Les banques centrales manipulent les intérêts et le prix du risque. Bientôt, la monnaie elle-même n’aura plus de sens.
La Réserve fédérale américaine a lancé un nouveau programme d’injection de liquidités. Elle a été obligée de le faire parce que la communauté spéculative, grosse consommatrice de liquidités, avait besoin d‘argent.
La communauté spéculative, le shadow banking comme on dit, spécule et achète des actifs longs avec de l’argent court. Comme je le dis souvent, elle va en short au Pôle nord : pas étonnant qu’elle attrape froid de temps en temps.
Elle a donc besoin chaque jour de refinancer ses positions. Si elle n’y parvient pas, soit elle doit vendre ses positions, soit elle doit faire faillite. Comme c’est vital, « tout ou rien », la communauté spéculative est prête à payer cher pour « rouler » ses positions : ainsi, elle fait monter les taux de l’argent au jour le jour.
Les accidents de ces dernières semaines sur le marché de l’argent au jour le jour, sur les repos, montrent que la communauté spéculative est très endettée – et que les grandes institutions prêteuses de cash sont réticentes à lui prêter, malgré une pléthore de fonds disponibles, malgré une grande sécurité des collatéraux et des taux en hausse.
Il y a là quelque chose d’inquiétant et un peu mystérieux puisqu’il y a des liquidités excédentaires de 1 700 Mds$ si mes souvenirs sont exacts. A mon sens, les liquidités étant là, la question n’est pas celle de la liquidité mais celle de la solvabilité et du risque de contrepartie : les grandes institutions n’ont pas confiance.
La Fed se substitue aux institutions
La Fed a donc décidé de se substituer à ces institutions qui font la grève et d’injecter elle-même les liquidités demandées par la communauté spéculative. Ces fonds vont continuer de souffler dans la bulle de la dette et de soutenir les marchés financiers mondiaux.
Cet épisode a commencé le mois dernier sur ce qu’on appelle le « marché des pensions », où la Fed fournit des liquidités aux intermédiaires en argent à court terme ou en financement à un jour.
Lorsque la Fed procédait au QE3, elle achetait 85 Mds$ de dette par mois. La Fed vient juste d’acheter 176 Mds$ en trois semaines. Mercredi, Jerome Powell, mal à l’aise bien sûr, a essayé de dire qu’il ne s’agissait pas d’un QE…
Pourquoi dire cela ? Tout simplement parce que le dire ferait mauvais effet ; cela équivaudrait à dire que l’on a échoué et que l’on est obligé de reprendre les faux remèdes, les cautères sur la jambe de bois. Il faut non pas dire la vérité mais tourner autour du pot pour brouiller les analyses et les réactions.
En clair, c’est inquiétant mais il ne faut pas le dire.
Onze ans de « temporaire »
Comme d’habitude, tout ce qui est inquiétant est temporaire, n’est-ce pas. Cela va faire 11 ans que le temporaire dure.
La Fed monétise plus de dette que lors des QE, et elle va devoir en faire plus. La raison en est que les marchés essaient finalement de faire remonter les taux d’intérêt ; ils voudraient bien que l’on recommence à tenir compte du facteur risque. Ce dont la Fed ne veut pas entendre parler.
Elle veut non seulement des taux bas mais, en plus, que l’on ne tienne pas compte du risque. C’est pour cela qu’elle joue le rôle d’assureur, elle donne des assurances : je serai là ! Allez-y, je vous protège. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que vient de faire Powell.
La Fed supprime les taux ; ils sont artificiellement bas – et ces taux artificiellement bas ont porté un tort considérable à l’économie au fil des ans.
Mais en plus des taux, la Fed manipule la perception du risque. Voilà ce que j’essaie de vous faire comprendre : le risque doit être selon elle maintenu très bas, son prix doit être manipulé, subventionné.
Pourquoi ? Pour que le système, des risques, il en prenne plus, beaucoup plus.
Pour qu’il finance ce qui n’est pas rentable, ce qui n‘est pas solvable… et qu’il continue de rouler pour faire tenir la bicyclette ! Il faut maintenir la production de dette – et pour cela il faut la subventionner, fausser son prix et son coût.
Le vrai prix du risque
Les prix du risque devraient être en hausse et la Fed essaie de les empêcher de monter.
Il faut empêcher la bulle d’imploser.
C’est pourquoi Powell doit revenir au QE. S’il ne le faisait pas, les taux à risque seraient beaucoup plus élevés, le marché boursier serait beaucoup plus bas, les prix de l’immobilier chuteraient et nous nous dirigerions vers une autre crise financière.
Tout cela ne résout rien, au contraire puisqu’on injecte des liquidités qui vont empêcher que les prix deviennent justes et adaptés. Le seul objectif est de différer les ajustements – et ils le font… en aggravant les déséquilibres.
Les autorités ne font rien d‘autre que stocker des gigantesques bombes à retardement qui, un jour, exploseront en chaîne.
Il y a longtemps que la santé à long terme de l’économie n’intéresse plus personne. Il est simplement prévu de retarder l’inévitable et de prétendre que tout va bien…
En ce qui concerne la dette, les dettes ne seront jamais remboursées. Nous ne pouvons pas les rembourser. En réalité, personne ne croit même que nous allons les rembourser.
Aucune stratégie valable
Les autorités n’ont aucune stratégie pour rétablir la situation fondamentale de nos systèmes. De toute façon, le coût déflationniste pour corriger serait tellement élevé que nos sociétés exploseraient. Il n’y a que les peuples et les médias qui ne le savent pas.
Les autorités pensent qu’elles vont imprimer assez d’argent pour réduire la dette jusqu’à la faire disparaître. Elles veulent « organiser » une inflation maîtrisée, une inflation qui n’effraie pas mais qui, avec le temps, réduit le poids relatif des dettes.
Hélas, les dettes, le poids de la dette, c’est précisément ce qui s’oppose à la production de cette inflation tant désirée. Le boulet de la dette est non pas inflationniste mais déflationniste – surtout lorsqu’on veut le traiter par des taux de plus en plus bas.
En effet, la valeur du capital ancien monte sans arrêt. La Bourse lévite, les exigences de profit deviennent de plus en plus lourdes et les entreprises font de plus en plus pression sur les revenus des salariés – ce qui empêche l’inflation des prix des biens et des services de se manifester.
On ruine la confiance
Vouloir organiser « un peu d’inflation », c’est comme on dit essayer de tomber « un peu enceinte »… ce qui est impossible.
Pour obtenir l’inflation avec le boulet de la dette, il faut créer une fuite devant la monnaie. Il faut ruiner la confiance et donc il faut franchir certains seuils – au-delà desquels il n’y a plus de possibilité de retour en arrière.
Quand le génie de l’inflation sort de la bouteille, c’est fini, il a sa vie propre. Cela devient un phénomène de masse, un phénomène de foule. Nous sommes dans le fractal, dans le tout ou rien, dans le non-dérivable.
Lorsque les autorités commenceront à monétiser les dettes sans retenue, la terrible mécanique s’enclenchera, avec l’échelle de perroquet des prix et des salaires… et avec la prise de conscience du fait que ce ne sont pas les prix qui montent mais la monnaie qui baisse.
Les taux d’intérêt changeront de nature : ils cesseront d’être le prix de l’argent pour devenir son symétrique – c’est-à-dire que les intérêts seront le prix que les banques centrales doivent payer pour que l’on garde cet argent, pour qu’on l’accepte. Ce sera le prix pour stabiliser la demande de monnaie.
L’or a franchi des records contre les monnaies périphériques, mais pas contre celle du centre, le dollar, lequel jouit d’une « bonne » situation relative : la chemise la moins sale.
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