Après des décennies à être de plus en plus rejetée, l’énergie nucléaire retrouve des soutiens, comme moyen bien utile d’aider à la transition vers le zéro carbone. Les principaux constructeurs ne sont cependant plus en Occident, mais en Chine…
Depuis quelques mois, le frémissement était palpable.
Les industriels sortaient du bois et osaient de nouveau évoquer publiquement cette énergie devenue taboue. Les hommes politiques s’emparaient, l’un après l’autre, du sujet et ressuscitait un débat qui polarise depuis un demi-siècle la société française.
Le nucléaire, que nous avons tous appris à adorer ou détester, n’est plus un simple héritage des Trente Glorieuses qu’il nous faut gérer au mieux. C’est désormais une option envisageable (et publiquement envisagée) pour nous accompagner dans la transition énergétique.
Même la COP 26, conférence internationale dédiée à la lutte contre le réchauffement climatique, n’a pu faire l’impasse sur le sujet. Elle fut l’occasion pour un regroupement de 100 associations scientifiques de publier un manifeste pour prouver, chiffres de l’agence internationale de l’énergie (AIE) à l’appui, que son utilisation devra au moins doubler d’ici 2050.
Une bouffée d’air frais dans la course au « zéro carbone »
Malgré ses dangers, malgré la durée de vie des déchets qu’il produit, malgré les questions éthiques que posent les filières d’approvisionnement, et malgré le fait qu’il ne s’agisse pas d’une source d’énergie renouvelable, le nucléaire revient sur le devant de la scène.
Pourquoi les hommes politiques prennent-ils le risque de remettre sur la table le débat épineux autour de l’atome ? Tout simplement parce que cette manière de produire de l’électricité reste la seule dont nous disposons, à court terme, pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre tout en maintenant nos capacités de production d’électricité.
Un réacteur de dernière génération a une puissance qui dépasse le gigawatt (1 300 MW pour l’EPR de Flamanville), soit la puissance de plus de 500 éoliennes de 100 m de diamètre, ou plus de cinq millions de mètres carrés de panneaux solaires. En plus d’être compact, de pouvoir être facilement démultiplié (un seul site nucléaire contient souvent plusieurs réacteurs), il fonctionne de jour comme de nuit et ne dépend pas (en tout cas beaucoup moins qu’une éolienne ou qu’un panneau solaire) des conditions météorologiques.
Si sa construction et son démantèlement sont gourmands en énergie fossile (tout comme les sources d’énergie concurrentes), chaque kilowattheure (kWh) marginal d’électricité produite ne dégage pas de CO2.
Or, les pays occidentaux ont tous une feuille de route qui leur impose la neutralité carbone en 2050 ou avant. Même les pays les plus réfractaires et émetteurs de CO2 que sont la Chine et l’Australie visent désormais le zéro carbone. Il faudra donc que la majorité de l’humanité migre rapidement toute sa production électrique vers des sources propres… et même plus, car la neutralité carbone de l’économie implique de basculer de nombreux usages (transport, chauffage, industrie) des énergies fossiles vers l’électricité.
Alors que cette dernière ne représente à ce jour que 20% de la consommation d’énergie mondiale, elle devra devenir nettement majoritaire dans les prochaines années. Il faudra mécaniquement augmenter d’autant les capacités de production – et ce ne seront ni les éoliennes, ni les panneaux solaires, ni les barrages, qui permettront de le faire à cette échelle de temps.
Le paradoxal contre-exemple français
En France, où le nucléaire représente déjà les trois quarts de la production d’électricité, nous pouvons avoir l’impression que la nucléarisation du parc électrique n’est pas un sujet. Une politique volontariste basée sur le photovoltaïque et l’éolien, couplée à des solutions de stockage de nouvelle génération à l’hydrogène, pourrait sans doute suffire, dans un premier temps, à couvrir l’augmentation de la part de l’électricité dans notre mix énergétique.
De même, l’exemple de notre voisin allemand, qui a fait une croix sur l’atome après l’accident de Fukushima en 2011, peut nous laisser croire que la tendance mondiale est à l’abandon de cette énergie du XXe siècle.
Rien n’est moins vrai. La production mondiale d’énergie à partir de sources nucléaires a augmenté en continu jusqu’en 2005. Si elle a ensuite baissé jusqu’au début des années 2010, le dernier accident d’envergure au Japon a paradoxalement coïncidé avec le rebond de son utilisation.
Production mondiale d’énergie à base de nucléaire. Depuis 2012, la tendance est à la hausse. Infographie : OurWorldInData
Peu importe, à l’échelle de la planète, que la France dispose déjà de 56 réacteurs actifs et que nos voisins aient décidé de se priver de cette source d’énergie. Pour le reste de l’humanité, le recours croissant au nucléaire est déjà une réalité – et elle ira en s’accélérant.
La hausse inéluctable du nucléaire
Le secteur du nucléaire est dominé par les pouvoirs publics, et cela représente un avantage considérable pour les investisseurs particuliers.
Pas besoin d’avoir recours à la divination ou aux informations d’insiders pour prédire son avenir : il suffit d’écouter les discours politiques.
Le Royaume-Uni a été victime, à la rentrée, d’un scénario noir énergétique digne d’une économie de guerre. Pénurie d’énergie, fermeture de stations-service, manque de gaz et explosion du prix de l’électricité (jusqu’à x50 en période de pic) ont fait prendre conscience au gouvernement que l’énergie n’est pas toujours disponible d’un claquement de doigts. S’assurer de sa disponibilité pour que l’économie fonctionne de façon optimale n’est pas une question monétaire, mais physique : il faut que les kWh soient produits pour être consommés.
Le gouvernement de Boris Johnson a donc annoncé coup sur coup une accélération de son calendrier de transition énergétique, qui devra avoir lieu avant 2030 au lieu de 2050, et de nouvelles mesures pour faciliter la construction d’EPR sur l’île.
Aux Etats-Unis, même son de cloche du côté de la nouvelle administration Biden. Dans la feuille de route pour atteindre la neutralité carbone qui a été présentée au Congrès, Washington table sur un recours simultané au solaire, à l’éolien et au nucléaire pour remplacer les centrales électriques qui brûlent actuellement du charbon et du gaz.
La stratégie est similaire dans l’Hexagone. Dans son plan France 2030, Emmanuel Macron a brisé le tabou en évoquant le nucléaire comme énergie d’avenir. S’il a surtout insisté sur les petits réacteurs modulables, qui ont certainement un rôle à jouer dans les prochaines années, l’éléphant dans la pièce reste le fameux EPR. La France dispose de technologies-clés et d’un savoir-faire industriel unique, et il est évident que nous ne l’abandonnerons pas.
Enfin, impossible d’ignorer la Chine. Elle consomme à elle-seule 32% de l’énergie utilisée sur planète, pour sa consommation intérieure mais aussi, et surtout, pour ses exportations. La trajectoire suivie par l’empire du Milieu décidera de celle du monde – et elle s’appuie résolument sur le nucléaire.
Au cours des 20 dernières années, la puissance du parc nucléaire chinois a été multiplié par 25. Ce n’est, selon les projets de Xi Jinping, qu’un début, puisque Pékin prévoit de doubler la part du nucléaire dans la production d’électricité du pays pour la faire passer à 10% en 2035. Durant le prochain plan quinquennal, ce sont près de 20 GW d’EPR qui doivent sortir de terre. Pour y parvenir, il faudra que la Chine inaugure l’équivalent de 4 EPR par an – alors qu’EDF peine depuis des années à terminer la construction de sa première tranche hexagonale à Flamanville, dont le chantier a débuté fin 2007.
Puissance du parc nucléaire exploité en Chine : x25 depuis 2001. Source : World Nuclear Association
Que l’on s’en félicite ou le déplore, le monde de demain sera au moins en partie nucléaire. Pour les marchés, ce nouveau cycle représente une formidable opportunité de gains… et les investisseurs lorgnent déjà sur la matière première qui le rendra possible : l’uranium. Nous reviendrons sur le sujet dans un prochain article, pour en savoir plus sur ce combustible pas comme les autres.