Les marchés boursiers ont-ils donné mi-janvier un premier signe de faiblesse qui les conduira à la chute, ou n’était-ce qu’un soubresaut avant un énième rebond ? L’important, pour la seconde option, c’est d’y croire…
La finance, cela marche bien à l’aller et beaucoup moins bien au retour. Elle crée un système dissymétrique : « Pour aller, cela va, mais pour revenir, c’est la catastrophe. »
C’est un problème théorique que les autorités n’ont pas encore perçu, elles croient que tout est réversible. C’est le même problème que celui que j’évoque régulièrement, celui de la fractalité, du non-linéaire.
Tant que le crédit et l’effet de levier spéculatif se développent, les marchés apparaissent très liquides, les conditions financières restent souples et l’inflation des prix des actifs maintient une dynamique d’auto-renforcement. Mais cette liquidité est une illusion, car comme l’a dit en son temps un gouverneur de la Fed moins stupide que les autres, Donald Kohn, « la liquidité c’est quand on croit que l’on va pouvoir revendre plus cher ». Il a mis le doigt sur la dissymétrie entre l’aller et le retour : la question de la liquidité.
Jusqu’au jour où…
La fragilité est toujours là, juste sous la surface, elle se cache comme un accident en attente de se produire. Et avec les mensonges tout peut persister pendant des années… jusqu’au jour où…
Les marchés révèlent par des indices subtils l’approche des points d’inflexion. Ou les changements de régime.
Parmi ces indices, il y a les corrélations entre les diverses classes d’actifs, entre les cryptomonnaies, les actions technologiques et certains indicateurs de conditions financières.
Qui dit corrélations qui se créent ou se brisent dit beaucoup de choses sur les sous-jacents, sur les glissements des plaques tectoniques sous la surface. Les corrélations qui se brisent, c’est la déroute des modèles, en particulier des modèles de gestion du risque et de la capacité des établissements à les supporter.
Il y a des invariants qui varient, des mythes qui se fracassent… comme celui de la protection par les cryptos ou celui de l’invincibilité des grandes sociétés technologiques.
Cela peut suggérer un épisode de risk-off ou – pire – une fuite, un « run » hors du papier, qui pourrait présager de l’illiquidité, de la panique et de l’éclatement de bulles spéculatives.
Un début de quelque chose
Subtilement, cette dynamique a pris un début d’élan à la mi-janvier. Je dis bien un début d’élan.
La baisse de 11% de Bitcoin le vendredi 21 janvier a fait grimper les pertes de la semaine à 15,6%. Dans le même temps, Ethereum a chuté de 28%, Litecoin de 27% et le Binance Coin de 28%.
Un titre de Bloomberg : « Un effondrement sur les cryptos efface plus de 1 000 Mds$ de valeur. »
Ce fut un bain de sang technologique. C’est le concept même qui en prend en un sacré coup derrière les oreilles car, avant, ce que l’on achetait, ce n’est pas le réel, mais le concept !
Les semi-conducteurs chutaient en parallèle de 11,9 %, et Bloomberg ce même vendredi 21 janvier affirmait que « les baisses continues du Nasdaq 100 sonnent une sonnette d’alarme qui fait penser au krach des dot-com ».
Bloomberg est optimiste : « Bien qu’il existe des similitudes notables, les années 1990 étaient une bulle plutôt petite par rapport à l’obésité flagrante d’aujourd’hui. »
Le trading du mercredi 19 mérite une attention particulière. Les actions ce jour-là ont ouvert la séance à la hausse, pour s’inverser nettement plus bas. Un renversement menaçant.
Le « risk off » prenait de l’ampleur, les valeurs technologiques et les cryptomonnaies apparaissant particulièrement vulnérables.
Tout ne chute pas…
Mais malgré la faiblesse évidente du compartiment bullaire et la chute de l’appétit pour le risque, les rendements des valeurs du Trésor ont monté pour atteindre 1,90%, alors le plus haut depuis la fin de l’année 2019.
Pendant ce temps, l’or bondissait de 27 $ au cours de la session. L’achat est allé au-delà du métal jaune : l’argent a bondi de 0,67 $, ou 2,8% ; le platine 41 $, ou 4,2% ; et le palladium 104 $, ou 5,4%.
Ce jour-là, nous avons donc vu un épisode tout à fait particulier où la monnaie est sortie et est allé ailleurs que dans l’imaginaire habituel.
Les gains ne se sont pas limités aux métaux précieux : l’indice Bloomberg Commodities Index a avancé de 1,3% ce même mercredi.
C’est une dynamique nouvelle. L’émergence de la vulnérabilité de la bulle des actifs financiers a stimulé une demande accrue d’actifs durables.
Les bons du Trésor dits « refuges » (le TLT ETF) ont terminé la séance avec des pertes approchant les 5% depuis le début de l’année, après avoir perdu 4,6% en 2021.
Je reviens sur mes dadas : les crises, c’est quand un invariant devient variant, quand une certitude s’effondre, quand un mythe se fracasse.
Alors là, cela fait mal.
L’intelligence consiste à cerner quel est le mythe caché, l’invariant non remis en question.
Cet invariant est le sous-jacent de la période, de l’époque. Et mon avis est que ce sous-jacent est constitué par la croyance que, toujours, les autorités pourront maintenir des conditions financières larges, souples et s’opposer à la destruction des leviers. On pourra toujours s’opposer à la réduction de l’effet de levier dans le monde global. On pourra toujours empêcher les vagues de désendettement.
On pourra toujours faire boire les ânes même quand ils n’auront plus soif.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]