Le couple rendement-risque des actions chute mais le marché obligataire sera-t-il pour autant toujours un refuge dans la prochaine crise ?
Lire une publication intitulée The Interest Rate Observer [« L’observateur des taux d’intérêts », NDLR] pourrait sembler affreusement ennuyeux. Mais en ce moment, c’est intéressant. Ce qui n’est pas de bon augure.
Prenons pour exemple ce simple fait. L’obligation Telecom Italia, qui arrive à échéance en 2022 et dont la notation par les agences comme Moody’s et Fitch est basse, se négocie à un taux de 0,739%. Les bons du Trésor US qui arrivent à échéance en 2022 ont un rendement d’environ 2,5%.
Par conséquent, une entreprise italienne mal notée peut emprunter de l’argent pour moins cher que le gouvernement américain. C’est du grand n’importe quoi. Ou, comme le dit Jim Grant, auteur de la lettre Interest Rate Observer, le marché obligataire est une galerie des glaces – c’est-à-dire un endroit où on peut obtenir « une junk bond à un niveau zéro », c’est-à-dire qui rapporte moins d’un pour cent.
Le différentiel peut être en partie expliqué par les taux d’intérêts des banques centrales aux Etats-Unis comparés aux taux d’intérêts en Europe, et aux mouvements des taux de change attendus. Malgré tout, cela reste absurde.
Le problème ici n’est pas la situation en elle-même. De telles absurdités ont permis à l’Italie de connaître une croissance économique impressionnante de 1,5% en 2017 – ce n’est pas ironique, c’est là un chiffre réellement impressionnant pour l’Italie.
Le problème est dans ce que cela implique. Les taux d’intérêt finiront par revenir à la normale. Et cela de plusieurs manières possibles – par l’inflation ou par un resserrement de la politique monétaire par exemple. Mais il est absolument inenvisageable que des pays comme l’Italie et ses entreprises puissent se permettre cela.
C’est là où le problème nous touche personnellement.
Les effets pervers nous guettent
Il ne faut jamais oublier que la politique monétaire fonctionne principalement en encourageant l’endettement. D’où l’expansion importante de la dette dans le monde entier.
Sans une mise à plat de l’endettement via une récession, les entreprises qui auraient dû mourir sont devenues des zombies. Elles sont improductives et ne peuvent croître. Et elles ne pourront pas survivre au prochain cycle de hausse des taux d’intérêts. C’est une accumulation d’investissements malavisés.
Les zombies sont assis sur les ressources qui auraient pu être utilisées de manière productive par les nouvelles entreprises… si les anciennes étaient mortes. Mais on ne leur a pas laissé la possibilité de mourir. D’où la faible croissance économique.
Que doivent donc à présent faire les investisseurs ? C’est plus difficile qu’il n’y paraît.
Si les taux d’intérêts sont artificiellement bas, et que des taux plus élevés sont inabordables pour ceux qui les paient, alors une débâcle du marché obligataire est inévitable – les défauts vont se multiplier.
Le problème est que les obligations sont encore considérées comme une valeur refuge. Acheter des obligations d’Etat lorsque les marchés financiers traversent des zones de turbulence est un réflexe pour les investisseurs. En particulier pour ce qu’on appelle l' »argent intelligent », le smart money, dont le but est d’être le premier à se placer. C’est à ce moment qu’il réalise ses gains de trading tandis que tous les autres acheteurs se précipitent après coup pour les acheter.
Cela signifie que la valeur des obligations grimpe, même si les obligations sont la source du problème.
Le maillon faible de 2018 ? Le marché obligataire européen
Bipolaires, les marchés obligataires ne sont pas le seul facteur de confusion. Du fait de la forte interconnexion des marchés, peu importe quelle partie du système déclenche la crise, c’est le maillon faible qui est de toute façon le plus touché.
Par exemple, en 2006, beaucoup de ceux qui pressentaient l’implosion du crédit subprime avaient conseillé à leurs clients de maintenir leur capital en sécurité hors des Etats-Unis. Pour eux, une crise américaine mettrait à mal le dollar US et la dette américaine.
C’est le contraire qui est arrivé. Plus les investisseurs paniquaient, plus ils achetaient des dollars américains et de la dette publique américaine – les deux investissements les plus sûrs selon les règles du jeu. Les maillons faibles se trouvaient dans le sud de l’Europe. C’est là que la crise se fit le plus sentir.
La même chose se produira sans doute cette fois-ci encore. La question n’est pas de savoir quel marché obligataire ou économie s’effondrera sous le poids de rendements plus élevés. La question est de savoir où les dégâts seront les pires. Quels marchés obligataires les investisseurs abandonneront-ils ?
Je pense que la réponse est encore l’Europe. Toutes les conditions préalables sont réunies : trop de dette, pas beaucoup de croissance, des valorisations d’obligations absurdes, des systèmes bancaires fragiles, une mauvaise situation démographique et des problèmes politiques. Sans parler d’une banque centrale unique qui les lie et les gouverne tous, comme pourrait le dire Tolkien.
Les hausses des taux d’intérêts réduisent les rentabilités
Qu’en est-il du marché actions ?
La hausse des taux d’intérêts réduit la rentabilité des entreprises. Elles doivent payer plus pour emprunter – sauf les banques, qui peuvent faire payer plus cher pour prêter.
Du moins, c’est la version simple. La question est : qu’arrive-t-il aux valorisations des marchés actions ? Une baisse des profits n’entraîne pas systématiquement une baisse du cours des actions.
Une hausse des taux d’intérêt rend les obligations plus attractives que les actions. Les rendements des actions pourraient passer en dessous des taux d’intérêt par exemple. Mais les pertes en capital sur les obligations du fait de la hausse des taux d’intérêt les rendent moins attractives. Les actions peuvent également monter avec l’inflation.
Naturellement, comme je l’ai expliqué plus haut, si les taux d’intérêt grimpent trop vite et déclenchent une crise économique ou financière, les actions chuteront et les obligations reviendront sur le devant de la scène.
Je pense que c’est pour cela que Goldman Sachs est arrivé à la conclusion suivante :
« Le rythme auquel montent les taux d’intérêt pose un risque plus immédiat aux actions que le niveau des taux lui-même.
Cette semaine, nous avons publié une analyse du lien entre les rendements obligataires, la croissance des entreprises et les valorisations des fonds propres. Une observation clé de notre analyse est que les prix du S&P 500 ont typiquement cessé d’augmenter lorsque les taux sont montés plus rapidement qu’un écart-type dans un mois (actuellement représentant une hausse du rendement des bons du Trésor d’environ 20 points de base), et le cours des actions chute lorsque les rendements augmentent de plus de deux écarts-type (40 points de base).
Ce lien est resté vrai au cours des 50 dernières années, indépendamment du fait que la hausse des rendements était menée par l’inflation ou des taux réels. »
Une hausse lente et régulière des taux d’intérêt est supportable. Mais toute accélération posera problème. Cela signifie que l’inflation est l’indicateur clé à surveiller. Parce qu’elle obligera les banques centrales à agir, même si elles sont conscientes du mal que cela provoquera sur leurs marchés obligataires.
L’autre question est de savoir jusqu’où les taux d’intérêt devront aller. Si l’inflation devient incontrôlable, il faudra augmenter les taux au-delà des niveaux que des Etats et des entreprises surendettés peuvent absorber.
En résumé, les actions ne valent pas le risque. Mais qu’est-ce qui le vaut ?