▪ Les marchés ont bien tenté de faire monter le suspense à l’approche de la réunion de la BCE de ce jeudi… mais Mario Draghi s’est appliqué à déjouer toute tentative d’exploitation spéculative en distillant rumeurs, fausses indiscrétions — concernant de vraies informations — pseudo-révélations (après avoir usé et abusé des ballons d’essai) par le truchement de proches collaborateurs.
Au final, le contenu du communiqué de la BCE de ce jeudi était largement éventé et seul un gros lapsus de Super Mario pourrait susciter la surprise sur les marchés.
Mais le patron de la BCE possède la placidité du crocodile et l’agilité intellectuelle d’un maître du jeu d’échec.
Nous serions étonné qu’il laisse échapper quoi que ce soit de trop précis concernant la stratégie qu’il concocte depuis la dernière poussée de fièvre sur les taux italiens et espagnols.
Mario Draghi a savamment éclairé certaines zones d’ombre pour mieux pouvoir rester flou, non pas sur ses intentions (« sauver l’euro »), mais sur le timing et l’intensité des mouvements qu’il compte exercer sur divers leviers.
▪ On joue au chat et à la souris
Se méfie-t-il particulièrement de la réaction des marchés… de celles de la Bundesbank ?
Parce dans la partie de chat et la souris qu’il joue depuis son entrée en fonction avec les tenants de l’orthodoxie maastrichtienne germaniques, les rôles des uns et des autres ont évolué.
Mario Draghi a bénéficié clairement du soutien objectif de Wall Street et plus largement de la communauté bancaire anglo-saxonne. Celle que les mouvements alter-mondialistes qualifient de « finance prédatrice et fossoyeuse de la démocratie ».
Ce qui est en jeu depuis des mois, c’est l’obtention des pleins pouvoirs par la BCE, sans possibilité de reprise de contrôle de son action par le dernier relais légitime de la volonté populaire, c’est-à-dire le parlement allemand et les juges de Karlsruhe.
▪ La BCE en reine absolue de la planche à billets ?
Une BCE toute puissante, actionnant la planche à billets selon son bon plaisir, et qui n’aurait aucun compte à rendre à personne ?
C’est à peu près de cela qu’il s’agit. Car si la BCE décide de recourir au MES pour secourir un Etat, les autres Etats — au travers de leur parlement — n’ont pas le droit d’y opposer leur veto et sont tenus d’avancer les sommes exigibles séance tenante.
La totalité des Etats membre de l’Eurozone sauf l’Allemagne et la Finlande, s’entend !
La Finlande a d’ailleurs expliqué qu’elle préfèrerait renoncer à l’euro plutôt que de participer financièrement au sauvetage des pays du sud.
Mario Draghi aura du mal à la convaincre de participer…
Et attendez ! Il y a un autre détail qui pourrait compromettre l’ensemble. La fameuse union bancaire sous la supervision de la BCE. Tout le monde la juge indispensable, certes, mais personne n’est d’accord sur l’étendue du contrôle, ni sur la nature des établissements qui devraient se soumettre à l’autorité de la Banque centrale.
C’est la cacophonie la plus complète au sein des Européens, et même entre Allemands !
Il existe donc bien quelques raisons objectives de douter de la capacité de Mario Draghi à sauver l’euro… et par extension à sauver l’Europe.
Mais ce n’est pas ce qui précède qui explique le repli des marchés hier matin.
Les opérateurs ont été vaguement alarmés par le recul de 1,1% de Tokyo puis la chute de 1,5% de Hong Kong et Séoul. Ils ont aussi été déçus par le recul de l’indice PMI des services en France et dans l’Eurozone.
Ils se sont faits prendre à contrepied — un grand classique — par les fameuses fuites organisées attestant de la volonté de Mario Draghi de procéder à des rachats de dettes souveraines en quantité illimitée, sans priorité sur d’autres créanciers… mais en stérilisant ces achats, et sans fixer de plafond aux fourchettes de fluctuation sur les échéances plus longues.
En fait, chaque fois que la BCE communique depuis le 25 juillet, les indices sont systématiquement tirés à la hausse. Il n’y a pas eu d’exception à la règle ce mercredi.
▪ Bund et Schatz ne rencontrent pas le même succès
Cette journée a également été marquée par une émission de Bunds de maturité 10 ans qui n’a pas été souscrite en totalité : quatre milliards d’euros placés à 1,44% de rendement contre cinq milliards d’euros offerts.
C’est un scénario récurrent depuis mars dernier. Acheter des Bunds d’occasion de maturité 10 ans sur le marché secondaire, oui… des Bunds tous neufs sortis des presses, non.
Plus déconcertant encore, les émissions de Schatz de six mois à deux ans offrent des rendements négatifs — il faut payer une prime pour les acquérir — mais sont largement sursouscrites. Alors que des Bunds qui rapportent un petit quelque chose sont boudés.
Nous vous promettons de creuser la question afin de trouver une explication intelligible pour le commun des mortels.
De prime abord, tout se passe comme si les investisseurs pressentaient que les affaires de l’Allemagne risquaient de se gâter après 2014 — ce qui rend les emprunts à 10 ans plus risqués.
▪ Les marchés ne misent plus sur les actions
Nous émettons une seconde hypothèse. La courbe des taux induit une sévère récession au cours des 24 prochains mois… ensuite, c’est l’inflation qui prendrait le relais.
Un tel scénario vous paraît pourri ?
Mario Draghi claironne sur tous les tons qu’il se démène pour l’éviter ?
Quelle chance de réussir les marchés de taux lui donnent-ils implicitement ? Probablement moins de 50% !
Et à moins de 50% de probabilité d’une véritable embellie économique, vous miseriez sur les actions aux niveaux actuels?
Le marché non plus ! Ce ne sont pas les cours, mais les volumes qui le prouvent.