La superficie des terres agricoles exploitées diminue. Certains crient victoire : c’est le début de la fin de l’exploitation de la nature. La réalité est bien plus complexe…
Plus tôt cette année, Our World in Data [NDLR : Notre monde en chiffres, qui publie des recherches concernant l’évolution des conditions de vie dans le monde] a célébré le fait que nous aurions maintenant dépassé le « pic d’utilisation des terres agricoles ». C’est-à-dire qu’au cours des dernières décennies, la superficie terrestre mondiale consacrée à la production alimentaire a diminué.
Bien que ce déclin soit de faible ampleur et que les données utilisées manquent de fiabilité, cet état de fait reste en lui-même particulièrement significatif et personne ne le conteste : jusqu’à récemment, la superficie des terres consacrées à l’agriculture ne faisait qu’augmenter de façon exponentielle afin de nourrir la population mondiale croissante.
Cela a été salué comme un succès majeur, la sortie d’un âge des ténèbres, lorsque l’homme exploitait la nature sans pour autant réussir à échapper à la pauvreté et à la faim. Selon Our World In Data, cela « marque un moment historique dans la relation de l’humanité avec la planète ; une étape cruciale dans la protection des écosystèmes mondiaux ».
Dans un article publié par HumanProgress, les auteurs indiquent qu’en raison de la réduction des surfaces agricoles exploitées, « davantage de terres peuvent être restituées aux écosystèmes naturels, au sein desquels peut se développer une biodiversité beaucoup plus riche que dans n’importe quelle ferme. L’agriculture intelligente permet à la nature de s’épanouir de nouveau ».
Quels que soient les avantages d’un tel redéveloppement des espaces naturels, je soutiens qu’il est prématuré de crier à la victoire, et que la véritable signification du déclin de l’utilisation des terres a échappé aux auteurs de HumanProgress et de Our World in Data. En réalité, ce phénomène témoigne d’une mauvaise allocation à grande échelle des capitaux : au lieu de cultiver des terres vierges à travers le monde, des quantités massives de capitaux ont été investies dans une exploitation toujours plus intensive des terres agricoles existantes dans les pays développés.
Les mécanismes économiques de l’utilisation des terres
L’une des raisons pour lesquelles la réduction des surfaces agricoles exploitées est considérée comme une bonne chose réside dans la perception selon laquelle l’offre de terres serait en quantités limitées. Comme le dit un vieil adage (attribué à Mark Twain) : « Achetez des terres, on n’en fabrique plus. » Sauf que c’est une contre-vérité.
Pour le comprendre, il faut faire la distinction entre l’offre physique et l’offre économique de terres. L’offre physique de terres est limitée par la superficie de la planète. L’offre économique de terre est en revanche beaucoup plus flexible : in fine, elle n’est limitée que par la rentabilité. Certaines terres sont supramarginales et d’autres submarginales, ce qui signifie que les cultiver ne serait pas profitable.
La localisation de la frontière entre les deux est une question de calcul économique : le rendement de la terre, qui correspond au revenu issu de la contribution d’une superficie agraire donnée à la production agricole, sera-t-il suffisant pour couvrir les dépenses nécessaires à sa mise en culture et dégager un niveau de retour sur investissement acceptable ?
Au fil de l’histoire, des surfaces de plus en plus importantes de terres ont été labourées, et pas seulement dans des territoires auparavant non colonisés comme les Amériques. L’histoire européenne a été marquée par une expansion de surfaces agraires exploitées depuis le Moyen Age et jusqu’au XXe siècle.
La terre n’est donc pas une ressource plus restreinte que tout autre bien : il est possible d’en produire en plus grande quantité. A une époque plus primitive (c’est-à-dire moins capitaliste), la croissance démographique a conduit à une extension des surfaces de terres cultivées, comme l’a expliqué en détail l’économiste Ester Boserup.
Cependant, il est toujours possible de choisir entre labourer les terres déjà cultivées de manière plus intensive (ce qui nécessite davantage d’investissements en capital) ou cultiver de nouvelles terres. Compte tenu du coût relativement faible des terres et de l’existence de meilleures opportunités d’investissement dans d’autres domaines, les agriculteurs ont historiquement eu tendance à augmenter leur superficie cultivée totale plutôt que de développer des techniques plus intensives en capital.
Le cas peut-être le plus célèbre est celui des Pays-Bas, dont une grande part de la superficie correspond aujourd’hui à des espaces repris sur la mer grâce à la construction par les agriculteurs au fil des siècles de digues et de canaux de drainage qui ont permis d’étendre les surfaces de terres arables à leur disposition. Mais la même chose s’est produite dans le reste du monde civilisé : l’extension des terres arables par différents procédés s’est constamment poursuivie au fil du développement économique des pays et de leur transition vers des systèmes économiques davantage capitalistes.
La mauvaise allocation des capitaux dans l’agriculture moderne
Après la Seconde Guerre mondiale, cette dynamique a changé. L’une des raisons à cela réside dans un changement institutionnel : il y avait encore des surfaces importantes de terres inexploitées, mais il n’était plus aussi simple d’en prendre possession.
Il existe d’immenses étendues de terres inoccupées en Russie et de nombreuses régions d’Afrique qui, malgré les inquiétudes autour du risque de surpopulation, restent pratiquement inhabitées. Mais dans ces pays (comme pratiquement partout ailleurs), il n’est plus possible de s’installer sur des terres vierges et de se les approprier : l’Etat l’interdit. Les Soviétiques ont tenté de coloniser certaines des régions sauvages d’Asie centrale et de Sibérie en installant de grandes fermes collectivisées lors de la campagne des « terres vierges » sous Nikita Khrouchtchev, mais ce fut un échec lamentable.
Cependant, un facteur plus important encore que ce changement dans l’accès aux terres vierges a été l’évolution du modèle économique du secteur agricole. Après la Seconde Guerre mondiale, les nouveaux programmes gouvernementaux de subventions agricoles ont incité les agriculteurs à se concentrer sur la maximisation de leur volume de production. Ces subventions ont été versées en intervenant pour garantir un prix d’achat aux producteurs bien supérieur au prix du marché mondial du blé et autres denrées que les politiciens voulaient subventionner.
Nous verrons demain les conséquences de ces politiques…
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici