▪ Dans le sillage de places européennes qui ont mal digéré la dégradation de la dette grecque par Fitch mercredi soir, Wall Street a peu apprécié la décision de Moody’s de placer la notation des Etats-Unis sous surveillance négative impliquant une éventuelle perte de son AAA.
Les indices américains ont clôturé assez nettement dans le rouge. Le Nasdaq a chuté de 1,2%, alors que de sombres nuages planent au-dessus des négociations concernant la question de la dette américaine. Le Dow Jones n’a lâché que 0,45% mais il dérape sous les 12 500 points. Le S&P, lui, a reculé de 0,67%. Ces scores sont l’exact symétrique des gains affichés après une demi-heure de cotation.
C’est un revirement de mauvais augure alors que ce vendredi sera marqué par les opérations techniques d’expiration des contrats sur indices échéance juillet — la fameuse journée des Trois sorcières. Vaguement décontenancée par les propose de Ben Bernanke, la place de Wall Street a renoué jeudi soir avec ses niveaux du 30 juin dernier.
▪ Monkey Business Ben avait soufflé le chaud la veille en évoquant de nouveaux stimulus monétaires, face à une reprise désespérément lente. Il a soufflé le froid ce jeudi en évoquant les conséquences catastrophiques d’un défaut de paiement en cas d’incapacité du Congrès US à trouver une solution au problème de la dette.
C’est l’hypothèse invoquée par Moody’s pour placer la notation des Etats-Unis sous surveillance négative, impliquant une éventuelle perte de son AAA.
Les républicains ont entamé l’épreuve de force avec la Maison Blanche depuis le début de l’année. Ils ont mené le débat parlementaire dans l’impasse au mois de mai dernier — date à laquelle le plafond de la dette de 14 300 milliards de dollars a été atteint. Les marchés commencent maintenant à comprendre qu’ils n’ont en fait aucune intention de promouvoir des solutions crédibles ni de respecter les règles du jeu démocratique habituelles consistant à céder sur A pour obtenir B.
Ils refusent mordicus de discuter de la moindre hausse de la fiscalité visant les classes les plus favorisées, et notamment les Américains gagnant plus d’un million de dollars par an. Une bonne moitié d’entre eux travaille en relation avec Wall Street qui a distribué 140 milliards de dollars de bonus en 2010. Ceux-là n’ont manifestement pas les moyens de payer plus d’impôts…
La solution proposée par les républicains pour rétablir l’équilibre des finances fédérales (sans augmentation des recettes fiscales) consisterait à priver les retraités les plus pauvres d’une partie de leur couverture médicale universelle. Pendant ce temps, les ultra-riches ont accès aux meilleurs mutuelles et aux cliniques privées les mieux équipées.
Cela pourrait sembler affreusement choquant en Europe. Mais ce n’est pas le cas aux Etats-Unis où le « chacun pour soi » fait partie des schémas culturels historiques communément admis, aussi bien par les conservateurs que par une bonne partie de l’électorat démocrate.
Barack Obama a depuis longtemps renoncé à placer sa présidence sous le signe du social. Mais il réalise pleinement que la stratégie des républicains consiste à refuser tout compromis en faisant le calcul que la Maison Blanche se retrouve placée devant une alternative de type peste ou choléra.
Le président en exercice sera soit considéré comme coupable d’un nouveau gonflement des déficits aboutissant à une perte de confiance dans le dollar, soit jugé responsable d’un défaut de paiement qui plongerait les Etats-Unis dans le chaos économique.
La troisième solution est électoralement tout aussi suicidaire : céder au chantage des républicains et plonger le pays dans un Moyen Age social pour les prochaines décennies. De nombreux états de l’union ayant fait faillite sont confrontés à une situation en regard de laquelle la Grèce passerait encore pour un pays paradisiaque !
La conséquence de ce gâchis — souvent orchestré par les parlementaires néo-conservateurs ou proches du Tea Party — c’est une nette perte de confiance dans l’administration Obama. Du pain béni pour le parti républicain qui ne manque pas de rappeler que quelles que soient les difficultés du moment, le responsable, sinon le coupable, c’est toujours le gouvernement en place.
Les discussions à la Maison Blanche tournent à l’aigre. Barack Obama a quitté la table des négociations mercredi soir, excédé par la stratégie des républicains qui consiste à refuser tout compromis en faisant le calcul que la Maison Blanche se retrouve de toute façon placée devant un choix cornélien.
La présidence actuelle — qui a hérité du désastre systémique qui a clôturé l’ère Bush — est maintenant accusée d’être responsable du gonflement des déficits aboutissant à une accumulation de dettes sur les générations futures et à une perte de confiance dans la solvabilité des Etats-Unis.
▪ Mince consolation face à des négociations budgétaires qui s’enlisent. Les chiffres publiés dans l’après-midi de jeudi aux Etats-Unis ont été plutôt meilleurs que prévus avec un recul de 22 000 des inscriptions au chômage (à 405 000). Les ventes au détail ont augmenté par le plus petit écart (+0,1%) au mois de juin, alors que le consensus tablait sur un recul symétrique.
Bonne surprise à première vue sur le front de l’inflation, avec des prix à la production industrielle qui reculaient de 0,4% le mois dernier après une progression de 0,2% en mai. Les analystes anticipaient une diminution de 0,2% en juin. Cependant le core rate (l’inflation hors alimentation et énergie) reste orienté à la hausse avec +0,3% en juin, contre +0,2% le mois précédent.
Afin de ne pas se mettre à rêver d’une décrue des prix telle que Ben Bernanke l’anticipe en vain depuis six mois, la hausse des prix à la production atteint 7% en rythme annuel, en léger repli par rapport à un taux de 7,3% observé en mai. Il s’agit d’un plus haut depuis les 8,8% constatés en septembre 2008.
Pas de croissance… une inflation réelle… un chômage deux fois plus élevé que les chiffres officiels… des négociations budgétaires dans l’impasse parce que le meilleur argument électoral des républicains sera d’affirmer que l’Amérique a fait faillite sous une administration démocrate. Peut-être tenons-nous là l’une des raisons qui ont propulsé l’once d’or vers 1 590 $ l’once jeudi !
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