La recomposition politique post-électorale et les tensions autour du budget de l’UE révèlent une institution en plein réveil – et une Union confrontée à ses propres limites financières.
Une légende urbaine raconte que l’ancien Premier ministre britannique aurait un jour qualifié le Parlement européen de « Parlement Mickey Mouse », au motif qu’il ne disposait d’aucun pouvoir d’initiative législative et ne jouait aucun rôle réel de contrepoids face à l’exécutif européen, c’est-à-dire la Commission européenne. A Bruxelles, la cafétéria du Parlement est d’ailleurs souvent surnommée le « bar Mickey Mouse » en écho à cette boutade.
Qu’elle soit authentique ou non importe peu : l’observation sonne juste. On entend rarement parler d’un Parlement européen frondeur. La majorité y impose presque toujours sa ligne. Cela vient pourtant de changer.
Depuis les dernières élections, l’institution évolue dans une configuration politique inédite. Les partis écologistes ont été lourdement sanctionnés, tandis que l’extrême droite et le camp conservateur ont enregistré une forte progression. Longtemps reléguée au rang de simple groupe protestataire, la droite du Parlement joue désormais un rôle actif dans la remise à plat d’une grande partie de la législation existante.
Dans le cadre des paquets de déréglementation – les « omnibus de simplification » – le PPE (centre-droit) s’est ainsi allié aux groupes de droite pour faire adopter de nouvelles dispositions. L’assouplissement des règles de diligence raisonnable des entreprises, mesure environnementale emblématique de la précédente Commission, n’a été adopté que grâce à l’alliance du centre-droit et des nationalistes, consacrant une première fissure au sein de la coalition majoritaire. Même le dossier du génie génétique pourrait être sauvé par les voix de l’extrême droite.
Ce revirement paraît d’autant plus surprenant que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a récemment survécu à deux motions de censure – l’une provenant de l’extrême droite, l’autre de l’extrême gauche – grâce aux soutiens conjoints du centre-droit, des sociaux-démocrates, des écologistes et des centristes. Pourtant, quelques semaines plus tard, cette même coalition menaçait de torpiller son ambitieux cadre financier pluriannuel de 2 000 milliards d’euros en raison de la place accrue qu’il accordait aux gouvernements nationaux dans la gestion des subventions agricoles.
Pour la plupart des citoyens, ces débats auront peu de résonance : ni l’architecture des aides agricoles ni les arcanes des négociations budgétaires ne soulèvent d’enthousiasme populaire. Mais dans une perspective plus large, le Parlement vient – pour la première fois – d’expérimenter l’idée d’abandonner sa posture conciliante. On peut imaginer à quel point les électeurs pourraient se sentir davantage concernés s’ils comprenaient que leurs représentants prennent enfin la mesure de leur pouvoir législatif.
Il est urgent d’encourager cette évolution vers une plus grande autonomie parlementaire, surtout par les temps qui courent. Un fonctionnaire confiait récemment à Politico : « C’est le Parlement le plus instable que nous ayons jamais eu. Il est très difficile pour la Commission de prévoir ses réactions et l’issue des votes, ce qui crée une forte frustration au Berlaymont. »
Tant mieux ! Une Commission européenne mise en difficulté, incapable de s’appuyer sur une allégeance automatique, est une Commission obligée de peser plus soigneusement ses décisions.
Hélas, une question essentielle demeure largement absente du débat : comment l’Union européenne peut-elle financer ces 2 000 milliards d’euros ? En définitive, ce sont les pays contributeurs nets – Autriche, Italie, Danemark, Finlande, Irlande, Pays-Bas, France et Allemagne – qui règlent l’addition. Les autres, qui prétendent contribuer, récupèrent en réalité davantage sous forme de subventions destinées à l’investissement. Le rapport de force est donc structurellement déséquilibré : les Etats appelés à recevoir plus qu’ils ne versent siègent à la table des négociations et militent logiquement pour davantage de dépenses.
De quoi nourrir de profondes inquiétudes. L’émission d’obligations européennes constitue un risque sérieux, d’autant plus que l’incertitude quant au volume que Bruxelles prévoit encore d’émettre renchérit leur prime. Il arrive un moment où l’on ne peut plus espérer résoudre nos problèmes en dépensant toujours davantage. Souhaitons que nos élus en prennent conscience avant qu’il ne soit trop tard.
