Seuls les actifs réels pourront vous sauver de l’inflation, mais il faudra aussi faire attention aux remous causés par le changement de politique monétaire à venir au Japon.
Nous avons vu hier que trois risques pèsent sur l’allocation d’actifs cette année. Le premier, c’est la fin du put des banques centrales, qui garantissait qu’un krach serait impossible.
Le deuxième, c’est la hausse des taux directeurs, qui restent tout de même inférieurs à l’inflation. De ce risque découle une règle essentielle : toute allocation d’actifs doit désormais reposer sur une surpondération des actifs dits « réels ».
Qu’entendons-nous par actifs réels ?
Tout d’abord, il faut savoir distinguer les taux nominaux et les taux réels. Lorsque l’on parle de taux réels, certains considèrent qu’il s’agit des taux nominaux (ceux qui sont exprimés sur les actifs financiers ou sur les crédits) diminués du taux d’inflation. D’autres considèrent qu’il s’agit de ces mêmes taux nominaux diminués du taux de croissance de l’économie.
Les deux approches sont recevables et utiles lorsqu’il s’agit de valoriser les actifs financiers, mais nous allons retenir ici la première approche, à savoir des taux réels définis par la différence entre les taux nominaux (ceux que l’on observe) et les taux d’inflation dans une monnaie donnée.
Quand les taux ne remontent pas vraiment
Pourquoi les taux réels vont rester négatifs ou, à tout le moins, ne vont pas remonter durablement et significativement ?
Parce que, au-delà des facteurs conjoncturels que nous avons connu depuis deux ans (ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, guerre en Ukraine, etc.), deux tendances fortes et durables vont maintenir le niveau d’inflation structurelle à un niveau élevé.
Il y a d’abord le lien entre le vieillissement démographique et l’inflation, avec une baisse du taux d’épargne et un déséquilibre entre l’offre et la demande (moins de producteurs et plus de consommateurs).
Il y a aussi le lien entre transition énergétique et inflation. Les énergies renouvelables ne pourront pas remplacer les énergies fossiles rapidement pour une production d’électricité de masse. Ainsi, le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables impliquera une très forte hausse du prix de l’énergie compte tenu de l’intermittence de la production. Il faudra beaucoup plus de capital pour produire de l’énergie renouvelable que pour produire de l’énergie fossile, sans compter les coûts de stockage de l’électricité.
Malgré cette inflation structurelle, les banques centrales ne pourront jamais porter leurs taux directeurs au niveau de l’inflation (donc les hausses des taux de moyen à long terme seront limitées) sous peine de risquer des crises de solvabilité à répétition parmi de nombreux acteurs (Etats, entreprises et ménages).
Si la persistance d’une inflation structurelle qui va se traduire par une hausse de l’inflation anticipée (dans le prix des actifs indexés sur l’inflation) implique un mouvement de hausse des taux longs d’une moindre ampleur, cela signifie bien que les taux réels ne pourront pas monter.
Prenons un exemple simple. Si, dans un pays donné, l’inflation anticipée sur les 10 ans à venir passe de 3% à 4% et que les taux longs à 10 ans progressent de 2,5% à 3%, cela signifie que les taux longs réels des obligations à 10 ans indexées sur l’inflation passeront de -0,50% (2,5% moins 3) à -1% (3% moins 4%). Ainsi, les obligations indexées inflation achetées à -0,50% se seront fortement appréciées avec la baisse de leurs taux réels (comme les prix des obligations évoluent dans le sens inverse des rendements).
Certaines actions, certaines obligations… et certaines SCPI
Toute remontée des taux réels devra être mise à profit : cliquez ici pour lire la suite.
Toute remontée des taux réels devra être mise à profit. Il s’agira donc de surpondérer systématiquement les actifs réels dans une allocation d’actifs. Nous en recenserons trois types.
Premièrement, les actifs qui bénéficieront du maintien d’une inflation structurelle.
Ce sont déjà les actions voire obligations d’entreprises capables de répercuter les hausses de coûts énergétiques ou salariaux dans leur prix de vente (capacité de fort pricing power).
Et ce sont aussi les obligations (quasi intégralement des obligations d’Etat) indexées sur l’inflation. Il y a bien un risque de répudiation car, dans un contexte de forte inflation, il faut s’attendre à un traitement spécifique de la dette indexée sur l’inflation. C’est sur cette dette qu’un Etat ferait défaut en premier lieu. Mais ce risque est trop lointain pour que l’on s’en préoccupe dans le cadre d’une allocation à court et même moyen terme (3 à 5 ans), et les avantages de l’indexation inflation des coupons et du capital lui-même inflaté doivent être privilégiés.
Deuxièmement, ce que l’on appelle les actifs tangibles, type immobilier (SCPI).
L’immobilier devrait pouvoir conserver son statut de valeur refuge dans un environnement plus inflationniste. Naturellement, il s’agira d’être très sélectifs dans le choix des segments du secteur. Les nouvelles évolutions quant au développement du travail et du commerce en ligne par exemple doivent conduire à plus de sélectivité, notamment sur les segments de l’immobilier commercial et de l’immobilier de bureau.
C’est donc l’occasion de se diversifier vers des actifs immobiliers dits « alternatifs » (logistique, entrepôts). Le potentiel de développement de l’e-commerce est encore important puisqu’en Europe, les ventes de produits et de services sur internet ont été multipliées par 4, mais ne représentent aujourd’hui encore que 10% en moyenne de l’ensemble du commerce de détail. Les achats sur Internet nécessitant des besoins importants de logistique (stockage et livraison), ce segment d’immobilier est très porteur.
De l’or et des cryptos
Troisièmement, les actifs qui vont bénéficier non seulement des taux réels négatifs mais également de la crise inévitable des monnaies fiduciaires, conséquence de la crise de légitimité des banques centrales.
Comme d’autres experts l’ont souvent développé dans les colonnes de La Chronique Agora, l’or physique doit être bien représenté dans une allocation d’actifs. L’or ne peut se dévaloriser – puisqu’il ne peut pas être crée à partir de rien comme n’importe quelle monnaie fiduciaire – et il bénéficiera d’un environnement de taux d’intérêt réels à court terme comme à long terme négatifs pour longtemps.
Mais se retrouvent aussi dans cette catégorie certaines cryptomonnaies. Tout du moins celles qui seront assises sur un vrai projet et qui seront porteuses d’une réelle utilité économique dans le monde de la finance de demain, celui de la finance décentralisée (Decentralized Finance, ou DeFi). En effet, nous allons de plus en plus être en présence d’un système financier alternatif, basé sur la technologie des blockchains, qui va offrir de nombreux services financiers sans intermédiation bancaire.
Attention toutefois, cette poche doit être sous-pondérée car cette « classe d’actifs » (considérons-là comme telle) pourrait être trop volatile pour certains investisseurs et subir de fortes moins-values dans des périodes de forte aversion au risque… Comme le troisième danger pour cette année que nous allons maintenant évoquer.
Quand le Japon change (enfin) de politique monétaire
Tous ceux qui ont été en prise directe avec les marchés connaissent la notion de carry trade. C’est une opération très simple à comprendre, mais probablement plus dangereuse que beaucoup d’opérations sur des produits dérivés jugées au moins aussi complexes (à tort ou à raison).
En pratique, le carry trade consiste à emprunter une devise à très faible taux d’intérêt (ainsi, depuis plus de 20 ans, le yen est la devise de carry trade par excellence), puis de la vendre contre une devise à rendement plus élevé, pour ensuite acheter des actifs financiers libellés dans cette seconde devise.
Dès lors vous comprenez qu’il y a trois composantes pour qu’une opération de carry trade soit profitable :
- Le taux court de la devise empruntée (disons le yen) : les traders doivent faire attention aux risques de remontée des taux courts sur cette devise s’ils empruntent sur du 3 mois et qu’ils doivent donc « roller » (prolonger, en quelque sorte) chaque trimestre leur ressource ;
- Le taux court de la devise prêtée (le dollar par exemple, mais on pourrait prendre beaucoup d’autres devises) ;
- Et, surtout, la parité de change entre les deux devises (USD/JPY donc, pour notre exemple), puisque vous vendez la devise assortie des taux d’intérêt faibles et achetez la devise assortie de taux d’intérêt élevés.
Du fait de ce troisième point, il faut donc aussi faire très attention à l’évolution défavorable du change, soit à cause du durcissement monétaire de la devise empruntée, soit à cause de la dégradation des fondamentaux de l’économie de la devise prêtée.
En effet, si les investisseurs anticipent des remontées significatives des taux courts sur la devise empruntée (le yen dans notre exemple) et une chute significative de la devise prêtée (la parité USD/JPY, en anticipation d’un durcissement de la politique monétaire japonaise), ils vont alors anticiper une très nette baisse de la rentabilité de leurs opérations et déboucleront leurs positions.
Ainsi, la devise empruntée à taux quasi nuls et vendue pour acheter des actifs risqués libellés dans des devises à rendements plus élevés sera violemment rachetée pour déboucler ces positions spéculatives de carry trade.
Les conséquences peuvent être particulièrement négatives pour les actifs financiers qui ont été accumulés pendant des années via ces opérations de yen carry trade. Et un effet domino pourrait être rapidement lancé, sur les actifs les plus risqués.