Si les marchés montent quand les taux directeurs baissent, est-ce que remonter les taux ne devrait pas nécessairement entraîner une baisse des marchés ? Apparemment, non, grâce à une petite astuce de la Fed : il suffit de tricher…
La hausse des taux dont on parle depuis plusieurs jours a un effet dont on parle en revanche bien peu, et pour cause : il faut entretenir l’illusion que les baisses antérieures de taux d’intérêt ne coûtent rien et que l’on rase gratis.
J’ai expliqué que les baisses ne coûtaient rien… jusqu’à ce que l’on soit obligé de remonter les taux !
Tout s’égalise
Quand les taux baissent, les agents économiques et investisseurs font une plus-value qu’ils extériorisent bien entendu peu à peu dans leurs comptes – au fur et à mesure de leurs besoins de présentation comptable. Chaque baisse des taux revalorise les actifs financiers anciens, c’est le processus de leur inflation bullaire. D’abord, les créances anciennes voient leurs prix monter, puis les obligations, puis les actions… le tout de proche en proche.
Mais, symétriquement, chaque hausse des taux dévalorise les actifs anciens. Puisque les actifs nouveaux rapportent plus, ils sont donc plus attrayants. Les investisseurs vendent les anciens et achètent les nouveaux, jusqu’à ce que la baisse de prix des anciens mette les rendements à parité. Sur un marché, tout s’égalise.
Si tout était valorisé honnêtement alors vous auriez des provisions pour dépréciation fondées sur les prix de marché ; mais bien sûr, cela c’était avant que ne s’installe la pratique des faux bilans généralisés – façon Japon – et de ce que l’on appelle le « mark to fantasy », la valorisation à des prix fantaisistes.
Savez-vous que, si le bilan de la Fed était orthodoxe, fidèle aux principes comptables et à l’honnêteté, elle serait déjà en faillite ? Mais on ne peut attendre de l’empire du mensonge, désireux de maintenir son hégémonie, qu’il ait des comptes sincères !
Il suffit de prétendre
Pour tricher, l’astuce consiste à prétendre que le « mark to market » – la valorisation « au prix du marché » – est un luxe, une règle à laquelle on peut déroger. Il suffit de prétendre que 100 milliards que l’on touchera dans 5 ans valent exactement 100 milliards que l’on a en caisse. Il suffit refuser ce que l’on appelle la préférence pour le présent, qui est le fondement de toute activité humaine – consommation, épargne, investissement, actuariat, etc. Il suffit de prétendre que l’on va conserver jusqu’à maturité, et que cela ne change rien !
Pour survivre le monde financier en est réduit à nier, à tenir pour nul ce sur quoi il est basé : le temps et la pénalité qu’il inflige à ce qui est différé.
Ah les braves gens !
Dans mes écrits des années 2008 et suivantes j’ai décortiqué tout cela. Tout se passe comme prévu. Ce n’était pas de la prévision, c’était de la logique pure. Ce que j’appelle de la nécessité.
Une pseudo-solution
J’ai expliqué – je prends la peine de le refaire – que la pseudo-solution à la crise financière d’insolvabilité consistait à reporter dans le futur. Elle se réduisait à faire remonter l’insolvabilité de la périphérie – c’est-à-dire du système bancaire et financier – vers le centre, c’est-à-dire vers la banque centrale.
La pseudo-solution consiste à faire remonter la pourriture du bilan des institutions en difficulté vers le bilan conjoint de la banque centrale et du Trésor public : nous y sommes.
En clair, pour que vous suiviez tout : la banque centrale est une banque comme les autres, elle a un actif qui se pourrit de plus en plus à cause de la hausse des taux et à cause de la dilatation des primes de risques. Cet actif pourri n’étant pas comptabilisé, le passif lui-même devient pourri, c’est-à-dire que la monnaie que vous détenez se pourrit en profondeur. Faire remonter la pourriture du système financier vers le bilan de la banque centrale, ne pas passer les provisions correspondantes, tout cela crée un faux bilan, ce qui a pour effet incontournable de pourrir la monnaie qui est émise en fonction de ce bilan.
En bonne orthodoxie, les banques centrales devraient réaliser des augmentations de fonds propres colossales pour redevenir solvables.
Ce processus est inéluctable, et il va s’aggraver à tel point que tout va devenir faux.
La régulation de long terme, fondée sur la fabrication de bulles d’actifs et la création d’un effet de richesse fictif, est exactement l’opération qui fut réalisée par John Law. Le problème est et a toujours été le même : quand vous allez dans cette voie, vous remplacez la bonne gestion par le jeu. John Law était un joueur, le système qu’il a créé était fondé sur le jeu, sur l’espoir que les probabilités joueraient contre le public et toujours pour le Roi.
Hélas, les princes ont compris à un moment donné, et ils ont exigé du vrai argent, non pourri. Le système s’est alors écroulé.
Nous rentrons dans les débuts du processus qui a conduit à l’hyperinflation allemande des années 1920 : la destruction du bilan de la banque centrale. Mais c’est ici une autre histoire, compliquée et peu connue.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]