire niveau jamais observé depuis 1980.
Il n’empêche que l’indice DAX 30 est parvenu à déborder les 7 200 points pendant quelques minutes, retraçant ainsi ses planchers du 17 août 2005. Le FTSE 100, de son côté, parvenait à combler au dixième de point d’indice près le gap des 6 348,3 points du 8 janvier dernier.
Nous pouvons comprendre l’optimisme de Francfort au lendemain de la divine surprise de la croissance du premier trimestre, liée à un boom des exportations — vers la Chine et les pays OPEP ? — mais l’euphorie de Londres nous laisse songeur. Les prix de l’immobilier baissent depuis 10 mois, le nombre de transactions n’a jamais été aussi faible depuis 1995 et les vendeurs — qui ne veulent pas admettre qu’ils se sont fait coller au sommet de la bulle — n’ont pas encore compris dans quel guêpier ils vont se fourrer s’ils continuent d’espérer trouver des acheteurs solvables sans réduire drastiquement leurs prétentions.
** Comme si la floraison des panneaux For sale ne suffisait pas, les impôts fonciers explosent à Londres : il faut bien financer les futures infrastructures olympiques et rénover au plus vite un réseau métropolitain à l’agonie. Le tube est victime d’avaries matérielles de plus en plus fréquentes, la Circle line est un vrai cauchemar pour ses usagers — pire que pour ceux du RER B — et les escaliers mécaniques tombent en panne par dizaines.
Curieusement, il n’a pas été difficile de trouver des centaines de millions de livres sterling pour financer l’installation des dizaines de milliers de caméras de surveillance dans les couloirs et sur les quais du métro — qui ne permettent d’élucider que 3% des délits de type agression et vol à la tire ! Mais même avec un ticket urbain deux fois plus cher qu’à Paris, les fonds manquent pour entretenir le matériel roulant, la signalisation, l’éclairage et l’équipement des stations. Reste l’ambiance big brother des transports publics…
Pour nous autres Français, faire un sourire devant chaque caméra finit par devenir fatigant — et plus question d’éternuer sans mettre sa main devant sa bouche : le moindre accroc au savoir-vivre est aussitôt repéré lorsque l’on se promène avec un béret sur la tête !
C’est à se demander si la vocation du métro londonien du XXIème siècle est de transporter des passagers ou de leur permettre de s’y faire filmer sous tous les angles, à l’image des stars qui gravissent chaque soir les marches du Palais des Festivals à Cannes.
** Mais le Londres de l’after bubble est bien loin du strass et des paillettes de la croisette. Nombreux sont les traders qui cherchent à revendre les bolides à 100 000 livres sterling — voir beaucoup plus — dans lesquels ils investissaient leurs bonus annuels de 2004 à 2007. Mais allez revendre à un riche salarié de la Zone euro une Lamborghini ou une Dodge Viper, même flambant neuve, avec un volant situé… à droite !
La liste des charrettes s’allonge chez les grands noms financiers de la place londonienne, et la chute est rude puisque l’indemnité versée aux sans-emplois est forfaitaire (80 euros par semaine pendant six mois) : c’est à peine le prix par convive d’un déjeuner dans un restaurant correct — où l’on peut traiter des affaires sans s’époumoner — de la City.
** Puisque nous avons entrepris depuis mercredi dernier de dénoncer la mascarade des statistiques officielles — nous n’épargnons ni les Etats-Unis, ni la France, ni les experts de Bruxelles –, notre petit crochet par Londres nous fournit l’occasion de vous expliquer pourquoi les pauvres y représentent près de 20% de la population — contre 7% en Ile-de-France — alors que l’Angleterre se targue de flirter avec le plein emploi.
Voici de quoi vous édifier sur la sincérité des statistiques britanniques : le Royaume-Uni ne comptabilise pas les chômeurs au-delà de six mois, ni les demandeurs d’emplois classifiés comme handicapés.
Dans cette catégorie vous retrouvez aussi bien la femme enceinte, la mère de famille nombreuse stressée et sous sédatifs, l’accidenté tétraplégique, le cinquantenaire souffrant d’arthrose ou d’une sévère myopie, l’étudiant légèrement dyslexique au même titre que le schizophrène chronique ou le trisomique !
De fait, la Grande-Bretagne compte désormais quatre millions d’handicapés — soit 6% de la population contre 2,5% en France ; les maladies chroniques et les handicaps représentent plus d’un quart des non-actifs, comparé à une moyenne européenne de 11,5%.
Le recours au régime d’invalidité — il ouvre heureusement le droit à une indemnisation — est le principal artifice permettant de dégonfler les statistiques des demandeurs d’emploi, tandis qu’en France, ce sont les préretraites et les créations de sous-catégories de salariés à temps partiel qui servent de cache-misère.
Au final, le chômage réel est pratiquement à un niveau équivalent de part et d’autre de la Manche — à 1% près en faveur de l’Angleterre grâce aux petits boulots. La France, cependant, travaille plus — si, si… malgré les 35 heures — puisque la durée hebdomadaire est de 36,6 heures dans l’Hexagone et de 32,5 heures seulement au Royaume-Uni : la faute justement aux… petits boulots que nos gouvernants semblent tant admirer !
Quarante ans après mai 68, les Shadoks ont-ils vraiment intérêt à pomper les Gibis ?
Philippe Béchade,
Paris